Metz choisit de refermer sa saison lyrique avec Un ballo in maschera. L’oeuvre est exigeante vocalement, complexe formellement. Verdi, en ses années de maturité, poursuit sa quête de vérité dramatique. Son champ d’expérimentation se déporte cette fois sur la nature du genre opéra qu’il entreprend de sortir des ornières tragiques dans lesquelles il risquerait de s’enliser. Il en résulte une partition hybride où le rire tente de s’immiscer entre les larmes, jusqu’à un certain point. Pas plus que dans La Forza del destino quelques années plus tard, la greffe ne prend vraiment.
En Moselle, la mise en scène, uniformément sombre, de Paul-Émile Fourny a d’autres préoccupations. De Boston au XVIIe siècle, l’action est transposée dans l’Amérique des années 1960. La corruption règne. Un même destin funeste autorise le rapprochement entre Riccardo et John-Fitzgerald Kennedy. Il faut lire le programme pour le comprendre. Inutile de se documenter en revanche pour relever les références cinématographiques. Les Noces rebelles et Sin City concède le metteur en scène. C’est Tueur à gages qu’évoquent les silhouettes en ombre chinoise derrière les portes vitrées et Eyes Wide Shut que rappelle la partie fine chez Ulrica. Masqué, Silvano enlève la chemise mais garde le pantalon. Dans l’acte suivant, un figurant fétichiste renifle les chaussures d’Amelia. La transgression ne sera pas poussée plus en avant. La représentation reste autorisée aux moins de 16 ans. Frilosité ou abandon d’une idée qu’il aurait pu être intéressant de développer ? Le parti pris de Paul-Émile Fourny est abord illustratif et le résultat, par la sobriété des décors, l’usage sophistiqué des lumières et l’élégance des costumes, avant tout esthétique.
© Williams Bonbon – Metz Métropole
Pour son premier Riccardo, Jean-Francois Borras n’a donc pas à s’embarrasser de considérations scéniques. C’est un avantage et un inconvénient. A la voix seule de dessiner le portrait ambigu d’un souverain, adoré par les uns, honni par les autres. Il y a du duc de Mantoue (Rigoletto) dans l’attraction fatale qu’exerce le gouverneur du Massachusetts sur ses sujets. Par son chant, le ténor français se rapproche davantage d’Alfredo (La Traviata) : le rayonnement du timbre, le mélange de candeur et d’ardeur, la sincérité, le trait continu, souple et épuré de la ligne. Une fois la mesure du rôle prise et la prudence mise de côté, l’expérience devrait aider à creuser le relief vocal et approfondir le profil psychologique. Déjà, les notes sont là, la largeur du rôle et ses éclats assumés. Assister à la naissance prometteuse d’un tel Riccardo suffirait à recommander la représentation mais il y a à Metz d’autres motifs de se réjouir.
Il y a les affinités qu’entretient Roberto Brizzi Brignoli avec la musique de Verdi. L’Orchestre national de Lorraine respire de concert avec le directeur musical et les chœurs de Metz fusionnent à ceux de Nancy sans que la fusion n’engendre la confusion.
Il y a, parmi des seconds rôles plus ou moins pales, Carlos Esquivel (Samuel) et Daniel Mauerhofer (Tom), conspirateurs aux noirs desseins qui ont pour conspirer la noirceur requise, ainsi que Jordanka Milkova. Ulrica est une promenade de santé pour cette chanteuse bulgare coutumière de Dalila, Eboli, Amneris et autres grandes mezzos du répertoire. Il y a l’Oscar ingambe et léger de Clara Meloni, réduit à jouer les stagiaires du Comte quand le rôle se prête à d’autres développements. Il y a Michele Govi, baryton feutré, suffisamment mature pour apporter à Renato cette fêlure perceptible dès la trahison advenue. Il y a enfin Francesca Tiburzi, dont la voix puissamment dramatique n’est pas la mieux adaptée au lyrisme juvénile de son partenaire. C’est la seule réserve que l’on émettra sur une interprétation remarquable sinon. La couleur du timbre est sombre, sans que le poids de l’étoffe ne soit épaisseur. Le registre grave possède un impact rare (c’est la première fois que l’on entend ailleurs qu’au disque le « sangue » d’Amelia dans la scène du complot). L’aigu, précis, peut être émis avec subtilité et la voix supporte sans trembler, ni dévier, les tensions de l’écriture. On venait à Metz pour découvrir un Riccardo ; on a par la même occasion débusqué une Amelia. Mission doublement accomplie.