Parallèlement
à la Petite Messe Solennelle, le ROF proposait un autre bijou,
la cantate Il Vero Omaggio dans sa première exécution
mondiale, du moins dans l'édition critique due à Patricia
B. Brauner.
Les compositeurs s'illustraient volontiers
dans le genre de la cantate à la fin du 18ème siècle.
Tout événement public à caractère officiel
ou politique était l'occasion d'une célébration musicale
et poétique dont la cantate était généralement
l'aboutissement. Les cantates étaient spécialement écrites
pour marquer une naissance royale, un couronnement, une visite importante,
aussi on pardonne davantage la pratique, banale et usuelle à l'époque,
qui consistait à "s'auto-plagier", les musiciens manquant souvent
de temps pour composer ces oeuvres de circonstances.
Le prince viennois Klemmens di Metternich,
fervent adepte de Rossini, commanda cette oeuvre au maître à
l'occasion du Congrès de la Sainte Alliance à Vérone,
en 1822, convaincu que seul Rossini pouvait consacrer l'harmonie nécessaire
à un tel rassemblement de puissants et de têtes couronnées.
Rossini annonce son arrivée
au prince le 12 novembre, arrivée postposée de quelques jours
en raison d'une indisposition de la Colbran, fraîche épousée
du maestro. En date du 20 novembre, Rossini écrit à Giulio
Nicolini, un délégué de la chambre de commerce, afin
de lui proposer le plan définitif de la nouvelle cantate et ses
conditions financières, proposant pour la fin du mois, une oeuvre
basée sur les vers de Rossi, comptant 7 numéros et mentionnant
les noms de Velluti (le dernier grand castrat) ainsi que des ténors
Campitelli et Crivelli. Si Rossini ne cite aucun nom pour la prima donna,
sans doute est-ce dans l'espoir qu'Isabella puisse prendre part à
ce projet. Après l'annulation d'une Zelmira, la Colbran laissera
finalement la Tosi chanter la cantate. L'immense Filippo Galli, modèle
de la basse rossinienne, complétait l'affiche. Rossini insiste pour
justifier ses émoluments sur le temps très court dont il
dispose pour une oeuvre qui présente tout de même les proportions
d'un bon acte d'opéra.
Il est plus que vraisemblable que bien
avant ce courrier, le compositeur avait déjà décidé
dans quelle mesure il puiserait dans une cantate précédente,
La
Riconoscenza, écrite sous forme de compensation pour la Princesse
de Lucca. Celle-ci s'articule en 7 numéros pour 4 solistes et choeur
soutenus par une orchestration et formation instrumentale légères.
Pour Il vero Omaggio, le compositeur va étoffer son orchestration
et étendre la partition à 10 numéros, les variations
et éléments nouveaux se retrouvant essentiellement dans la
deuxième partie, après 4 premiers morceaux quasi identiques.
Au numéro 5, le "concerto pastorale" de La Riconoscenza devient
un choeur dans Il Vero Omaggio. Au 6, l'air du ténor devient
un solo taillé sur mesure pour la basse Filippo Galli. Ensuite,
les cantates évoluent différemment. Nous retrouvons deux
numéros de la main du maître, la cavatine de la prima donna
dont la thématique est entièrement neuve et celle du Genio
où une oreille aiguisée entendra quelques similitudes avec
l'aria d'Antenore ( Zelmira) et Idreno (Semiramide). Pour
le finale en forme de quintette, Rossini réutilisera une de ses
thématiques préférées, le quatuor de Bianca
e Falliero.
La "Gazzetta privilegiata di Venezia"
publiera un compte rendu élogieux de la première représentation
donnée le 3 décembre 1822 au Teatro Filarmonico de Vérone.
Quelques 182 années plus tard,
un public curieux et impatient s'est rassemblé dans le superbe Teatro
Rossini pour cette première exécution critique. Le surintendant,
le directeur artistique, le secrétaire général du
festival et d'autres maisons importantes, rehaussent de leur présence
l'événement et consacrent sa solennité, en particulier
lors de la dédicace à la Scala en présence de son
surintendant Carlo Fontana.
Malgré toutes nos attentes,
il faut bien avouer que nous sommes restés très extérieur
à cette heure de musique.
