Le pari d’un remake de West Side Story était risqué tant le film de Robert Wise a été érigé par des générations de cinéphiles au rang des chefs d’œuvres absolus pour l’Eternité. Le projet avait cependant, à l’évidence, tout pour retenir le regard de Steven Spielberg, de par cette croisée tragique des destins et la musique qui a toujours eu dans l’œuvre du cinéaste une importance centrale comme l’illustre sa longue collaboration avec John WillIams. Et le pari risqué est devenu un pari gagnant.
Le réalisateur fait ici de l’œuvre de Leonard Bernstein un vrai sujet cinématographique et non une simple transposition sur grand écran. Par cette approche, West Side Story sort de son cadre scénique originel pour gagner en maturité et profondeur. Le ton est plus grave, et l’atmopshère plus sombre que dans le film de Wise. Les scènes, presque toutes tournées en extérieur, confèrent un hyperrealisme à l’histoire et notamment aux épisodes de violences collectives. La technique du réalisateur est virtuose, avec de longs plans séquences en travelling au plus près des décors et des personnages. La scène d’ouverture sur les ruines du quartier qui sera bientot remplacé, est à cet égard impressionnante. Les amateurs d’art lyrique apprécieront d’ailleurs le clin d’œil : les lieux où se déroule le drame sont en cours de démolition pour faire émerger le site de l’actuel Metropolitan Opera de New York. Au fil des images, on en oublie l’adaptation et l’on finit par croire qu’il s’agit d’une œuvre originel de Spielberg.
West Side Story © DR
La modification de l’ordre des chansons renforce incontestablement la puissance narrative film. Ainsi, Cool intervient plus tôt dans l’action, bien avant la mort de Bernardo, et illustre musicalement un conflit minutieusement chorégraphié entre Riff et Tony. Cette scène mêlant explication musclée et bagarre, autour d’une arme, fait basculer l’action et accentue le caractère inéluctable de la tragédie finale. Cet affrontement fragilise la cohésion des Jets en renversant la dynamique de la relation Riff/Tony, devenue ici conflictuelle, alors qu’elle était fraternelle et solidaire dans le film de Wise. Tout comme chez Hitchcock, il y a dans le West Side Story de Spielberg un MacGuffin,en l’occurence un pistolet, élément récurrent, véritable fil rouge de l’intrigue, symbolisant l’escalade de la haine dont Spielberg fait de Chino un personnage central, victime colatérale d’une guerre des gangs dont il est ici étranger (dans cette version il ne fait pas partie des Sharks) et dont il devient, in fine, acteur malgré lui. L’ajout de scènes d’introspection intimiste et l’introduction d’un nouveau personnage secondaire (interprété par Rita Moreno, l’Anita de feu du film de Robert Wise) permet d’explorer le passé des protagonistes et d’éclairer ainsi toute leur trajectoire future.
Contrairement au film de Robert Wise, les acteurs ne sont pas ici doublés et sont tous d’excellents chanteurs, ce qui accentue le réalisme des scènes. Avec une mention spéciale pour l’exquise Maria de Rachel Zegler à la voix fraiche et aux aigus limpides, dont la palette de nuances et de couleurs fait forte impression dans son duo avec Anita. La réorchestration de David Newman demeure très scrupuleusement attachée à la musique de Leonard Bernstein et ne s’en démarque que dans la confrontation Anita/Maria, « A boy like that ». Succédant à John Williams dans l’univers spielbergien, Gustavo Dudamel, à la tête du New York Philharmonic, met le feu à la partition et électrise l’oreille du spectateur en alternant une direction nerveuse, enlevée, conférant une rare intensité dramatique aux scènes de violences collectives et une lecture subtile, presque poétique, des moments intimistes. Une réussite. A voir et à entendre.