A la faveur de la pandémie, vous vous étiez longuement entretenue avec Tania Bracq, il y a un peu plus de trois ans. Y a-t-il des leçons à tirer de cette épreuve ?
Le confinement nous a permis de prendre le temps de se poser des questions autant personnelles que professionnelles, et plus précisément pour ce second point, sur l’état de la création et du métier. J’ai trouvé dans les questions qu’il y avait des prises de conscience et des réflexions plutôt positives, malheureusement on peut constater que la reprise est voilée de peur quant au manque de moyens. Mais je garde espoir, car il y a beaucoup de gens passionnés dans notre milieu et face à la passion il n’y a pas d’obstacle, il n’y a que des solutions
Vous êtes familière de la mélodie française (CD de 2014 et de 2021-Pauline Viardot), or, sauf erreur, le monde qu’ouvrent les mélodies de Poulenc, votre arrière grand-oncle, n’apparaît pas dans votre répertoire… L’héritage familial est-il lourd à porter ?
Non, cet héritage est plus une fierté, un privilège qu’un poids ! J’ai souvent interprété du Poulenc sur scène (la Dame de Monte Carlo, le Dialogues des Carmélites, la Voix Humaine que je reprends à Lausanne début novembre,… et un peu moins les mélodies, il est vrai, même si j’ai présenté lors de récitals Les fiançailles pour rire ou encore Trois poèmes de Louise de Vilmorin, mais il n’y a pas d’enregistrement pour l’heure !
Les Nuits d’été… rarement chantées il y a cinquante ans (Danco, Crespin, étaient sans rivales), connaissent une diffusion incroyable. Il ne se passe pas de semaine que tel festival, telle saison de concerts ne l’affiche. Comment expliquer ce phénomène ?
Maintenant nous sommes beaucoup plus curieux du répertoire français et il est bon de nous en réjouir, en Angleterre , Berlioz est joué depuis bien longtemps.
Vous les avez chantées fréquemment et les redonnerez avec l’ONF à Radio-France le 24 mars. Comment adaptez-vous votre interprétation à des chefs et des orchestres aussi différents ?
Comme pour une production d’opéra, je me considère comme une page blanche. Le temps des répétitions permet de créer l’objet du moment. Je ne suis pas intéressée par le fait de faire toujours la même chose. Changer de chef et d’orchestre permet ces «variations», cela me permet de travailler une certaine souplesse d’interprétation. Mon effort principal est de me rendre disponible à toutes propositions et de moi-même être force de propositions.
Ce même Orchestre Symphonique de Mulhouse vous avait accompagnée dans une mémorable Carmen (Jean-François Sivadier signait la mise en scène) que montait l’Opéra du Rhin, en 2021. Quel souvenir en gardez-vous ?
Un souvenir magnifique ! Cette Carmen est très symbolique pour moi, car ça a été ma première Carmen (en 2010) dans cette mise en scène… et je l’avais déjà adorée à cette époque. J’étais donc très enthousiaste de la reprendre. De l’orchestre au plateau ce ne fut qu’une implication de tous, formidable. Là, je sais pourquoi je fais ce métier avec des partenaires, un orchestre, un chef, un metteur en scène… fantastiques.
A l’occasion de la recréation de cette même Carmen dans la mise en scène originale, par l’Opéra de Rouen, quel regard jetez-vous sur la démarche ?
Essayer de retrouver la forme originelle peut être touchant et intéressant. De réaliser l’évolution , ce que les différentes époques ont apporté . Moi qui interprète du baroque, je suis habituée à l’exercice, avec des mises en scène autant classiques que très modernes .. il est important de rester ouvert , curieux et souple.
Certaines mises en scènes, audacieuses, voire provocatrices, vous font-elles réagir ?
Les mises en scène me stimulent si je les trouve intéressantes. Si le metteur en scène aime profondément l’oeuvre, est passionné et passionnant, je peux adhérer à ses propositions. Aujourd’hui, je suis à un moment de ma carrière où j’ai la chance de pouvoir choisir avec qui je travaille. Quand je me retrouve en «désaccord» avec un metteur en scène, j’ai toujours réussi à trouver – entre personnes de bonne volonté – des compromis. En fait, j’essaie d’abord de comprendre ce que veut le metteur en scène, de comprendre sa démarche, pour pouvoir lui proposer, à mon tour, quelque chose qui me correspond et qui va dans son sens.
Vos projets immédiats et à moyen terme ? La saison s’annonce particulièrement riche, de Haendel à… Poulenc, en passant par Donizetti, Chausson et Ravel (https://www.stephanie-doustrac.com/). Merci à Isabelle Théode, qui fait un travail remarquable.
Vous avez récemment abordé un autre registre avec Anna Bolena, Maria Stuarda et la trilogie Tudor (donc avec Roberto Devereux) qui s’annonce cette saison à Genève . Pourquoi avoir accepté un tel projet ?
J’ouvre une autre porte. Mon répertoire est très large et je n’avais pas encore exploré le bel canto. Tout est parti de la proposition de Mariame Clément, la metteur en scène, qui est une amie. Savoir que je partais pour trois saisons à Genève avec pour partenaire Elsa Dreisig, cela m’enthousiasmait. Par ailleurs, j’ai pu faire connaissance avec Stefano Montanari, le chef, qui lui aussi vient de mondes assez différents. Je me suis dit que ce serait une aventure stimulante et c’est le cas.
La saison 2023-24 est riche en prises de rôle et en interprétation de nouvelles œuvres (Marguerite, Agrippine ou encore Chausson avec le Poème de l’amour et de la mer). Qu’est-ce qui motive ces choix ?
Il serait plutôt extrêmement difficile de refuser ces propositions là. Je vis cela comme une grande chance de les interpréter.