C’est lui aussi une sorte de phénix. Détruit par un incendie en 1936 alors qu’il était considéré comme un des plus beaux théâtres au monde, le Teatro Regio de Turin est rené de ses cendres trois dizaines d’années plus tard sous une forme architecturale originale qui le distingue de ses congénères. Sur sa scène se sont succédé les plus grands chanteurs, ont été créés les opéras de compositeurs célèbres, La Bohème de Puccini étant l’arbre qui cache une forêt d’autres titres. Après une période incertaine, ce joyau des institutions lyriques italiennes refait surface depuis deux saisons sous l’impulsion de Mathieu Jouvin, son nouveau surintendant. Une étape recommandée dans le Grand Tour de l’amateur d’opéra.
Adresse : Piazza Castello 215, 10124 Torino, Italie
Institution lyrique hébergée : Teatro Regio Torino
Site Web : www.teatroregio.torino.it
Année de construction : 1967-1973
Architecte : Carlo Mollino (1905-1973)
Style architectural : « surréaliste », d’après Napoleone Ferrari, président et cofondateur du Museo Casa Mollino. Par « surréaliste » – style inexistant en architecture –, comprendre une réalisation concrète et visible d’une chimère, sujette à des interprétations multiples.
Inspiré par un rêve comme beaucoup de ses réalisations – dixit Mollino lui-même –, le Teatro Regio a l’œuf pour modèle, forme matricielle pouvant revêtir de multiples significations. Le plan du théâtre rappelle Le Violon d’Ingres de Man Ray, artiste que Mollino admirait. Seul le cadre de scène, ajouté en 1996 pour des raisons acoustiques, introduit des angles dans cet univers curviligne.
Le bâtiment se dissimule à l’est de la Piazza Castello derrière l’alignement d’arches et de fenêtres imaginé par Benedetto Alfieri au XVIIIe siècle. Passé la galerie Tamagno – du nom du ténor turinois, célèbre pour avoir créé le rôle d’Otello de Verdi –, le contraste entre l’austérité classique de cette façade et la modernité seventies des espaces publics apparaît violent. Tel un peigne dont l’écart entre les dents serait dessiné par douze double portes, l’entrée déverse son flot de spectateurs en direction des vestiaires, dans un vestibule moquetté de rouge et ponctué de canapés bornes stylisés. Les escaliers s’entrelacent et se ramifient sur trois niveaux pour offrir, mussés dans leurs méandres, des temps de repos ou de conversation. A l’entracte, c’est en apesanteur autour de deux bars elliptiques en marbre que l’on consomme tramezzini et prosecco. Avec ses nombreuses possibilités de déambulation, le soin porté aux détails mais aussi sa praticité, la facilité par exemple avec laquelle on entre et on sort de la salle, Mollino a retenu la leçon de Garnier – à l’inverse de bon nombre d’architectes du XX et XXIe siècle – : la dimension sociale et fonctionnelle du théâtre n’a pas été oubliée.
Dans la même teinte écarlate, l’auditorium apparaît comme une conque futuriste. Cerclées par des loges alvéolaires, les vingt-neuf rangées de siège descendent en pente douce vers la scène. Un dégradé d’indigo se charge d’animer le dôme auquel sont suspendues de manière apparemment aléatoire mille neuf cents tiges réfléchissantes de différentes longueurs, telle une pluie de lumière ou selon les interprétations, une nuée de spermatozoïdes fécondant l’ovule scénique. (accéder à la visite virtuelle du Teatro Regio)
Répertoire de prédilection : Le grand répertoire avec, depuis l’arrivée de Mathieu Jouvin en 2022, une ouverture vers l’opéra français en des titres moins rebattus : La Juive la saison dernière, Manon de Auber insérée entre celle de Massenet et Puccini lors de la récente trilogie autour de l’héroïne de l’Abbé Prévost, et l’an prochain la version pour ténor de Hamlet d’Ambroise Thomas.
Education : Depuis 1991, le projet La Scuola all’Opera offre une saison « ad hoc » à des milliers d’élèves, étudiants et enseignants quel que soit leur niveau. Ateliers, activités éducatives, visites guidées et cours d’initiation selon les âges et les profils constituent un large éventail de propositions destinées au monde scolaire. A ce projet, s’ajoute un riche programme de représentations en version de poche et d’œuvres conçues spécialement pour les enfants.
