Forum Opéra

Théotime Langlois de Swarte : « Je rêverais de diriger Don Giovanni avec Peter Mattei »

arrow_back_iosarrow_forward_ios
Partager sur :
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur pinterest
Partager sur whatsapp
Partager sur email
Partager sur print
Interview
7 février 2025
Théotime Langlois de Swarte, qui vient de signer une splendide version des Quatre Saisons avec son ensemble Le Consort, développe désormais son activité de chef. Entretien avec un violoniste curieux et avide de découvertes.

Infos sur l’œuvre

Détails

Comment se prépare-t-on à enregistrer une œuvre aussi connue que Les Quatre Saisons ?

Un enregistrement est toujours une sorte de photographie d’un instant donné, le témoignage d’un moment vécu en groupe. Ce disque, par exemple, capture un instant précis de juillet 2024, mais il est en réalité le fruit de plus de dix ans de réflexion. Depuis mon enfance, j’ai toujours été fasciné par Les Quatre Saisons, une œuvre qui m’a donné envie de devenir violoniste. Je l’écoutais en boucle sur mon lecteur MP3. Lorsque l’on enregistre des compositeurs ou des œuvres peu connus, on a peu ou pas de références. À l’inverse, avec Les Quatre Saisons, il y a une véritable réflexion sur ce que l’on peut apporter de nouveau, sans chercher l’originalité pour l’originalité. L’idée était d’essayer d’approcher la vérité, la profondeur de cette musique.

Pourquoi avoir fait le choix d’un orchestre relativement fourni, alors que certaines versions privilégient un instrument par partie ?

Ce choix découle d’une recherche approfondie sur la texture orchestrale voulue par Vivaldi. Bien sûr, il faut trouver un équilibre : trop d’instruments peuvent nuire à la lisibilité, mais s’ils sont bien dirigés et respectent la structure musicale, ils peuvent enrichir l’interprétation. Mon intention était d’imiter la nature, de reproduire le son des ruisseaux, des oiseaux, et d’exploiter les jeux de résonance. L’acoustique du lieu d’enregistrement, l’Arsenal à Metz, qui est une grande salle, a aussi influencé ce choix : un effectif plus important était nécessaire pour obtenir la profondeur sonore adaptée. Si nous avions enregistré dans une petite église, nous aurions peut-être opté pour un ensemble plus restreint. L’esthétique baroque a longtemps été définie en opposition à l’interprétation de la musique du XIXe siècle, mais aujourd’hui, cette opposition ne suffit plus. L’important est de retrouver le sens de la musique, et de comprendre pourquoi nous l’interprétons ainsi aujourd’hui. Le baroque n’était pas toujours synonyme de petits effectifs : on sait qu’il existait des fêtes à Venise ou à Rome où jouaient une centaine de violons. Dans mon disque, nous sommes 16 violons, loin de ces proportions, mais avec l’idée de recréer une certaine ampleur sonore.

On retrouve d’ailleurs cette grandeur orchestrale dans les opéras de Händel, qui disposait d’effectifs très fournis à Londres

Exactement. L’idée que le baroque se limite à des petits ensembles est une simplification. Le romantisme n’a pas inventé la démesure. Et au-delà du nombre d’instruments, ce qui prime, c’est la manière de jouer : le baroque repose sur la rhétorique musicale, l’articulation du discours. La ligne musicale baroque est portée par des mots, par des respirations, par un phrasé naturel qui rappelle la voix humaine.

Y a-t-il des versions des Quatre Saisons au disque qui vous ont marqué ?

J’ai énormément écouté la version d’Amandine Beyer, qui m’a accompagné pendant des années. C’est une interprétation que j’aime toujours autant, même si je ne l’ai pas réécoutée depuis que j’ai enregistré mon disque. D’une certaine manière, j’avais peur d’être influencé ou d’avoir à me comparer même si une interprétation est toujours unique, car elle est imprégnée de notre vécu et de notre sensibilité du moment.

Au violon, vous jouez beaucoup le répertoire baroque. Avez-vous envie d’explorer davantage la musique romantique, par exemple les sonates de Beethoven ou les grands concertos (Mendelssohn, Schumann) ?

Les grands concertos romantiques sont largement interprétés et n’ont pas forcément besoin de nouvelles lectures. Ce qui me passionne, c’est d’explorer des œuvres sous un prisme musicologique. Pour interpréter Vivaldi, par exemple, j’ai étudié les ornements originaux du cahier d’Anna Maria, une élève de Vivaldi à La Pietà, afin d’intégrer ces éléments authentiques dans mon interprétation. En revanche, je suis très intéressé par la musique de chambre sur instruments d’époque. J’ai déjà enregistré un disque Schumann et un disque autour de Proust avec des pianos d’époque. Ces instruments nous plongent dans un monde sonore différent, plus proche de ce qu’entendaient les compositeurs de leur temps. C’est cette approche qui me stimule aujourd’hui. Mais à côté de cela, il existe des concertos de Vivaldi qui n’ont été enregistrés qu’une ou deux fois, alors même qu’il s’agit d’un compositeur immensément connu. J’essaie donc de trouver un équilibre entre ces piliers et des œuvres moins explorées. Je pense d’ailleurs bientôt me lancer dans l’enregistrement des Concertos de Bach.

