Après le succès de la Dame Blanche de Boieldieu en 2020 et 2021, l’Opéra de Rennes et ses coproducteurs font appel à la même équipe artistique pour donner corps à la Zaïde inachevée de Mozart.
Louise Vignaud et Alison Cosson ont choisi d’expurger la turquerie du livret lacunaire pour le recentrer sur sa dimension de conte philosophique autour de problématiques telles que l’inné/l’acquis, le respect de l’altérité ou encore l’aspiration à la liberté. Ce parti pris évite agréablement le jeu des sept erreurs avec l‘Enlèvement au Sérail et la Flûte Enchantée. Il s’affranchit également de l’exotisme facile pour un décor unique de rochers noirs qui, en revanche, ne facilite pas la diversité des propositions visuelles et enferme les artistes dans des déplacements assez répétitifs.
Zaïde Opéra Rennes © Laurent Guizard
Ici, Zaïde n’est plus l’esclave du sultan Soliman, Allazim n’est plus son serviteur ; le geôlier Osmin, lui, n’apparaît plus. Clin d’oeil à la Tempête de Shakespeare, tous trois, enfants, ont échoué sur une île, personnifiée par l’esprit Inzel. L’équilibre de cette fratrie rousseauiste vivant à l’état de nature est rompu par l’arrivée de Gomatz, nouveau naufragé, promesse d’exogamie, manifestement venu de temps contemporains.
Merveilleusement habillée par Cindy Lombardi – moins inspirée pour les autres costumes , – la comédienne Marief Guittier met à profit toute l’aisance de sa longue carrière pour colorer délicieusement d’ironie ou de tendresse la narration d’Inzel qui nous conte l’histoire.
Une distribution plus largement francophone n’aurait pas manqué de pertinence au vu de l’importance des dialogues parlés, écrits en remplacement des originaux perdus. Ceci dit, le français à l’accent chantant de Kseniia Proshina est parfaitement compréhensible. L’artiste domine la distribution dès le « Ruhe Sanft » qui impose son soprano ductile et intense. Au fil des airs, elle ne se départit jamais d’une grande élégance vocale, d’un sens de la ligne remarquable, même lorsque l’on attendrait plus de lâcher-prise comme dans « Tiger ! Wetze nur die Klauen ».
Avec elle, Zaïde se dresse avec force et conviction contre le diktat que tente de lui imposer Soliman, un Mark van Arsdale qui joue de la métaphore récurrente faisant de lui un fauve pour mâtiner d’animalité son engagement physique. L’émission est d’un grand naturel même si on lui voudrait plus de puissance. Avec ses certitudes qui vacillent, le ténor propose une interprétation sensible et intense comme dans « Ich bin so bös als gut ».
Son rival, Gomatz, est finalement plus prétexte que moteur de l’action ; aussi passif qu’amoureux, il est spectateur des volontés affrontées des autres protagonistes et attend que l’on décide de son sort. Kaëlig Boché, breton qui fait partie de la promotion 2023-24 de Génération Opéra et que l’on devrait donc entendre à de nombreuses reprises dans les temps qui viennent, lui prête son beau timbre de métal clair. Légèrement en difficulté dans son premier air, « Rase, Schicksal », dont la tessiture s’avère un peu tendue dans les aigus, il s’épanouit dans les ensembles (très équilibrés) ainsi que dans son second solo, « Herr und Freund, wie dank ich dir ».
L’Allazim de Niall Andersson est presque mieux servi par le livret et le dilemme qui l’agite – fuir ou rester – est particulièrement touchant dans « Nur mutig, mein Herze ». La voix, très large, s’engorge quelque peu dans les aigus mais bénéficie de graves bien timbrés.
Zaïde Opéra Rennes © Laurent Guizard
Le compositeur-arrangeur Robin Melchior a créé la transcription pour 18 musiciens de la Dame Blanche. Il collabore de longue date avec le chef Nicolas Simon dans le cadre de la Symphonie de Poche. Leur complicité est perceptible dans la proposition de musiques additionnelles complétant les parties manquantes de la partition. Renonçant au pastiche, le compositeur choisit une veine narrative très évocatrice : le début de l’œuvre est particulièrement réussi avec l’évocation musicale de la tempête qui semble rendre hommage à Britten tandis qu’un léger rideau noir agité par les vents en complète l’incarnation. La seconde intervention s’intègre avec la même fluidité dans le discours musical: l’aube orchestrale pourrait être celle d’une bande originale de cinéma. Un ultime passage, hymne à l’ivresse de la liberté chanté par la cantatrice, « Auf geht’s », nous place cette fois sous le patronage peut-être un tantinet direct de Broadway. L’orchestre de Bretagne tout en retenue et délicatesse, soutient les chanteurs d’une écoute indéfectible tout au long de la soirée.
Après cette première rennaise pour quatre représentations qui se donneront à guichets fermés les 8, 10 et 12 février prochains, la production est à découvrir à Nantes, Quimper et Besançon d’ici fin mars avant une reprise la saison prochaine à l’Opéra Grand Avignon.