En 1999, une jeune mezzo scandinave brûlait les planches en Néron adolescent sniffeur de cocaïne dans Agrippina dirigée par René Jacobs. Quinze ans après, Malena Ernman nous revient dans un Haendel, mais elle tient cette fois le rôle-titre, et le tyran potentiel qu’était le fils d’Agrippine est devenu un tyran à part entière. après avoir montré ses dons pour la tragédie en incarnant une déchirante Didon Salle Favart, la chanteuse montre qu’elle excelle aussi dans la comédie. La voix possède incontestablement l’ampleur nécessaire, et la présence scénique était là dès les débuts : tout irait donc pour le mieux si…
Si Jean-Christophe Spinosi, qu’on pourrait croire apaisé, avec une ouverture jouée à une allure raisonnable, ne persistait à prendre les airs vifs à une vitesse « bartolienne », ce qui, certes, met en avant la virtuosité de ces moments, mais oblige aussi les interprètes à perdre de vue la beauté du chant pour se transformer en mitraillettes émettrices de sons ultra-rapides. Les artistes réunis pour cette production suédoise, créée à Stockholm à l’automne dernier, arrivent à tenir le rythme, ce qui est tout à leur honneur, mais la recherche de vélocité implique-t-elle de sacrifier toute autre considération ?
Kerstin Avemo © Mats Bäcker
Par ailleurs, tout irait pour le mieux si Malena Ernman, ici transformée en une sorte de Patrick Juvet viril, se produisait dans une mise en scène moins soucieuse d’efficacité, et davantage d’élégance. Le spectacle réglé par Lars Rudolfsson dessine clairement le profil psychologique des personnages principaux, mais avec au moins une lacune cruciale : loin de justifier l’amour qu’elle inspire aux deux frères ennemis, Romilda est ici parfaitement insipide et horriblement mal fagotée – si les costumes des messieurs évoquent un improbable dandysme intemporel, ceux des deux sœurs sont assez vilains. Hanna Husahr est malheureusement dénuée de toute séduction vocale et réduit l’héroïne à une geignarde ennuyeuse. Plus peste que jamais, affublée d’une perruque hideuse, Atalanta est franchement antipathique pendant tout le début du spectacle, ce qui est peut-être lié à la voix agile mais parfois un peu acide de Kerstin Avemo. Même si l’on pourrait rêver d’un timbre plus grave, Ivonne Fuchs est une belle Amastre, qui pâtit, elle aussi, des maquillages pailletés, voire clownesques, imposés à la distribution. Du rôle comique d’Elviro, le vétéran Bengt Krantz ne tire vraiment pas grand-chose, pas plus hélas que Jakob Zethner en Ariodate, dont la suffisance et la bêtise ne sont pas du tout exploitées. D’abord un peu effacé, David DQ Lee se déchaîne vers la fin, notamment dans un air où il apostrophe le chef, comme l’ont fait certains de ses collègues.
Contrairement à ce qui est le cas dans la magistrale production de Serse qu’avait livrée Stefan Herheim, cette relation intermittente entre les chanteurs et les instrumentistes ne relève d’aucun parti-pris développé : il s’agit juste d’un petit gag, comme l’arrivée d’une moitié de l’orchestre par la scène pendant l’ouverture (bravo à l’Ensemble Matheus qui réussit à jouer tout en se déplaçant sur un plancher de bois vallonné). C’est amusant, mais ça ne veut rien dire. Tout aussi gratuites, les évolutions des quatre gardes-du-corps de Xerxès, silhouettes androgynes habillées en style Courrèges, dont deux acrobates et deux malheureuses chanteuses censées à elles seules remplacer le chœur exigé par la partition à plusieurs moments.