Avez-vous un attachement particulier à votre violon ?

Absolument. J’ai l’immense chance de jouer sur un violon exceptionnel, un Carlo Bergonzi de 1733. Les instruments à cordes ont toujours évolué dans l’idée d’imiter la voix humaine. C’est cette quête de vocalité qui m’anime, et je travaille énormément mes gammes pour affiner cette expressivité.Chaque instrument cherche à reproduire la voix humaine, mais le violon y parvient d’une manière fascinante. C’est un aspect qui me touche profondément. J’ai grandi dans un environnement où la voix était omniprésente : mes parents étaient professeurs de chant, et j’ai moi-même fait beaucoup de chant choral dès mon plus jeune âge. Cette immersion a nourri mon rapport à la musique et mon attachement à la vocalité.

Vous avez également écrit et dirigé un opéra assez tôt dans votre carrière. Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’ai composé un opéra autour de Moby Dick à l’âge de 17 ans, dans le cadre du Festival de la Voix à Perpignan. J’ai toujours été attiré par la composition, et à cette époque, je me cherchais encore. J’ai aussi composé un Stabat Mater, que je reprendrai peut-être un jour.

À quel moment la direction d’orchestre est-elle devenue une évidence pour vous ?

C’est quelque chose qui m’a toujours intéressé. Très jeune, j’assistais à des concerts et je me mettais instinctivement à diriger. Plus tard, j’ai compris que si je voulais vraiment explorer le répertoire vocal, il me faudrait diriger « avec les bras ». J’ai toujours été fasciné par l’opéra, et pour me l’approprier pleinement, il fallait que je passe par la direction.

Avez-vous ressenti de l’appréhension la première fois que vous avez dirigé un orchestre ?

Bien sûr, il y avait un certain trac, mais j’ai tellement apprécié être au milieu des instrumentistes et entendre cette texture orchestrale. C’est un rapport différent au son, une question de perception et d’ajustement constant. J’ai appris énormément en étant l’assistant de Louis Langrée sur la production de Zémire et Azor. Chaque expérience est un enrichissement. Au début, lors des répétitions scéniques, les chanteurs sont en contact avec le metteur en scène, on apprend beaucoup de ces moments où le chef n’est pas au centre de l’attention. Ils vivent pleinement leur vie de chanteur sur le plateau et nous, nous dirigeons l’œuvre. Il y a des heures et des heures de répétitions où ils nous regardent, s’habituent à nous observer, mais nous ne sommes pas l’élément central. Ensuite, cela évolue, notamment avec l’entrée de l’orchestre. On devient alors un relais entre les différents éléments.

Vous venez de diriger le Requiem de Mozart à La Chapelle Royale, encore une œuvre emblématique ?

J’avais déjà joué le Requiem au violon, donc j’avais une bonne connaissance de l’œuvre avant d’entamer le travail de direction. Ce qui est fascinant avec cette œuvre est son texte et toute la dramaturgie qui s’en dégage. La séquence centrale contient un texte médiéval qui n’est même plus inclus dans la liturgie des Requiem modernes. Travailler sur la déclamation du texte avec les chanteurs est une entreprise bien plus complexe qu’il n’y paraît. Il faut réussir à fédérer une trentaine de choristes afin qu’ils aient la même prononciation. Par exemple, la prononciation des consonnes est cruciale : avec un ensemble aussi large, les consonnes ont tendance à être gommées, et si elles ne sont pas parfaitement synchronisées, elles disparaissent complètement. Lors des premières répétitions, on entend souvent une sorte de marshmallow musical, où seules les voyelles ressortent. Le but est de sculpter la matière sonore, que ce soit celle des chanteurs ou de l’orchestre. On cherche à obtenir une esthétique cohérente en travaillant sur la manière dont on tient les sons et dont on les fait démarrer.

La direction d’orchestre est-elle une activité que vous souhaitez développer davantage ?

Absolument, c’est très important pour moi. J’ai été fortement inspiré par William Christie, avec qui j’ai beaucoup travaillé. Son travail avec les chanteurs et l’orchestre est fascinant. Le son des Arts Florissants est, à mes yeux, unique au monde. J’ai eu la chance de commencer en tant que musicien junior dans cet orchestre, puis d’y devenir membre professionnel deux ans plus tard. Cela m’a donné une réelle envie de diriger.

Y a-t-il d’autres chefs qui vous inspirent ?

