Vers la fin des Années folles, juste avant la grande dépression économique, toute une société frivole et inconsciente jouait à s’étourdir : ces créatures aisées, légères et bourrées de contradictions, ce sont les personnages de Yes ! L’opérette de Maurice Yvain est certes moins connue que ses cousines Ta bouche (1922), Là-haut (1923) ou Pas sur la bouche (1925). Elle ressasse un peu les mêmes recettes, mais constitue néanmoins une œuvre intéressante aujourd’hui à plus d’un titre. D’abord musicalement avec ses côtés swing jazzy, ensuite intellectuellement avec l’image qu’elle donne de la société d’alors, assez proche de celle de La Règle du jeu de Jean Renoir, mais certes beaucoup plus souriante.
L’action peut se résumer à un jeu autour du mot « oui » (« Yes ») qui déclenche une foule de mésaventures. Sous le prétexte de se marier avec la première venue pour échapper à celle que son père veut lui faire épouser, Maxime part pour Londres, suivi de toute une ribambelle de personnages improbables et souvent profiteurs, dont certains flirtent avec le music-hall et un communisme d’opérette, et cela toujours frénétiquement. Le sujet est donc mince et les mésaventures attendues, même si elles sont soutenues par une musique bien dans son époque. L’œuvre avait été présentée en 2015 par la compagnie des Frivolités parisiennes, dans sa version originale pour deux pianos. On la retrouve aujourd’hui arrangée pour deux pianos, contrebasse, vibraphone et percussions.
© Photo Michel Slomka
Les musiciens sont tout à fait excellents, les chanteurs aussi. Tous les ingrédients sont donc réunis pour que l’on passe une excellente soirée. Malheureusement, le résultat n’est pas à la hauteur des attentes. Sans vouloir essayer d’analyser les possibles raisons des sentiments mitigés que l’on ressent à la sortie de cette sympathique production, il est certain qu’il y a à la base un sérieux déficit de mise en scène. Bogdan Hatisi et Vladislav Galard semblent avoir plus fait de la mise en place que de la véritable direction d’acteurs, qui sont souvent là sans y être, car ils n’arrivent pas à exprimer le pourquoi de leur présence. Sans beaucoup de prétextes ni d’idées amusantes pour mettre leur jeu en valeur, ils donnent l’impression d’être laissés à eux-mêmes. Et de plus on a la sensation de morceaux disparates collés bout à bout, au lieu d’une sauce bien liée. Dans ces conditions, seuls bien sûr s’en sortent vraiment les « bêtes de scène » qui imposent les qualités d’un jeu et d’une réflexion personnels bien assurés.
Flannan Obé campe un Roger de haute volée, pas si simple qu’il n’y paraît au premier abord, auquel il imprime toute une gamme de facettes imprévues. Il lui apporte également son art consommé de la scène, sa prestance et un jeu d’une grande variété, allant jusqu’aux claquettes ! Si l’on ajoute sa voix de ténor claire et bien projetée avec une diction parfaite, on comprend que cette belle interprétation est de celles que l’on n’oubliera pas. A ses côtés, Caroline Binder crée une Clémentine absolument désopilante. Le rôle avait été créé par Arletty, dont le disque a conservé l’interprétation de la chanson « Je cherche un emploi ». Loin de vouloir copier son illustre devancière, elle s’approprie le texte en grande diseuse, et crée un personnage original, sorte de Zézette (du Père Noël est une ordure) poussant la chansonnette. C’est vraiment drôle, jamais excessif, bref un grand moment de théâtre.
Alors, peut-être le reste de la distribution, sans jamais démériter, souffre-t-il de la force de ces deux excellentes prestations ? Car on s’ennuie souvent, et tout paraît bien fade, à commencer par le personnage de Maxime (Célian d’Auvigny) qui malgré des efforts méritoires peine à s’imposer. De même, Clarisse Dalles (Totte) n’arrive pas à rendre justice à l’air « Yes » que tout le monde attend (« Je ne me doutais guère, quand je suis partie pour l’Angleterre… »), et dont on a dans l’oreille le phrasé et l’humour de Felicity Lott qui le distille avec un art si consommé fait d’inflexions et de nuances d’une grande subtilité.
Question de style vocal, de balancement orchestral, de respirations ? Toute la représentation manque de chien, manque d’intonations, de contrastes, bref, ça ne swingue pas assez, et les moments forts n’étant pas bien mis en valeur, se trouvent laminés par le tout-venant. Sans doute aussi le théâtre de Puteaux, avec son grand plateau, peut-il avoir déconcerté la troupe ? Mais comme on n’est qu’au tout début de la tournée, sans doute la série de représentations à l’Athénée va pouvoir permettre de redonner du punch à ce spectacle beaucoup trop sage.
A voir à La Rochelle, Dinan, Paris (Athénée-Louis Jouvet pour les fêtes), Vichy, Charleroi, Niort et Haguenau.