Commencée avec une Flûte enchantée à Zurich, la saison 2017-18 se terminera pour Stanislas de Barbeyrac sur un autre Tamino, à Aix-en-Provence. Mais entre prises de rôle et diverses sorties discographiques, cette année est également riche de nouveautés pour le ténor français, qu’on retrouvera dès le 8 décembre dans Dialogues des carmélites à Bruxelles, où la production d’Olivier Py sera donnée avant de revenir au Théâtre des Champs-Elysées.
Vous n’en avez pas un peu marre de Tamino ?
Ah, ça, c’est la question existentielle, en ce moment ! Je sors d’une séance de travail avec mon pianiste, et nous en parlions justement. Bien sûr, en un sens, la musique de Mozart se suffit à soi-même, et je ne m’en lasse pas. Mais il se trouve que le propre de mon métier est d’exister sur scène, et plus je chante La Flûte enchantée, plus je me rends compte que c’est un titre piège : souvent, les metteurs en scène essayent de faire du style parce que c’est un ouvrage déjà tellement vu, et finalement il ne se passe rien.
J’imagine que vous ne voulez pas citer de noms ?
Non, ce n’est pas la peine… Je dirai simplement qu’il y a eu très peu d’occasions où Tamino a été « nourrissant » pour moi d’un point de vue artistique. Mais c’est la réalité du job, donc il faut quand même arriver à en faire quelque chose. Le travail est plus ou moins passionnant, selon les collègues parmi lesquels je suis, selon le metteur en scène, ou même selon l’humeur dont je suis. Depuis quelques années, je chante beaucoup Tamino, mais j’espère toujours y trouver encore du neuf, parce qu’un chef va me demander telle couleur à un endroit où je n’y avais jamais pensé, parce qu’il y aura recherche spécifique sur le plan vocal, ou un personnage à fouiller davantage. Hélas, ce n’est pas toujours le cas. Et comme ce rôle est pour moi une sorte de cheval de bataille, c’est assez compliqué. Je sais que je le chanterai encore dans quatre ans, j’en ai sur mon agenda jusqu’en 2021. Il faut que je m’y tienne, déjà pour la santé de ma voix. C’est un rôle un peu charnière, entre ce que je fais maintenant et ce que je serai capable dans quelques saisons. Un bon rôle est un moyen de montrer le futur de sa voix, si on sent qu’elle peut aller vers autre chose.
Mais c’est un rôle un peu frustrant, non ?
Après le premier air, il y a encore tout le final avec le récit du Sprecher, de la belle musique, quand même, mais c’est vrai que le deuxième acte est un peu un tunnel. Enfin, je ne suis jamais mécontent de le retrouver, car à chaque fois, je sens que des choses nouvelles apparaissent dans ma voix, je trouve plus de souplesse, ou bien c’est l’occasion d’une recherche de couleurs, de dynamiques. J’aime rechercher des textures avec la voix comme dans un orchestre, oser des choses ; ça passe ou ça casse, mais comme je le chante très souvent, ce n’est pas très grave…
Don Ottavio ne vous offre guère mieux sur le plan dramatique.
Don Ottavio, c’est un peu pareil : il faut qu’un metteur en scène soit capable d’en faire quelque chose. C’est trop facile de le présenter comme un jeune noble naïf qui passe à travers l’histoire et auquel on dit à la fin qu’il doit encore attendre un an. Non, Ottavio a une personnalité, un charisme, une éducation, il n’est pas simplement spectateur de l’action. Si l’on arrive à en faire un personnage de viril, cela colore la musique aussi. Je l’ai chanté essayé à Drottningholm sans « Dalla sua pace », puis à San Francisco avec les deux airs : je ne dis pas que « Dalla sua pace » apporte quoi que ce soit à l’intrigue, mais cet air est musicalement et artistiquement intéressant. Il permet de déployer des couleurs, des envies musicales. Cela dit, Don Ottavio n’est pas un personnage facile à vendre, c’est certain, et j’en ai aussi un paquet qui m’attend. Mais comme Tamino, c’est bon pour ma santé vocale, et je peux y intégrer ma voix future.
D’autres rôles mozartiens en perspective ?
Pas tant que ça. On m’a proposé Titus, que j’ai refusé, parce que j’ai estimé que ce n’était pas le moment. J’aimerais chanter Belmonte, et un jour peut-être – sûrement, même – Idoménée. Ce rôle a une couleur mozartienne qui m’irait bien, je pense. J’aimerais vraiment le faire, dans quelques années. Et puis, ça me laisse quelques années pour travailler les coloratures !
Et Ferrando ?
Je m’y suis essayé il y a longtemps, mais je ne me sentais pas tout à fait dans mes pompes. L’écriture est tendue, il y a une tessiture à tenir, cela exige une véritable endurance. C’est un rôle faisable mais pas agréable, donc je l’ai mis de côté. A vie !
Gluck vous offrirait-il des personnages plus intéressants ?