Les meilleurs moments, limpides et
radieux, nous les devons au maestro Renzetti, qui se partageait entre sa
phalange et, une fois encore, les Choristes de Prague. Sinon, il faut malheureusement
s'interroger sur la simple adéquation vocale et stylistique de la
majorité des solistes que l'on aurait pu croire plus familiers de
ce répertoire.
La découverte du mezzo italien
Manuela Custer fut toutefois un vrai bonheur : lentement mais sûrement,
la chanteuse gravit les marches d'une belle carrière, à la
faveur notamment de sa collaboration avec Opera Rara (participation à
un volume d'Il Salotto, Emma dans la prochaine Zelmira, Pia di
Tolomei, etc.)
Au-delà des flammes écarlates
de sa tenue Gucci, Custer affiche un look résolument moderne. On
se prend immédiatement de sympathie pour l'artiste, simple et sincère.
Une des rares qui nous convaincra dans ses nombreux récitatifs.
La voix est saine, bien conduite, d'une belle projection et rendra justice
à une écriture diablement enlevée. Seule réserve,
nous entendons davantage un superbe Sesto de la Clemenza di Tito
qu'un véritable mezzo-soprano colorature rossinien.
Nous jetterons un voile pudique sur
la prestation de Carlo Lepore, qui pourtant nous avait ravi la veille en
basse comique dans la Matilde di Shabran. Lepore, hormis une fatigue
tout à fait compréhensible, ne possède, à aucun
moment, les moyens vocaux et encore moins stylistiques nécessaires
à cet emploi taillé sur mesure pour les immense moyens d'un
Galli à son apogée. Sans réclamer un Ramey, idéal,
on était en droit d'attendre simplement une basse avec une émission
correcte et un minimum d'autorité. On souffre avec le chanteur lors
de ce qui ressemble au déchiffrage manqué d'un écolier
suant de grosses gouttes. Au point qu'il pousse un soupir de soulagement
en se rasseyant... Nous aussi !
La très médiatique
et charismatique Darina Takova défendait la partie d'Argene. Takova
est notamment bien connue du public belge. Elle lui a offert une intéressante
et inattendue Semiramide, mais aussi une Lucia qui, par contre, s'est révélée
décevante.
Qu'est-il arrivé à la
soprano en cette chaude après-midi ? L'artiste nous semble être
passée complètement à côté de son concert.
Incommodée par la chaleur ? Fatigue ? Indifférence ? La soprano
qui, pourtant, forte de moyens substantiels, est capable de grandes choses
dans un répertoire approprié, ne s'est montrée concernée
par aucune de ses interventions. Son meilleur moment reste le duo avec
la mezzo, cette dernière semblant la galvaniser quelque peu. Sa
scène solo tombe complètement à plat. Approximation,
timbre lourd, projection opaque, aigus durcis... Très curieuse prestation.
Même si Takova nous semble, par nature, davantage destinée
à l'écriture donizettienne, nous l'avons rarement entendue
confrontée à de telles difficultés. Elle nous doit
une revanche.
Tombant de mal en pis, que dire de
Mario Zeffiri qui débutait au ROF cette année ? On retrouve
ce ténor grec très régulièrement dans le sillage
du maestro Zedda. Zeffiri est un bon professionnel et un bon musicien,
il nous est pourtant difficile de passer au-dessus de tant d'insuffisances
vocales : voix courte, tantôt nasale, tantôt engorgée,
timbre ingrat et émission "falsettisante" au point que Matteuzzi
passerait pour un "tenorissimo" !
Pour son malheur, le chanteur doit
défendre des thématiques que nous avons tous dans l'oreille
par Blake, Devia, voire Bartoli. Il les exécute avec une colorature
que l'on croyait révolue depuis Alva et Monti...
Au final, malgré l'accueil bienveillant
d'un public aimable, nous ressortons avec la sensation d'être passé
à côté des beautés que recèle cette cantate.
Néanmoins, il nous semble que La Riconoscenza est mieux équilibrée
à la fois dans la répartition des timbres et des responsabilités
vocales comme dans sa forme musicale. Formons le voeu que Chailly aura
la bonne idée d'ajouter rapidement ce Vero Omaggio à
son calendrier de l'intégrale des cantates rossiniennes, avec, il
va sans dire, une distribution adéquate.
Philip T. PONTHIR