Mon esthétique musicale vient beaucoup de mes années de travail avec Michaël Hentz, mon professeur de violon au CNSM. Il a travaillé pendant dix ans avec Sergiu Celibidache, et nous avons longuement exploré la question du son. Pour moi, la musique, c’est avant tout du son : comment le créer, le faire résonner, le prolonger. J’ai travaillé cette approche pendant cinq ans avec lui, non pas en tant que chef, mais en tant que musicien cherchant à comprendre la musique dans son essence.

Vous aimez beaucoup faire des recherches, redécouvrir des œuvres ?

Oui, je fais beaucoup de recherches, notamment en ligne. Par exemple, avec mes partenaires de musique de chambre comme Justin Taylor ou Thomas Dunford, nous aimons exhumer des œuvres peu connues. En tant que solistes, nous pouvons faire découvrir ces compositeurs au public en les associant à des œuvres plus célèbres.

Votre carrière est très maintenant très diversifiée. Comment gérez-vous cela ?

Je choisis uniquement des projets qui me passionnent. Ce qui est difficile, ce n’est pas la gestion du travail, mais le fait d’être souvent loin de chez moi. Je refuse parfois des projets pour maintenir un équilibre personnel. Il faut aussi gérer les relations avec les institutions et les partenaires de longue date, ce qui n’est pas toujours simple.

Un mini questionnaire de Proust pour finir …

L’opéra que vous aimeriez diriger, si l’on vous donnait tous les moyens à votre disposition ?

Si j’avais un budget illimité, je monterais Don Giovanni avec Peter Mattei. C’est un rêve absolu. J’ai toujours admiré son interprétation, je l’ai écoutée des centaines de fois. Et je ne désespère pas d’avoir un jour l’occasion de travailler avec lui.

Si vous étiez soprano, quel rôle aimeriez-vous chanter ?

Violetta, sans hésiter.

Votre disque lyrique de chevet ?

La trilogie Mozart / Da Ponte, sans aucun doute. Même si je n’écoute pas tant de disques que ça, ces trois opéras sont vraiment essentiels pour moi.

Une interprétation au disque qui vous a marqué ?

Si je devais citer un disque que j’écoute régulièrement, ce serait les ouvertures des opéras de Wagner dirigées par Wilhelm Furtwängler. J’adore son approche du son, la façon dont il travaille les textures et l’esthétique musicale.

Une œuvre que vous avez eu du mal à apprécier ?

J’ai vu Dialogues des Carmélites au Théâtre des Champs-Élysées quand j’étais étudiant. Mal placé, en visibilité réduite, je suis complètement passé à côté. Tout le monde trouve cet opéra bouleversant, mais je n’ai pas réussi à entrer dedans. Cela dit, c’était probablement une question de circonstances, et mon avis changerait peut-être aujourd’hui.

Un metteur en scène d’opéra que vous admirez ?

Robert Carsen. J’avais travaillé avec lui pour la production de The Beggar’s Opera avec les Arts Florissants, et j’aime beaucoup son approche. Il a une façon facétieuse de mettre en scène, il crée quelque chose de voluptueux et de frais. Et puis, hasard amusant, il a mis en scène Don Giovanni avec Peter Mattei à la Scala. J’ai regardé cette production au moins 200 fois !

Votre opéra préféré de Verdi ?

Rigoletto

Un opéra baroque que vous adorez ?

Médée de Charpentier. La production de l’an passé à l’Opéra de Paris était incroyable. Chez Haendel, j’ai adoré jouer dans Jephté, même si c’est un oratorio. La dramaturgie y est exceptionnelle, et la musique sublime. J’aime aussi Théodora. J’adore les Indes Galantes, mais c’est trop long. Rameau ne l’avait d’ailleurs jamais conçu pour être joué d’un bloc. Je rêverais de proposer une version conforme à l’esprit originel.

Allez-vous souvent à l’opéra ou en concert ?

J’essaie d’aller à l’Opéra au moins une fois par mois, mais ce n’est pas toujours possible. Je préfère l’opéra au concert, car ce dernier me ramène trop à mon propre travail.

Commentaires

VOUS AIMEZ NOUS LIRE… SOUTENEZ-NOUS

Vous pouvez nous aider à garder un contenu de qualité et à nous développer. Partagez notre site et n’hésitez pas à faire un don.
Quel que soit le montant que vous donnez, nous vous remercions énormément et nous considérons cela comme un réel encouragement à poursuivre notre démarche.

Infos sur l’œuvre

Détails

Nos derniers podcasts

Nos derniers swags

Les dernières interviews

Les derniers dossiers

Dossier

Zapping

Vous pourriez être intéressé par :

Il y a juste 100 ans disparaissait Marie Jaëll, virtuose, compositrice, pédagogue, érudite. Passionnée.
Actualité
Pour clôturer l’année Puccini, voici un petit billet d’Argentine où le Maestro et son épouse passent l’été 1905 et où tous ses opéras sont triomphalement joués dans tous les théâtre de la Ville
Actualité
[themoneytizer id="121707-28"]