J’ai vécu comme une révélation cet Alceste à Garnier, où je chantais Evandre et où j’étais la doublure de Yann Beuron pour Admète (lors de la reprise en 2016, j’étais Admète aux côtés de Véronique Gens). J’ai pu explorer la partition à fond, et j’ai adoré cette musique, qui désormais me colle à la peau. Ça arrive parfois : on découvre un compositeur et on se dit : « Ça, c’est moi ». Je pense que Gluck laisse aux chanteurs une plus grande liberté que Mozart, chez qui on est tenu par la difficulté technique de la ligne, du style. Sans basculer dans un vérisme hors de propos, on peut se permettre chez Gluck plus d’inflexions vocales. Et puis il y a la langue française, c’est un fait.
Vous le rechanterez bientôt ?
J’adorerais reprendre Alceste, mais il n’y a pas de projet prévu. En revanche, J’ai d’autres Gluck à venir, Armide et Iphigénie en Tauride, ce dont je suis très content. Renaud est un rôle un peu ingrat, mais j’ai beaucoup aimé le faire : il y a cette splendide invocation à la nature, qui me plaît énormément, c’est une musique qui me parle. Ça, je ne vais pas le mettre de côté, car c’est aussi un rôle-charnière pour le futur de ma voix.
Vous parlez beaucoup du futur de votre voix, comment l’envisagez-vous ?
La programmation des maisons d’opéra est établie très en avance, mais il est très compliqué pour un jeune chanteur de savoir ce que sera sa voix dans quatre ans. D’un autre côté, trop de prudence peut constituer un frein et empêcher la voix de s’épanouir.
Alors quelle est la solution ?
Mon calendrier se remplit de Tamino et de Gluck, avec parfois un petit défi en italien, ce qui est bien pour l’évolution de ma voix. Ces « excursions » permettent de voir comment la voix réagit, et comment cela est perçu par la critique et par le public, car on a tendance à dans notre pays mettre des étiquettes sur les gens. Je ne gagne pas à tous les coups, mais au moins j’ai essayé, et même dans une expérience négative, il y a toujours quelque chose à retenir, un geste, une couleur. Me mettre des petits défis. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un changement de répertoire, mais d’un élargissement de mon univers. Je n’aime pas qu’on dise : « Mozart et Gluck, ça lui va, pour le romantique on verra quand il sera grand ».
Vous vous voyez en Alfredo ou Rodolfo ?
Il y aura un Alfredo, c’est prévu. Rodolfo, en revanche, je pense que je n’y toucherai pas. Je suis content que Marseille m’ait engagé pour Macduff, car cela m’a fait trouver des choses, mais ce n’est pas le type de rôle qu’on me propose spontanément parce qu’il y a des tas de gens qui font ça mieux que moi et dont c’est la spécialité. Je suis en pleine réflexion, avec mon coach, avec mes agents. Je me pose beaucoup de questions, j’explore, j’essaye des choses « en laboratoire », avec mon professeur, mais il y a des évidences qui ne sont pas forcément faciles à entendre. Je pense qu’il me sera plus facile d’attaquer La Damnation de Faust que de chanter Manon, par exemple. Berlioz est ce vers quoi j’aimerais aller, et je voudrais aussi explorer aussi Wagner.
On vous a entendu dans Tristan à Bastille…
Oui, j’ai chanté le marin et le pâtre dans Tristan. J’ai aussi été Walther dans Tannhaüser, et c’est univers qui me plaît bien. En fait, il faut savoir faire les bons choix. Quand on est jeune, on écoute ce que les gens disent quand ils vous entendent en salle. Plusieurs personnes de confiance, en entendant mon Tamino, entendent certains Wagner bien précis. Dans le répertoire français, je tiens à éviter les pièges : chez Massenet, l’orchestration est lourde, je n’ai pas envie de ça trop tôt, mais disons que le Faust de La Damnation ce serait un rôle charnière intéressant dans quatre ou cinq ans.
Pour cette saison, la grande nouveauté s’appelle Pelléas.
Je suis en plein dedans, en plein travail avec mon coach et mon pianiste, et ça a commencé cet été. Je suis ravi, car ce sera chez moi, à Bordeaux, mais le timing est serré, et il s’agira finalement d’une version semi-scénique, où nous chanterons par cœur, donc ça représente beaucoup de travail. Avec Chiara Skerath et Alexandre Duhamel, nous sommes trois à faire notre prise de rôle. Il y aura douze jours de répétitions, c’est chaud ! Il faut arriver très prêt, et ça représente énormément de travail. Musicalement, c’est compliqué, et il y a un texte à défendre, qu’il faut avoir dans la voix et dans le corps, pour exprimer tout ce qu’il y a à dire, qui est tellement riche. J’espère que ça se passera bien, car c’est un grand défi.
Pour vous, Pelléas est un ténor ?
