Forum Opéra

Thorsten Schmidt : « Il est très important de remettre le Lied au coeur des programmations. »

Partager sur :
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur pinterest
Partager sur whatsapp
Partager sur email
Partager sur print
Interview
2 juillet 2024
Thorsten Schmidt dirige le Heidelberger Frühling Liedfestival dont la troisième édition, qui accueillit environ 3500 spectateurs au cours de 26 événements, vient de s’achever.

Infos sur l’œuvre

Détails

Heidelberg est une ville qui présente un paysage musical particulièrement riche grâce, en particulier, au Heidelberger Frühling qui organise de nombreux événements musicaux depuis 1997 et au Liedzentrum, fondé en 2016, qui chapeaute l’Académie, le Concours « Das Lied » et, depuis 2022, le Heidelberger Frühling Liedfestival. Le Festival est donc très jeune. Dans ce panorama déjà riche, y avait-il un manque que le Festival a permis de combler ?

Absolument ! Le Lied n’est pas un genre très populaire et je crois qu’il est très important de le remettre au cœur des programmations de concerts. Si on examine les programmations des grandes salles de concerts, on s’aperçoit qu’il y a très peu de Lied. Heidelberg est une ville qui entretient des liens étroits avec le genre du Lied. C’est à Heidelberg qu’a été écrit « Des Knaben Wunderhorn » (1805) que Mahler mettra ensuite en musique, c’est à Heidelberg que Schumann a étudié le droit… L’idée était donc de partir de cette tradition pour promouvoir le Lied. Le Liedzentrum avait déjà mis des choses en place pour les interprètes, avec le Concours « Das Lied » et l’Académie, mais il n’y avait encore rien pour le public. C’est pour cela que le Festival a été créé.

Cette année, le thème du Festival est « Brahms ou le désordre du Lied ». Pourquoi le travail de Brahms inspire-t-il un tel désordre ?

C’est une thématique intéressante. Schubert travaillait par cycles, par opus. Dans son œuvre, on identifie des séries de Lieder qui sont interprétés selon un ordre défini par le composteur lui-même. Brahms avait une vision différente. Il a composé quelques cycles, bien sûr, mais aussi des centaines de Lieder qui ne s’inscrivent dans aucune série et cela a peut-être un lien avec la relative méconnaissance des Lieder de Brahms. En effet, ils ne sont pas très présents au répertoire. On connaît certains Lieder mais, globalement, son travail n’est pas très populaire. En réfléchissant aux raisons de cette relative impopularité, il nous est apparu que le désordre de ces Lieder était peut-être un facteur explicatif important. Le public n’a pas de boussole pour s’orienter dans les Lieder de Brahms. Le travail de programmation  a donc une importance capitale pour que s’opère la rencontre entre Brahms et le public. J’adore ce titre.

Justement, comment combiner ce désordre et une certaine cohérence dans la programmation ?

Tout part d’un travail avec les artistes. Sans ordre préétabli imposé, d’une certaine manière, par le compositeur lui-même, il faut travailler avec des idées et se demander comment on veut présenter les Lieder. C’est à la fois simple parce qu’il y a peu de contraintes et très difficile. Par exemple, quand on a  programmé les Volkslieder, même s’il y a un ordre qui est déjà suggéré, il reste important de se demander si cette présentation est bien pertinente. Dans d’autres cas, les artistes souhaitent explorer un thème, s’affranchir des groupes et essayer de mettre côte à côte des pièces qui n’étaient pas destinées à être jouées au cours d’un même concert. Le genre du Lied, singulièrement chez Brahms qui en a composé beaucoup mais sans les organiser lui-même, permet de se poser ces questions passionnantes.

À propos de recherche et d’idées, le Festival a aussi une dimension pédagogique centrale.

En effet. Quand j’ai décidé de travailler sur le Lied, il était évident qu’il était très important de travailler avec des jeunes car ce sont eux qui doivent convaincre le public de s’intéresser au Lied. Thomas Hampson, qui dirige l’Académie et a donné plusieurs masterclass publiques au cours du Festival, est un professeur extraordinaire. L’idée de l’Académie n’est pas de donner des leçons de technique, mais plutôt de s’intéresser à l’interprétation. Les Lieder, ce sont des histoires.

En parlant d’interprétation, dans le Lied, le texte est central et, en particulier, le texte allemand. Cette dimension a-t-elle une incidence sur la fréquentation du Festival ?

