Ce dimanche, la Salle Pleyel annonce que « Les sopranos Véronique Gens et Ingela Bohlin sont toutes deux souffrantes ». Adieu donc, madame Tragédiennes 1, 2 et 3 ! Adieu aussi à la soprano suédoise tant appréciée dans Haendel ou Mozart. Est-ce la raison pour laquelle ce concert ne convainc qu’à moitié ? Peut-être, mais ce n’est pas la seule.
En 2008, quand Hervé Niquet confia à Shirley et Dino la mise en scène de King Arthur, près de quinze ans s’étaient écoulés après le spectacle magique de Graham Vick au Châtelet, dont plus d’un spectateur était ressorti avec des étoiles dans les yeux. Pour cette Fairy Queen en revanche, on a encore en tête le souvenir (ravivé par le DVD sorti dans la foulée) de la production de Jonathan Kent/William Christie, créée à Glyndebourne en juin 2009 et reprise à l’Opéra-Comique en janvier 2010. Cette version de concert paraît alors terriblement sérieuse, empesée, dénuée de vie. Le public catarrheux du dimanche après-midi ne se décidera d’ailleurs à applaudir que vers la fin du troisième acte, après le duo de Corydon et Mopsa, où le ténor Emiliano Gonzalez-Toro avait renoncé au smoking pour revêtir une robe tablier et un fichu dignes des Vamps. On frôle le spectacle de patronage, mais au moins le théâtre reprend ses droits.
Après l’entracte, tout cela s’anime un peu : avec sa pompe et son caractère grandiose, le divertissement du IVe acte est celui où Hervé Niquet semble le plus à son aise. Le chef a choisi de mélanger les pupitres du chœur du Concert Spirituel, d’où un effet de fondu qui fonctionne bien à certains moments, moins à d’autres. Niquet a le geste large, on reconnaît à sa direction une élégance très Grand Siècle, mais là encore, cela manque de théâtre. L’air en écho « May the god of wit inspire » est assez platement réalisé. Seule « idée » : la scène du Poète ivre est introduite par des pizzicatos délicieusement faux…
Si la sauce ne prend pas vraiment, c’est aussi la faute aux chanteurs. Pour une œuvre comme Fairy Queen, qui ne peut réellement s’animer qu’à la scène, il aurait fallu une équipe autrement plus concernée, sinon le concert risque fort de ressembler à un long tunnel où les airs s’enchaînent aux airs. On ne se plaindra pas un instant de voir figurer dans la distribution définitive la toujours exquise Emmanuelle De Negri, qui avait l’honneur de chanter « Night » et « The Plaint » à l’Opéra-Comique. L’expérience de la scène lui confère un avantage incontestable sur ses partenaires. Elle récupère ici les airs plus vocalisants, confiés par William Christie à Claire Debono, et elle livre notamment un magnifique « Ye gentle spirits of the air ». Si l’on a pu jadis reprocher parfois à Véronique Gens une relative froideur, que dire de sa remplaçante, Sophie Karthäuser ? Elle ne nous touche pas un instant dans sa Plainte (prise à un tempo un chouia trop rapide), pourtant très applaudie. La soprano belge, admirable en bien d’autres occasions, aurait-elle rejoint le projet trop tard pour s’y investir vraiment ? Cyril Auvity n’est guère expressif, et son articulation manque singulièrement de consonnes. La voix est belle, le chant est délicatement orné, mais il ne paraît guère y croire (et ce n’est pas de lui faire chanter « Dear Xansi » au lieu de « Dear Daphne » dans le divertissement chinois qui arrangera les choses). Emiliano Gonzalez-Toro n’a que deux airs en solo : il s’exprime dans un anglais un peu exotique, mais la voix s’est bien étoffée. Quant à Christopher Purves, seul anglophone de la distribution, il est aussi le seul chanteur-acteur, et même si la voix n’a rien d’exceptionnel (les graves sont là mais ne sont pas très ronds, c’est un baryton plus qu’une basse), on lui doit les seuls moments qui, avec les interventions d’Emmanuelle De Negri, nous réveillent un peu.
Laissons donc à Hervé Niquet le temps de diriger The Fairy Queen en scène, et on reparlera de son interprétation