La perspective de vivre une nouvelle fois l’expérience du festival de Thiré nous a émoustillée pendant une grande partie de l’été… Et l’attente mêlée d’impatience tranquille se fait vivifiante à l’approche du petit village vendéen. Pour cette première journée de la 12e édition des « jardins de William Christie », l’émotion en effet est vive car cette année commence très fort par un entretien programmé avec le grand musicien franco-américain. C’est en milieu d’après-midi qu’on pourra le rencontrer en accédant aux terrasses, derrière la maison du maître, non accessibles au public qui peut tout de même se promener à sa guise dans le reste des jardins. Puis, c’est la fébrilité qui s’installe car on apprend par texto que l’entretien avec William Christie est avancé. À peine peut-on entreposer les bagages dans un coin que l’on nous presse : « Il est prêt ! ». Autant dire que personne ne songerait à faire attendre le maestro dont l’impatience légendaire et l’exigence ne sont plus à présenter. Mais, ô divine surprise, ce n’est pas vers l’arrière de la maison qu’on nous emmène mais directement vers la porte d’entrée principale. Et, contre toute attente, c’est dans la demeure que l’on pénètre, suprême privilège doublé d’une torture extrême, car il n’est évidemment pas loisible de s’attarder pour admirer les merveilles composant l’intimité du maître qui nous reçoit dans le grand salon. L’entretien qui suit est fécond et William Christie s’épanche volontiers sur l’opéra dont la première est programmée pour le soir même. Le maître nous promet quelques surprises et l’on sent qu’il est particulièrement confiant après la générale du spectacle donnée la veille. Quelques questions plus tard, on sort du saint des saints, un peu sonnée, pour se plonger avec délices en plein festival, dans ces remarquables jardins classés qu’on retrouve avec une félicité sans bornes, heureuse qui comme Pénélope retrouverait son bel hortus en grande forme et très en beauté, tout comme les belles colombes paon à la robe immaculée roucoulant sur le toit du pigeonnier, près des topiaires qui reprennent les lignes élégantes de ces merveilleux oiseaux d’un paradis bien réel.
Mais le temps passé à déjeuner, à admirer et à rêver nous a fait rater les premières activités qui nous avaient tant amusés l’année passée : les ateliers jardinage, la danse itinérante ou la musique participative de la soprano, metteure en scène et pédagogue enthousiaste Sophie Daneman. Les concerts sous formes de petites pilules de musique proposées toutes les trente minutes aux quatre recoins ou dans les coulisses des jardins, à raison de trois créneaux en simultané, ont déjà débuté sans nous. Pour ces capsules musicales d’une quinzaine de minutes, les artistes ont carte blanche. On commence à l’heure du goûter près du Mur des cyclopes avec « Awake, sweet Love », un programme de chansons pour luth proposé par le co-directeur du festival, Paul Agnew, qui nous offre un jeu de miroir entre les affects exprimés dans les airs de John Dowland et une vision équivalente contemporaine avec les Beatles ou un standard du jazz chanté notamment par Ella Fitzgerald. Petite distraction passagère ou stress d’avant la première (c’est lui qui va diriger l’opéra ce soir), le ténor s’interrompt brusquement parce qu’il a oublié les paroles de Cry me a river. Tout cela n’est pas bien grave : on recommence da capo en toute simplicité, car le festival se veut bon enfant, adressé à tous les publics, avec un répertoire à la fois accessible ou rare et savant, en plaçant la barre très haut mais dans le respect du caractère humain et à la recherche d’une véritable empathie. Il ne faut pas oublier que les jardins ont été conçus dans l’idée de partager le plaisir de faire de la musique ensemble et, cela va de soi, en présence d’un public. William Christie est renommé pour son sens de la pédagogie, son besoin vital de transmission et, l’intéressé ne s’en cache pas, son entreprise de séduction raffinée et sensuelle avec un profond désir d’être aimé, ce qui anime aussi ses partenaires. L’émotion est là, mais on se dit que cela vaut la peine de revenir pour réécouter le même programme le lendemain. Plutôt que de déambuler dans les jardins pour une autre ambiance, nous décidons, entre camarades journalistes, de rester au même endroit un peu plus sauvage pour nous imprégner de la douceur bucolique de ce trou de verdure près d’une rivière dont William Christie taille en personne les saules qu’il a lui-même plantés. Les verts reflets à la Monet sont à peine brouillés par le passage nonchalant et majestueux de l’un des couples de cygnes escortant leurs petits. Deux sopranos accompagnées d’un quatuor issu des Arts florissant, dont le premier violon, Emmanuel Resche-Caserta, nous offrent un « Che suave zeffiretto », avec des extraits des Nozze di Figaro. Maud Gnidaz et Juliette Perret forment un charmant duo avec une qualité principale : leurs voix s’entrelacent à merveille et la complicité est totale. On retrouve ensuite avec grand plaisir la Pinède et son ambiance italienne où l’on accorde le clavecin en attendant l’arrivée de William Christie, visiblement ravi de commencer ce festival par l’une de ses activités favorites : l’accompagnement de jeunes musiciens, en l’occurrence le fidèle Emmanuel Resche-Caserta au violon et Myriam Rignol à la viole de gambe. Puis, c’est le dernier concert avant le dîner sur les terrasses, avec l’orchestre des Arts florissants sous la direction de l’autre premier violon Augusta McKay Lodge qui a choisi des extraits de The Enchanted Forest de Francesco Germiniani. Hugo Herman-Wilson, le baryton dont on s’apprête à découvrir la prestation dans The Fairy Queen dans moins de deux heures, se chauffe la voix avec le « Cold song » de King Arthur, ce qui lui permet de séduire d’emblée son auditoire et de rafraîchir une atmosphère bien lourde en cette journée de fortes chaleurs néanmoins tout à fait supportables dans des jardins idéalement ombragés.
Le récit du pur enchantement qui va suivre est à lire ici.