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Les diaboliques
Entretien avec Alain Vernhes et Paul Gay

Alain Vernhes      Paul Gay

L’Opéra de Bordeaux propose du 16 au 28 mars, Faust de Gounod avec en alternance deux distributions, l’une aussi alléchante que l’autre. Pour preuve, les deux Méphisto qui se partagent l’affiche, Alain Vernhes et Paul Gay, représentent chacun dans leur génération le meilleur des basses françaises. Deux grand chanteurs pour l’un des personnages les plus flamboyants ou les plus ridicules – c’est selon – du répertoire. Deux chanteurs, deux personnalités et deux interprétations différentes, l’une d’une franche séduction, irrésistible, l’autre plus ambiguë. Confrontation infernale.




Méphisto, revu par Jules Barbier et Michel Carré, prête aujourd'hui plus à sourire qu'à inquiéter. Partagez-vous cette opinion ?

Alain Vernhes : A sourire, non. A inquiéter non plus. Lorsque l’on est un diable, il ne faut pas forcément inquiéter. Les gens qui inquiètent n’attirent pas, et le rôle du diable c’est d’attirer les gens pour mieux les posséder !

Paul Gay : Pas du tout. La musique de Gounod est extraordinaire, avec une puissance dramatique rarement atteinte dans l’opéra, sauf peut-être par Verdi. Le texte a bien sûr été écrit au XIXe siècle et ne correspond pas à notre actuelle façon de parler. Il y a dans le livret de « Faust » une emphase, certains mots qui prêtent à rire. Mais cela dépend aussi de la façon dont ils sont interprétés.

Chanson du veau d'or, sérénade, nuit de Walpurgis... La partition de Charles Gounod offre à Méphisto de nombreuses occasions de briller. Musicalement, quels en sont les écueils ?

Alain Vernhes : C’est un rôle très large, et particulièrement « le veau d’or », avec un tempo assez allant, avec une amplitude de la voix maximum tout le long… La Sérénade, c’est un peu différent…Les Walpurgis, ce sont les belles phrases chantées de Méphisto, avec le ballet qui est coupé la plupart du temps, sans doute par faute de moyens, mais qui sera présenté à Bordeaux.

Paul Gay : Concernant le rôle de Méphisto, depuis une trentaine d’années, il y a eu une fausse tradition qui a consisté à en faire une voix énorme, complètement monstrueuse, très ample. Cela a été illustré par de grandes basses russes comme Nicolaï Ghiaurov ou Boris Christoff. Ils ont donné au rôle une couleur qui n’est pas à mon avis sa couleur initiale et qui fait que l’on se trompe sur ses difficultés et sur son ampleur. Il comporte effectivement beaucoup de morceaux de bravoure, mais il y a une tradition de basse française, comme Marcel Journet, André Pernet, Xavier Depraz… De très grands chanteurs qui ont interprété ce rôle-là avec une finesse, une intelligence, qui rendaient à la fois les récitatifs extrêmement vivants, brillants dans les changements d’humeur et qui avaient une ampleur suffisante pour chanter par exemple dans la scène de l’église,avec une voix très large et de grands phrasés… Ils pouvaient chanter également « le veau d’or » avec un impact vocal suffisant pour s’imposer face à l’orchestre dont la puissance juste avant l’attaque est redoutable. Les difficultés du rôle sont aussi sa versatilité, la difficulté à passer d’une humeur à l’autre en un rien de temps, d’une émission plus ample à une émission plus légère, du chant au récitatif.

Et quels sont les passages que vous préférez interpréter ?

Alain Vernhes : La scène du jardin. Pour beaucoup de jeunes qui découvrent cet ouvrage, elle peut paraître un peu longue, après la cavatine de Faust et les deux airs de Marguerite… Mais cette scène, musicalement, est écrite de façon extraordinaire. Elle peut être très drôle et c’est pour moi l’une des plus belles scènes de « Faust », au niveau intention et délicatesse.

Paul Gay : Tous ! C’est une joie énorme ! Ce rôle donne toute latitude d’interprétation. Méphisto n’est pas fixé dans un âge précis. C’est un rôle de caractère qui laisse exprimer la jouissance, la rage, la violence, la séduction… un panel énorme d’émotions, de caractères humains différents. C’est cela qui le rend si plaisant et riche à interpréter. S’y ajoute le plaisir du pouvoir et de la puissance : c’est agréable à vivre sur scène.

Pensez-vous que la musique de Faust soit, comme on le dit souvent, datée ?

