Théâtre de répertoire, le Deutsche Oper propose chaque saison près d’une quarantaine de titres, affichant des chanteurs déjà bien connus et des talents en devenir. Cette reprise du Ballo in maschera se place dans cette deuxième catégorie. D’origine coréenne, Yosep Kang a déjà derrière lui un palmarès impressionnant puisqu’il a déjà chanté Arnold de Guillaume Tell, le Duc de Rigoletto ou encore le héros des Contes d’Hoffmann, dans des lieux aussi prestigieux que Munich ou Baden-Baden. Il assurera également une reprise des Huguenots au Deutsche Oper en 2017. La voix offre une belle projection, homogène, et les aigus, jusqu’au contre-ut, sont percutants. Le timbre est également plutôt séduisant. Néanmoins, le jeune ténor peine à donner du sens à son chant, ne jouant pas sur la couleur de la voix et peu sur les inflexions du texte. A la longue, son Gustavo distille une certaine monotonie, ce qui est dommage compte tenu de son potentiel. Récente lauréate du prestigieux Richard Tucker Award, Tamara Wilson est un soprano en pleine ascension, d’autant qu’elle sait utiliser les technologies d’aujourd’hui pour s’exprimer, sans langue de bois, sur les sujets lyriques les plus divers (par exemple, sur le physique des chanteurs). Wilson impressionne tout d’abord par sa puissance vocale. Elle séduit ensuite par sa musicalité, l’homogénéité des registres, la parfaite exécution de vocalises souvent savonnés par ses consoeurs, et par une caractérisation dramatique juste. En revanche, le timbre n’est pas très caractérisé et l’aigu systématiquement forte. Roman Burdenko passe un peu inaperçu pendant la longue première partie (les deux premiers actes sont donnés sans entracte) pour offrir un « Eri tu » vibrant et engagé. Voix légère mais très bien projetée, à l’aigu sûr, Heidi Stober est un excellent Oscar, avec beaucoup d’abattage scénique. Plus contralto que mezzo, Ronnita Miller impressionne par son registre grave, mais les aigus lui font défaut.
La direction musicale d’Ido Arad offre quelques beaux moments, comme l’introduction incisive de l’acte d’Ulrica (qui surprend le public ) ou de l’acte II. Mais elle manque de pathos dans les passages plus romantiques (par exemple la fin d « Eri tu », ou la mort de Gustavo). Choeurs et pupitres ne sont pas toujours très attentifs : les premiers sont perdus à plusieurs reprises dans le bal, et les violons accélèrent l’agonie de Gustavo.
La production de Götz Friedrich (mort en 2000) date de 1993. Elle esquisse l’homosexualité de Gustav III par une timide tentative de séduction du roi sur Oscar, qui ne cède pas, mais cette lecture n’est pas exploitée par la suite. Les costumes sont particulièrement bariolés, sans recherche d’unité, évoquant plusieurs époques. De même pour les décors : la scène d’Ulrica, avec sa forêt de portique et sa gigantesque boule de cristal lumineuse pourrait servir de cadre à un film fantastique ; le salon d’Ankarstraöm évoque le drame bourgeois : chaises et table renversées, Amelia ligotée avec un gros cordage : on imagine que le combat a été rude. La direction d’acteur est soignée jusque dans les petits rôles.