Histoire : Décidé en 1713 lorsque le Traité d’Utrecht, qui rattache la Sicile à la Savoie, accélère l’essor de Turin, le Teatro Regio n’est édifié qu’une trentaine d’années plus tard sous la direction de l’architecte Benedetto Alfieri. Inauguré le 26 décembre 1740 avec Arsace de Francesco Feo, le lieu s’impose immédiatement comme une référence en raison de sa capacité – 2500 places –, de la modernité de ses équipements et de sa magnificence, avec notamment sa voûte peinte par Sebastiano Galeotti. En un XVIIIe siècle italien épris de virtuosité baroque, les castrats s’y défient ; les compositeurs s’y confrontent. Des opéras de Galuppi, Paisiello, Gluck, Cimarosa, entre autres, sont créés à Turin.
L’effervescence politique du siècle suivant n’altère pas le rayonnement du lieu. Sous Napoléon, le théâtre change plusieurs fois de nom, devenant tour à tour Théâtre National et Théâtre Impérial, au gré des caprices de l’Histoire. Après le retour au pouvoir de la maison de Savoie, le Regio continue de s’ouvrir aux compositeurs de son temps tout en accueillant les plus grands noms du chant et de la musique. Richard Strauss y dirige la première italienne de Salome en 1906. Un violent incendie dans la nuit du 8 au 9 février 1936 tire le rideau sur cette histoire glorieuse.
Le temps, ralenti par la seconde guerre mondiale, s’étire entre le concours lancé dès 1937 pour un nouvel opéra, sa construction puis son inauguration le 10 avril 1973 par I vespri siciliani dans une mise en scène de Maria Callas et Giuseppe Di Stefano. Au cours de l’été 1996, l’auditorium fait l’objet d’importantes restaurations afin d’améliorer son acoustique.
Au XXIe siècle, sous la direction de Gianandrea Noseda, de 2007 à 2018, l’institution renforce sa visibilité internationale grâce à des tournées mondiales, tout en s’adaptant aux nouvelles technologies, comme la diffusion numérique de ses productions. Le départ orageux du chef d’orchestre en avril 2018 à la suite d’un conflit avec le nouveau surintendant, William Graziosi, entraîne une période d’incertitudes artistique et financière, à laquelle la nomination de Mathieu Jouvin en 2022 semble avoir mis un terme.
Premier opéra représenté : Francesco Feo, Arsace en 1740 ; Giuseppe Verdi, I vespri siciliani en 1973 (dans une mise en scène de Maria Callas et Giuseppe Di Stefano)
Créations marquantes :
Francesco Feo, Arsace (26 décembre 1740)
Niccolò Jommelli, Semiramide riconosciuta (26 décembre 1741)
Christoph Willibald Gluck, Poro (26 décembre 1744)
Giovanni Paisiello, Annibale in Torino, (16 janvier 1771)
Domenico Cimarosa, Artaserse (26 décembre 1784)
Gaetano Pugnani, Demofoonte (26 décembre 1787)
Saverio Mercadante, Didone abbandonata (18 janvier 1823)
Saverio Mercadante, I normanni a Parigi (7 février 1832)
Saverio Mercadante, Il reggente (2 février 1843)
Jules Massenet, Il re di Lahore (13 février 1878 ; nouvelle version en italien du Roi de Lahore créé à l’Opéra Garnier à Paris le 27 avril 1877)
Filippo Marchetti, Don Giovanni d’Austria, (11 mars 1880)
Alfredo Catalani, Loreley (16 février 1890)
Giacomo Puccini, Manon Lescaut (1er février 1893)
Giacomo Puccini, La Bohème (1er février 1896)
Alfonso Rendano, Consuelo (24 mai 1902)
Riccardo Zandonai, Francesca da Rimini (19 février 1914)
N.B. : Cette liste ne prétend pas à l’exhaustivité, chaque saison au XVIIIe siècle, du 26 décembre à la fin du Carnaval, comprenant deux nouveaux opéras serie écrits spécialement pour le Regio.
Meilleures places : Rangées 10 et 19, places de face (sièges de 1 à 20 environ). Ces deux rangées présentent l’avantage de disposer d’un large espace pour étendre ses jambes ; la première est souvent réservée par le protocole et le service presse ; le recul de la deuxième par rapport à la scène induirait une meilleure expérience sonore.
Acoustique : Favorable à l’orchestre au détriment des voix qui paraissent en retrait
Tarifs : Pour un opéra en version scénique, de 30 à 115€ (30 à 75€ pour certaines matinées), tarif majoré de quelques euros si achat en ligne.
Anecdote : Le sculpteur Umberto Mastroianni (1910 – 1998), auteur de l’Odissea musicale, la porte en bronze extérieure du Teatro Regio, est l’oncle de Marcello Mastroianni.
Autre anecdote mémorable : c’est avec une représentation exceptionnelle de La Bohème, chantée par Luciano Pavarotti et Mirella Freni, que fut célébré le 1er février 1996 le centenaire de la création de l’opéra de Giacomo Puccini. Sa retransmission en direct sur la chaîne de télévision Rai Due fut suivie par plus de trois millions de téléspectateurs. Le Piccolo Regio, la salle annexe d’une capacité de 288 places, a été rebaptisé Piccolo Regio Giacomo Puccini pour l’occasion.