Alain Vernhes : C’est le grand débat que l’on peut avoir ! En fait, je ne suis nullement d’accord avec tous ces gens qui disent que les opéras sont datés. Si l’on fait une comparaison avec le cinéma : si vous allez voir « Autant en emporte le vent », vous n’allez pas voir le dernier film sorti. Il en est de même à l’opéra… C’est un vécu, c’est une époque. Je vais bientôt faire « Louise » à l’Opéra de Paris, l’ouvrage est daté 1900, mais il a été conçu ainsi et il fait partie de notre patrimoine. Il faut interpréter ces oeuvres telles qu’elles sont écrites, ou ne pas les faire… Et je pense que ne pas les faire serait une erreur.

Paul Gay : Non, c’est un pilier du répertoire lyrique. J’ai remarqué en travaillant le rôle avec une amie chef de chant, à quel point cette musique est spirituelle. On peut juger sa richesse, ludique et dramatique, à la façon dont Gounod gère le quatuor du 3e acte, passant d’un caractère extrêmement lyrique entre Faust et Marguerite, à un côté totalement comique entre les deux autres personnages, Marthe et Méphisto. L’instrumentation est extraordinaire. C’est un chef d’œuvre absolu. Beaucoup de gens n’aiment pas « Faust », traitant l’opéra de « tarte à la crème » à cause de ses grands airs trop connus. Hergé d’ailleurs avec la Castafiore n’a pas fait du bien à l’air de Marguerite. Mais Gounod est l’un des plus grands compositeurs d’opéras que l’on ait. Par bien des côtés, il surpasse Massenet dans le jeu dramatique.

Avez-vous un Méphisto de référence et si oui, quel est-il ?

Alain Vernhes : Je fais partie d’une génération où les gens qui m’ont ébloui dans ce rôle s’appellent Adrien Legros, Huc Santana, Boris Christoff. Leur style n’était pas toujours en adéquation avec l’écriture, mais ils ont été de grands Méphisto.

Paul Gay : Marcel Journet, dont on a plusieurs témoignages sur des disques gravés en 1920 / 1930. Cette simplicité du texte. Cette grandeur d’interprétation d’une voix somptueuse. Un parlé. Une façon de raconter, de conter le texte. La pureté des voyelles. Et dans ce rôle, le jeu sur les mots est très important. L’adéquation entre les mots et la musique est telle qu’il est vital de bien en maîtriser la langue et ses finesses.

A Bordeaux, Jean-Philippe Clayrac et Olivier Deloeuil, les metteurs en scène, veulent donner à voir dans l'opéra de Gounod un mystère chrétien, situé dans un Moyen Age stylisé. Votre conception du rôle se satisfait-elle de cette approche ?

Alain Vernhes : Tout a fait. J’ai beaucoup chanté Méphisto dans des mises en scènes très différentes et j'ai fait celle de David McVicar, à l’Opéra de Lille avec Jean-Claude Casadesus - en 2005 (ndlr) - , une production qui a été créée au Covent Garden à Londres. C’est une approche totalement différente, mais celle de Clarac et Deloeil est sincère et il n’y a pas de raisons de ne pas y adhérer. Malgré tout, lorsque l’on chante souvent le même personnage, l’on est un peu frustré de ne pas pouvoir toujours défendre sa vision du rôle. Cela débute dès le travail avec le chef de chant, se poursuit au théâtre avec la « musicale » où le chef vous dit « là, tu es trop vite… là, tu es trop rapide »…il faut alors prendre sur soi et ne pas faire valoir sa façon de concevoir le rôle… Enfin arrive le metteur en scène qui dit « …mais tu n’as rien compris. Le personnage dit cela, mais en réalité cela veut dire tout autre chose ». C’est très frustrant et il faut être énormément disponible pour bien faire ce métier… C’est avant tout un travail d’équipe.

Paul Gay : La façon dont nous avons travaillé jusqu’à présent avec Jean-Philippe et Olivier est tout à fait originale. Beaucoup de gens modernisent l’œuvre, eux la font évoluer dans un Moyen-âge stylisé, sans ruelles. Et nous ne savons pas encore ce que va donner la différence entre des costumes originaux de cette époque et une scénographie plus épurée. Je ne sais pas comment va se jouer l’adéquation entre les deux, mais leur façon de concevoir l’œuvre et leur direction d’acteurs sont très intéressantes. Ils sont extrêmement préparés et connaissent « Faust » sur le bout des doigts. C’est très appréciable.

