Monaco n’avait encore jamais vu Wozzeck. La scène monégasque, pourtant largement ouverte au modernisme depuis le temps des Ballets Russes, n’avait en effet jamais encore programmé le chef-d’œuvre de Berg.
Elle vient de le faire. Ce ne fut pas sans réaction. Certains sont partis aux entractes. Mais ceux qui sont restés (l’immense majorité !) ont applaudi à tout rompre.
La mise en scène était de Michel Fau, déjà vue à Toulouse et chroniquée ici par Yannick Boussaert.
Fau et ses folies apparaissent tout entiers dans ce spectacle. On y voit le vrai du Fau. D’un bout à l’autre nous est présenté le cauchemar de l’enfant dont la mère Marie est tuée. Comme dans un cauchemar, les murs de la chambre sont de guingois, le lit est démesuré, des personnages effrayants passent, un immense lapin gonflable surgit comme un monstre, des croix apparaissent de plus en plus grandes au fur et à mesure qu’avance le spectacle. Les scènes s’entrecroisent et se superposent.
Soudain, surgit un monumental lapin dans la chambre du fils de Marie © Alain Hanel
A la fin, Fau installe l’enfant sur une statue équestre, là où on a l’habitude de le voir chevaucher un simple balai. L’innocence de l’orphelin est ainsi couronnée, lorsqu’autour de lui les enfants chantent « Deine Mutter ist tot » (« Ta mère est morte ») et que lui-même continue à chanter « Hop, hop… » comme si de rien n’était. On a le cœur serré.
L’interprétation vocale et orchestrale est admirable. On applaudit le naturel avec lequel les acteurs pratiquent le parlé-chanté et les musiciens déroulent leur partition aux lignes mélodiques déchirées.
La Marie d’Annemarie Kremer est proprement admirable, réalisant l’exploit de concilier le bel canto de la voix avec l’expression du sprechgesang.
Même chose pour Birger Radde en Wozzeck, lequel est étonnant de vérité dans la restitution de son personnage fou, hagard, violent ou dépassé.
Mikeldi Atxalandabaso a la redoutable charge d’ouvrir le spectacle dans le rôle du capitaine. Par son brio et son aisance dans le parlé-chanté, il nous fait comprendre dès l’entrée que le spectacle sera réussi. On ne dira jamais assez l’importance des premières minutes d’un spectacle !
Par l’autorité de sa voix et de sa présence, Albert Dohmen s’affirme dans son rôle de médecin. De même Daniel Brenna dans celui du tambour major.
Michael Porter est un bon soldat Andras.
Il est jusqu’au fou d’Andreas Conrad qui, en trois mots innocents, vous glace un auditoire.
Le chef Kazuki Yamada porte son orchestre à incandescence. Nous l’avons dit, il déroule avec aisance une musique qui charrie les éclats d’une tonalité atomisée. Il souligne à tout moment les noirceurs et les violences du drame, donnant à son orchestre le poids d’un vrai personnage.
Bref, ce Wozzeck tout Fau a tout juste !