Vestiaire : Face à l’entrée tout de suite après avoir passé les portes du Teatro Regio. Leur facilité d’accès et leur longueur – 30 mètres – sont une preuve supplémentaire du caractère fonctionnel du théâtre voulu par Carlo Mollino.
Bon à savoir : sur les côtés du vestiaire se trouvent deux salles de forme elliptique où une télévision permet aux retardataires d’assister au spectacle en attendant l’entracte pour gagner leur place.
Toilettes : Le talon d’Achille du bâtiment ; difficiles à trouver en raison d’une circulation intérieure volontairement labyrinthique ; au sous-sol près de l’entrée de la salle côté jardin, et à l’étage à proximité de la Sala del Caminetto ; attente à prévoir pour les dames.
A l’entracte : Deux bars sont ouverts à l’étage. Acheter sa consommation auparavant à une des caisses à proximité et muni de son ticket (scontrino), se faire servir au comptoir. Possibilité de passer commande avant le spectacle (ce qui évite de faire la queue à l’entracte).
Le bémol : Les toilettes (voir ci-dessus)
Le dièse : L’expérience onirique offerte par le Teatro Regio
Accessibilité : L’accès et la circulation dans le théâtre pour les personnes à mobilité réduite est facilité par un parcours fléché sans obstacle. Il y a des places pour six fauteuils roulants dans l’auditorium, accessibles par les ascenseurs de la rangée 28. Des places de parking sont également disponibles devant le Teatro Regio pour les véhicules autorisés.
Accès : Le site du Teatro Regio indique les différentes possibilités d’accéder au théâtre en fonction du moyen de transport choisi : avion, train, voiture, autobus, etc.
Boutique : Pas de boutique à proprement parler. Les publications éditoriales du Teatro Regio sont en vente à la billetterie, ou directement sur le site web. Les enregistrements audio-vidéo du Teatro Regio ne sont pas commercialisés par le Regio. A défaut, leur liste peut être consultée en ligne.
Où dîner à proximité ? Turin n’est pas une ville qui se couche tard. Plutôt que dîner avant le spectacle, , sacrifier au rite de l’aperitivo qui consiste à accompagner son spritz, son verre de vin ou sa boisson préférée d’amuse-gueule (olives, cacahuètes…), de tagliare (planches de fromage ou de charcuterie), de tramezzini (petits club-sandwichs) et de stuzzichini (petites assiettes) servis en portions suffisamment généreuses pour faire office de repas.
Pour les mange-tard, le Sfashion Cafè sert de bonnes pizzas jusqu’à 23h30 en semaine et minuit le samedi soir (Via Cesare Battisti 13, à 5 minutes à pied du Regio en traversant la magnifique Galleria Subalpina, passage couvert de verre et de fer à l’élégant décor néo-renaissance hanté par le fantôme de Nietzsche qui aimait s’attabler au café Baretti & Milano pour écrire).
Où dormir à proximité ?
Colazione in Piazza Castello (Piazza Castello 9), chambres d’hôtes et appartements avec vue sur la via Po, le Mole ou les collines environnantes à deux pas du Teatro Regio (compter 150€ en moyenne la nuit).
Pour les petits budgets (moins de 100€ la nuit), Combo Turino (Corso Regina Margherita 128), à un quart d’heure à pied du Regio, dans une ancienne caserne de pompiers réhabilitée en un espace multifonctionnel, tout à la fois hôtel, bar, restaurant, espace de coworking et scène musicale.
Pour les porte-monnaie rembourrés (autour de 200€ la nuit), Hôtel Victoria Torino (Via Nino Costa 4), à dix minutes à pied du Regio, un boutique-hôtel confortable dans le style victorien, histoire de s’offrir un voyage deux siècles en arrière lorsque les jeunes gens de la high society avaient Turin pour étape de leur « grand tour ».
Un coup de folie (plus de 300€ la nuit) ? Royal Palace Luxury Suites (Via Cavour 13), à dix minutes à pied du Regio, dans un authentique palazzo devenu à la fin du XVIIIe siècle la propriété du marquis Maurizio Luserna Rorengo di Rorà, qui l’a reconstruit selon les plans de Benedetto Alfieri, l’architecte du premier Teatro Regio. Toutes les chambres, situées au piano mobile, rivalisent d’or, de fresques et d’antiquités. De quoi rappeler que Turin fut la première capitale du royaume d’Italie réunifié, de 1861 à 1865 avant de passer le relais à Florence, puis à Rome en 1870.