C’est sous les acclamations d’un public debout et enthousiaste que s’est achevée la première de Tosca ce jeudi 4 juin. Il faut dire que depuis le 4 mars 2020 il n’y avait pas eu de représentation publique d’un opéra à la Bastille. C’est ce qu’a rappelé Alexander Neef, chaleureusement applaudi lorsqu’il est apparu sur la scène avant le lever du rideau.
Crée en 2014, reprise en 2016 et 2019, la production de Pierre Audi vieillit plutôt bien et se montre toujours efficace. Ses qualités et ses défauts ont déjà été soulignés dans nos colonnes. La gigantesque croix de bois posée sur le sol au premier acte puis suspendue horizontalement au-dessus des personnages aux actes suivant constitue l’élément principal du décor. L’acte le plus réussi est le deux qui se déroule dans un salon de style napoléonien entouré d’un hémicycle de couleur rouge sang. On demeure dubitatif en revanche devant le trois situé en rase campagne. Enfin si la dernière image d’une Tosca, dos au public, se dirigeant lentement vers la lumière blanche qui luit au fond du plateau et qui symbolise probablement la mort, ne manque pas de poésie, elle est en contradiction avec la musique qui suggère une fin brutale.
©Vincent Poncet
La distribution, extrêmement homogène jusque dans les seconds rôles, ne manque pas de qualités. Carlo Bosi et Philippe Rouillon campent respectivement un Spoletta obséquieux et un Sciarrone cruel, soumis à leur maître. Doté d’une voix sonore qui capte d’emblée l’attention, Guilhem Worms est un Angelotti convaincant, tandis que le sacristain de Frédéric Caton est veule à souhait. Ludovic Tézier reprend le rôle de Scarpia qu’il avait interprété en 2014 lors de la première série de cette production. Il s’agissait alors d’une prise de rôle qui avait convaincu notre confrère Yannick Boussaert. Avec les années, sa conception du personnage a mûri, le medium a gagné en largeur, et les répliques sont ciselées avec davantage de mordant notamment au deux, dans sa profession de foi « Bramo, la cosa bramata perseguo ». Ce Scarpia n’est pas violent, il contemple au contraire avec une froide délectation qui confine au sadisme sa victime en train de s’enfoncer progressivement dans le désespoir, s’éclipse pendant « Vissi d’arte » et réapparaît pour lui porter le coup final. Une grande incarnation.
Ce soir, c’est Michael Fabiano et Maria Agresta qui interprètent pour la première fois leurs personnages sur scène. Dès le début de l’ouvrage, le ténor américain se montre tout à fait à son aise et en impose avec une voix qui a gagné en volume depuis sa série de Lucia di Lammermoor en 2013. Son Cavaradossi est avant tout un rebelle comme en témoignent ses « Vittoria ! Vittoria ! » percutants au deuxième acte. Au premier, il semble plus soucieux du sort d’Angelotti que des minauderies de Tosca, enfin au trois son « E lucevan le stelle » finement nuancé et particulièrement émouvant suscitera l’enthousiasme du public au salut final. De son côté Maria Agresta propose une Tosca plus fragile et plus juvénile qu’à l’accoutumée, la voix est bien conduite, le timbre ne manque pas de séduction et la ligne chant est soignée. Au deuxième acte, son « Vissi d’arte » tout en retenue convainc. Face à Scarpia elle se montre à la hauteur de la situation en dépit d’un registre grave quelque peu limité, l’aigu en revanche est émis avec aisance comme en témoigne son contre-ut large et tenu dans « Io quella lama gli piantai nel cor ».Une prise de rôle prometteuse, en somme.
© Vincent Poncet
Préparés avec soin par Alessandro Di Stefano les Chœurs proposent un Te Deum puissant et solennel à la fin du premier acte.
C’est un accueil chaleureux bien mérité que public a réservé à Carlo Montanaro en fin de soirée, sa direction contrastée emporte l’adhésion. Au deuxième acte il précipite les tempi au plus fort de l’affrontement entre Tosca et Scarpia produisant un effet théâtral inouï, en revanche il étire le tempo dans « E lucevan le stelle » pour mieux laisser s’épancher l’émotion de Cavaradossi.