La question du rapport au texte et à la langue est très intéressante. Les Anglais et les Asiatiques, par exemple, connaissent très bien les textes, parfois mieux que le public allemand. Mais le Festival est encore jeune et il faudra encore attendre avant de pouvoir parler d’un véritable rayonnement international. Le Festival de quatuor à cordes – également organisé par le Heidelberger Frühling – est international, le public vient du monde entier, alors que c’est vraiment un Festival de niche, comme l’est le nôtre. Mais le texte reste un problème qui induit une certaine distance avec le Lied et qui ne se pose pas concernant la musique instrumentale. Le texte, ce n’est pas qu’une histoire. Il faut aussi connaître les images qui sont derrière le texte. C’est souvent difficile. La langue pourrait être un obstacle mais j’espère que nous pourrons attirer un public international… mais nous achevons seulement la troisième année ! Ce serait déjà formidable que le public vienne, dans un premier temps, de Suisse, d’Italie, de France, de Belgique…

Et au sein de l’Académie, quelle place est accordée au texte ? Y-a-t-il aussi des études culturelles et littéraires qui vont au-delà de la simple question de la prononciation, tous les étudiants n’étant pas germanophones ?

L’Académie est vraiment internationale. Nous avons des étudiants du monde entier. Pour les francophones, les anglophones et encore plus pour les russophones, par exemple, l’appréhension du texte est un véritable enjeu et, souvent, c’est très difficile. De plus, il est important d’avoir une bonne connaissance du contexte historique, de comprendre les métaphores… « Nachtigall », ce n’est pas seulement un rossignol ; « Wald », c’est plus que simplement la forêt… Il y a beaucoup de choses à saisir dans le contexte romantique. Nous essayons donc de transmettre tout cela aux étudiants : une attention extrême à la prononciation, bien sûr, mais aussi les outils théoriques qui permettront une interprétation au sens le plus complet du terme.

Y-a-t-il des liens entre le Festival et le Concours Das « Lied » ?

Oui, bien sûr. Les deux structures sont indépendantes mais le Festival, l’Académie et le Concours entretiennent des liens étroits. Les lauréats sont régulièrement invités au Festival. Cette année, par exemple, le lauréat de la dernière édition du Concours, le ténor Tae Hwan Yun, s’est produit au début du Festival. Ces institutions mobilisent surtout des jeunes artistes et c’est important de travailler ensemble.

Par ailleurs, le Festival, le Concours, l’Académie et le Lied.lab dépendent tous du Heidelberger Frühling Liedzentrum, fondé en 2016 et qui a vocation à s’affirmer comme un centre d’excellence dans le domaine du Lied. Tout cela crée de belles synergies. Thomas Hampson qui dirige l’Académie travaille régulièrement avec Thomas Quasthoff, fondateur du Concours, qu’il appelle d’ailleurs son collègue de Heidelberg.

Pour finir, un mot sur l’édition 2025 ?

Elle aura lieu fin mai 2025 et j’aimerais faire quelque chose autour du centenaire de Dietrich Fischer-Dieskau qui est, bien sûr, le maître incontesté du genre du Lied. C’est intéressant parce que le monde a beaucoup changé et, d’une certaine manière, Fischer-Dieskau représente encore l’ancien monde, alors que beaucoup de jeunes artistes ont une approche très différente. Quand Fischer-Diskau interprétait des Lieder, le public savait déjà à quoi il allait assister. Aujourd’hui, d’une part le public connaît moins le répertoire du Lied et, d’autre part, les jeunes chanteurs ont des idées différentes sur la manière d’établir un programme. Certains restent évidemment traditionnels, et c’est très bien, mais d’autres artistes essaient d’autres choses, des choses auxquels personne n’aurait pensé dans ce que j’appelle « l’ancien monde ».

Dans ce « nouveau monde », où le Lied ne doit plus nécessairement être en allemand, plus nécessairement être accompagné au piano… est-ce qu’on fait encore du Lied ?

Il reste plein de choses à découvrir et à essayer. C’est cela qui est excitant.

Commentaires

VOUS AIMEZ NOUS LIRE… SOUTENEZ-NOUS

Vous pouvez nous aider à garder un contenu de qualité et à nous développer. Partagez notre site et n’hésitez pas à faire un don.
Quel que soit le montant que vous donnez, nous vous remercions énormément et nous considérons cela comme un réel encouragement à poursuivre notre démarche.
>

Infos sur l’œuvre

Détails

>

Nos derniers podcasts

Nos derniers swags

Le grand architecte
CDSWAG

Les dernières interviews

Les derniers dossiers

Zapping

Vous pourriez être intéressé par :

Adam Smith chante Pinkerton dans Madama Butterfly au Festival d’Aix-en-Provence à partir du 5 juillet prochain.
Interview
Au revoir Jodie ! Face à cette disparition si injuste, nous avons voulu donner la parole à celles et ceux qui la connurent de près et dont le deuil profond est aussi le nôtre.
Actualité
[themoneytizer id="121707-28"]