Troisième et dernier volet du cycle de la modernité allemande confié par Christophe Ghristi à Michel Fau – après Ariadne auf Naxos et Elektra – la nouvelle production de Wozzeck au Théâtre du Capitole est aussi l’occasion d’une flopée de prises de rôle.
En effet à l’exception de Wolgang Ablinger-Sperrhacke, capitaine truculent jusque dans le falsetto le plus grotesque, capable de plier son instrument aux écarts meurtriers du rôle, les autres chanteurs de la distribution étrennent ce soir celui qui leur est dévolu. Bien entendu, le Wozzeck de Stéphane Degout fait sensation : la diction allemande est irréprochable, le portrait du brave type paumé au fou dangereux remarquablement conduit. Le timbre offre toute la séduction et la plasticité qui permet de suivre les intentions interprétatives du baryton français. Sophie Koch éprouve plus de difficulté dans l’aigu de la tessiture régulièrement sollicité par Marie. Mais on s’incline là aussi devant le Sprechgesang méticuleux et l’art de diseuse. Nikolai Schukoff en impose vocalement en Tambour-Major. Il se rit autant des autres que de l’écriture tendue du rôle. Thomas Bettinger (Andres) concède quelques tensions dans la ligne vocale mais propose un personnage vigoureux. Falk Struckmann croque l’hybris presque psychopathique du Docteur grâce à un volume conséquent assis sur une précision rythmique remarquable dans ce rôle à l’écriture hachée. Anaïk Morel compose une Margret espiègle au milieu de seconds rôles tous excellemment tenus. Saluons enfin la remarquable performance d’acteur de Dimitri Doré, en scène pendant toute la représentation et dont le jeu est la pierre angulaire de l’axe de mise en scène choisi par Michel Fau.
En effet, tout ce drame sordide est vu par le biais du regard de l’enfant et ce parti pris fonctionne pleinement. Tout se déroule pour ainsi dire, dans cette chambre biscornue, aux lignes de fuite incongrues, où ce lit démesuré et difforme est le théâtre des fornications, des meurtres et des rares moments de tendresse. La chambre se fait tour à tour accueillante ou inquiétante, comme lorsque ce lapin sardonique géant se gonfle ou qu’un lézard escalade les murs (des animaux cités par Wozzeck dans sa paranoïa). Elle justifie aussi la direction d’acteur expressionniste demandée à la plupart des interprètes : Wozzeck marche en canard, son coupe-chou toujours en main ; le Capitaine surveille ses arrières ; le Tambour-Major parade en permanence. L’esthétique du décor seconde ce geste en faisant contraster l’univers de la BD à l’avant-scène (on pense à Tardi ou à Jean-Pierre Jeunet) et une manière classique en fond de scène où trône une Diane et un Lion de Venise. Costume et maquillage soulignent tous les traits de cet univers de cauchemar. Enfin, cet axe de lecture renforce, s’il le fallait encore, la dernière scène glaçante de l’œuvre : tout l’expérience médicale et sociale qui détruit Wozzeck fait des victimes collatérales, au premier rang desquelles son enfant, insensible à l’annonce de la mort de ses parents et dont les « hop-hop » résonnent comme les premiers cris du monstre en devenir.
© Mirco Magliocca
Les chœurs et Maîtrise du Théâtre du capitole jouissent d’une préparation irréprochable cependant que l’orchestre du Capitole se parent de couleurs fauves et de belles dynamiques sous la direction de Leo Hussain. Il manque un chouïa de corps aux cordes, le Capitole ayant fait le choix de retenir la réduction orchestrale arrangée par Erwin Stein (1928) mais cela n’obère en rien de la qualité de l’exécution musicale.