Pas de doute, c’est écrit comme ça, pour un ténor lyrique. Debussy voulait un ténor, l’histoire a fait que le premier Pelléas était un baryton. Je n’ai rien contre les barytons qui chantent le rôle, mais le rapport avec Golaud est plus intéressant quand Pelléas est confié à une voix de ténor. C’est vraiment un défi intéressant pour moi à ce moment de ma carrière, j’espère que j’aurai souvent l’occasion de le rechanter autant que Tamino pour m’approprier vraiment le personnage.
Et pour vous en lasser comme de Tamino ?
Je ne pense pas que je me lasserai jamais de Pelléas !
En 2017-18, vous allez aussi beaucoup chanter Poulenc.
Toute cette série de Dialogues des carmélites, c’était un peu un package avec Bruxelles et le TCE. Je ne connaissais pas cette production, dont tout le monde me disait du bien, et j’avais très envie de retravailler avec Olivier Py après Alceste. Il y a une super équipe de chanteurs française, et c’est bien de travailler avec des amis. Cela va me permettre de faire mes premiers pas à Bruxelles avec un ouvrage très intéressant : le rôle du Chevalier de la Force est court, mais intense. Dialogues des carmélites est un ouvrage que j’adore ; en répétitions, même quand je n’ai rien à chanter, je reste dans la salle pour écouter les autres. C’est aussi un choix que j’ai fait sciemment, pour ne pas enchaîner les prises de rôle trop exigeantes. Et puis je n’avais encore jamais travaillé au TCE.
Cela compte beaucoup à vos yeux, vos premiers pas dans une salle prestigieuse ?
Il faut pouvoir le faire avec les bons rôles. C’est pour ça aussi que j’ai beaucoup de Tamino à venir dans de grandes salles où il est important de ne pas se tromper. L’univers lyrique est impitoyable, il faut arriver avec le bon rôle au bon moment, et savoir se dégager du stress inhérent à l’endroit où on chante, donc il est bon de faire ses premiers pas avec des choses qu’on a dans le corps. C’est un peu un choix stratégique !
En fin de saison, on vous verra dans L’Heure espagnole, alors que Gonzalve est un rôle que l’on associe plutôt à des ténors du genre de Michel Sénéchal.
J’ai accepté car j’avais très envie de participer à ce spectacle. C’est vrai qu’on a eu l’habitude de voix plus légères dans ce rôle, mais j’adore entendre Yann Beuron là-dedans, et je m’inscris plutôt dans ce type d’interprétation-là. Gonzalve est un poète, mais il y a un vrai lyrisme dans ses phrases.
Vous avez par ailleurs une belle actualité discographique.
Il y a d’abord le disque de Lieder de Schubert orchestrés. Le récital de mélodie est quelque chose que j’essaye de placer au maximum dans mon agenda, et qui me permet d’explorer un autre répertoire. C’est vraiment très important pour moi. C’est un exercice difficile, une mise à nu pour laquelle il faut avoir confiance en soi, et puis on est obligé de chercher un tas de choses, faire une recherche sur le texte. On a tous envie de faire éclore le poème à sa juste valeur, mais quand la musique vient se greffer dessus, il y a un geste vocal à assumer, dans une intimité qu’on ne trouve pas toujours sur une scène, parce qu’à l’opéra il y a du bruit. Notre métier, c’est le bruit. La musique, c’est un bruit, la voix est un bruit que l’on façonne. Dans le récital, on est tout seul avec le pianiste, en fait c’est un duo. J’ai déjà exploré pas mal de cycles. Cette saison j’ai des récitals prévus en France, je n’ai encore jamais chanté les Nuits d’été à Paris, j’aimerais bien le faire. Au disque, il y a aussi Les Troyens, où je n’ai qu’un tout petit rôle, mais je garde un souvenir formidable de ces concerts à Strasbourg. Et au printemps sortira le Saint-François d’Assise de Gounod, pour le bicentenaire de la naissance du compositeur.
Pour Schubert, vous partagez la vedette avec la mezzo Wiebke Lehmkuhl. Bientôt un disque en solo ?
Il faut faire les choses petit à petit. Au départ, le disque ne figurait pas du tout dans mes tablettes, mais j’ai été amené à y goûter un peu, quand Julie Fuchs m’a demandé de lui donner la réplique dans son disque Yes ! C’était une bonne façon de s’habituer à ce genre de travail, qui est complètement différent de la scène mais extrêmement intéressant. Et d’avoir travaillé avec tous ces gens, j’ai pu les intéresser et maintenant le récital solo est en projet. J’y ai réfléchi, j’ai déjà pas mal d’idées, mais je ne veux pas le faire en vitesse. Je ne suis pas très fort pour courir entre deux avions, faire trois jours de patch et un concert… Je sais comment je réagis à la fatigue, donc il faut que je trouve le bon moment, et que l’orchestre et le chef soient disponibles.
Vous les avez déjà choisis ?
Oui, et ça se fera avec eux. Mais pas demain !
Propos recueillis le 6 octobre 2017