Le couple star de l’opéra fait un nouvelle fois escale à Vérone. Cette année, Turandot, le dernier chef-d’œuvre de Puccini, s’est invité à leur programme. L’occasion pour Anna Netrebko de chanter la princesse de glace en intégralité (à moins qu’elle en ait eu l’occasion en Russie ?) après sa prise de rôle munichoise.
Dans le paysage actuel où la partition est souvent confiée à des sopranos wagnériens, cette interprétation arrive à point nommé. Demi-teintes, piani et notes filées exécutées avec l’art et l’intelligence que l’on connait à la soprano russe donnent tout de suite corps à un portrait subtil. Il est loin le monstre insensible qui par la magie du livret se transforme en amoureuse éperdue. Anna Netrebko donne à entendre dès les premières phrases de « in questa reggia », les aveux que Turandot livre dans le duo final. Ce n’est pas le feu qui couve sous la glace, mais le doute qui s’immisce, le désir qui nait : celui de se libérer de son propre pacte et de son propre corps. Tout le jeu et le chant de la soprano tendent vers ce but. Un chant qui jouit toujours d’autant d’aisance, de beauté du timbre, d’aigus radieux et tenus. Face à elle, Yusif Eyvazov nous a paru plus en retrait et propose une interprétation bien plus monolithique : du nerf, de la puissance et des aigus interminables pour emporter le morceau à force d’héroïsme et d’exploits. Succès garanti auprès du public, même si le compte n’y est pas tout à fait, notamment dans les échanges avec Liu, bien trop prosaïques. A l’applaudimètre, c’est encore cette dernière qui fait jeu égal avec Turandot. Ruth Iniesta possède tout ce qu’il faut pour triompher en jeune esclave : un timbre chaud aux belles harmoniques, un souffle long et une technique suffisamment aguerrie pour proposer demi-teintes et messa di voce. On frissonne, on pleure avec elle. Le spectacle ne nous a paru sonorisé d’aucune manière, contrairement à ce qui a pu se passer dans les arènes ces dernières années. Si un tel procédé n’était pas nécessaire pour nos trois protagonistes principaux, le reste de la distribution en a pâti : les trois masques s’époumonent, aboient leur texte parfois au mépris du rythme et sont malgré cela bien souvent inaudibles ; Carlo Bossi chante avec la probité supposée de l’Empereur, mais parait bien faiblard perdu dans l’immensité de la Cité Interdite et les gradins des Arènes. De même pour Riccardo Fassi (Timur) dont il faut saluer toute l’humanité du chant même si l’on aura beaucoup tendu l’oreille pour en profiter.
© Arena di Verona
Les chœurs placés à jardin délivrent une performance ambivalente. Parfois dépassés dans les tutti avec des timbres acidifiés, ils retrouvent moelleux et poésie dans les appels à la lune et la scène funéraire de Liu. L’orchestre fait preuve d’homogéneité malgré toutes les cloisons covid en PVC disposées entre les pupitres. Sous la baguette de Jader Bignamini, il se pare dès que possible de belles couleurs entre deux finales à faire trembler les murs antiques.
La couleur, c’est le principal axe de l’équipe scénique D-WOK. Le fond de scène est une dalle numérique géante qui s’irise de visions nocturnes ou rougeoyantes, d’estampes chinoises et autres évocations d’un Orient de carton-pâte digital. Le reste de la production est là pour assurer le grand spectacle : flopées de figurants et de danseurs pour les scènes de foules ; décors à tiroirs qui reproduisent le palais de la Cité interdite ; costumes flashy et idoines à l’imagerie chinoise. En dehors de la direction d’acteur réservée à Turandot déjà évoquée, le tout manque malgré cela de vie et d’idées, voire complexifie inutilement la scénographie.