Chantez-vous aussi les deux autres Méphisto du grand répertoire, celui de Berlioz et celui de Boïto ? Si oui,  lequel préférez-vous ? Pourquoi ?

Alain Vernhes : Celui de Boïto, je ne l’ai jamais interprété. Je ne suis pas attiré par ce Faust-là. Par contre, celui de Berlioz, je le mets au-dessus de tous. Je l’ai beaucoup chanté, toujours en concert. C’est vraiment un Méphisto extraordinaire dont j’ai récemment fait un enregistrement avec Jean-Claude Casadesus et l’Orchestre National de Lille. Il m’a valu un « Orphée d’or » d’interprétation décerné par l’Académie du disque lyrique.

Paul Gay : Celui de Boïto, je le laisse de côté parce qu’il demande, je crois, une maturité vocale qui n’est pas encore la mienne. Celui de Berlioz, je dois le chanter dans deux ans en Russie, à Moscou. Le projet est en cours. J’aurais bien aimé le chanter déjà, mais je n’en ai pas eu l’occasion. C’est véritablement la pierre d’angle du répertoire, comme le sont les figures diaboliques des « Contes d’Hoffmann ». Il est aussi fermement dans mes intentions de les interpréter.

N'est-il pas frustrant à la longue d'être condamnée par sa tessiture à jouer les pères nobles ou les empêcheurs de tourner en rond ?

Alain Vernhes : C’est le grand désespoir de ma carrière ! J’aurais aimé, une fois dans ma vie, faire un rôle d’amoureux. Mais il n’est pas dit que, parce que j’aurais aimé le faire, j’eusse été un bon amoureux. Cela doit être difficile selon les partenaires. Je suis donc condamné à faire des pères, les Méphisto, les salopards – comme Scarpia par exemple – les cocus… C’est un style de voix, c’est un répertoire à défendre : il faut donc le défendre.

Paul Gay : Pour les pères nobles, peut-être. Pour les empêcheurs de tourner en rond, au contraire, ce sont les rôles les plus agréables à faire. Je n’en fais pas assez à mon goût. Je fais plutôt des pères nobles et je rêve parfois de faire des rôles de baryton… Cette année, j’alterne traître, diable, prêtre, roi, prêtre, diable. Je préfère les diables aux prêtres !

Vos prochains rôles seront-ils aussi diaboliques ?

Alain Vernhes : Non. Je vais aller à Marseille, encore pour un rôle de père, mais un père noble puisque c’est dans « Manon ». Ensuite ce sera Paris où j’interprète le père dans « Louise ». Puis un grand-père à La Monnaie de Bruxelles. Ce sera « Pelléas et Mélisande ». Viendra ensuite un vieux barbon, à Lille, Don Inigo Gomez dans « L’Heure espagnole ».

Paul Gay : J’ai encore quelques rôles de prêtres devant moi, mais aussi celui du chasseur dans « La petite renarde rusée » que je vais faire à l’Opéra Bastille… Un rôle très beau à chanter. Suivront un rôle de roi, toujours à la Bastille et de nouveau un prêtre avec « Lakmé ».



Propos recueillis par Christophe Rizoud
avec l’aide de Noëlle Arnault
(27 février 2008)


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Faust - Gounod
Opéra de Bordeaux

Direction musicale Emmanuel Joël-Hornak
Mise en scène Jean-Philippe Clarac et Olivier Delœuil
Décors Philippe Miesch - Costumes Thibaut Welchlin
Lumières  Giuseppe di Iorio
Dramaturge Luc Bourrousse - Chorégraphie Charles Jude


FAUST Dimitri Pittas (A) ou Woo Kyun Kim (B)
MÉPHISTOPHÉLÈS Alain Vernhes (A) ou Paul Gay (B)
VALENTIN David Grousset
MARGUERITE  Michelle Canniccioni (A) ou Maïra Karey (B)
SIEBEL Marie Lenormand (les 16, 17, 18, 20 et 21 mars) ou Christophe Berry (les 23, 25 26, 27 et 28 mars)
DAME MARTHE Marie-Thérèse Keller
WAGNER Jean-Marc Bonicel (A) ou Loick Cassin (B)


Orchestre National Bordeaux Aquitaine - Choeur de l'Opéra National de Bordeaux - Ballet de l’Opéra National de Bordeaux

Distribution A : 16, 18, 21, 25, 27 mars 2008
Distribution B : 17, 20, 23, 26, 28 mars 2008

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