Il
aurait eu 150 ans le 22 décembre 2008. Sans attendre la fin de
l’année, Forum Opéra a voulu célébrer
Giacomo Puccini en
demandant à chaque membre de la rédaction de choisir
parmi les témoignages de son art (disque, film, livre, etc.),
celui le mieux à même de marquer cet inévitable
anniversaire. Résultat : une poignée de bougies qui
éclairent de leur flamme tendre, enthousiaste, drôle,
caustique, adoratrice – c’est selon - un gâteau dont
les amoureux de l’opéra se régalent encore et
toujours. Buon compleanno Maestro !
Il Trittico – Bruno Bartoletti, Mirella Freni, Leo Nucci, Roberto Alagna, Barbara Frittoli (CD Decca 1994)
Il trittico est à Puccini ce que Les trois contes sont à Flaubert : un condensé de son génie. Il tabarro et son ambiance naturaliste fait songer, par certains aspects à La Bohème ; Suor Angelica, aux pages plus lyriques de Puccini (Mme Butterfly) et Gianni Schicchi...
est incomparable. Dans ce dernier rôle qu'il a souvent
incarné sur scène, Leo Nucci est irrésistible.
Roberto Alagna lui donne la réplique en Rinuccio et le reste du
cast est parfait (Eva Podles, Enrico Fissore, Orazio Mori...)
[Jean-Philippe Thiellay]
La Bohème
– Herbert von Karajan, Luciano Pavarotti, Mirella Freni, Rolando
Panerai, Michel Senechal, Nicolai Ghiaurov, Elizabeth Harwood (CD Decca
1973)
M’énerve, le
Giacomo. Je me laisserai plus prendre. Et je te mets un petit clapotis
de harpe juste après la première phrase de « Che
gelida manina »… et je te double systématiquement
le chant de cordes à cœur d’archet… La Bohème :
du pathos pour midinettes, la preuve, ceux qui tentent la mise en
scène distanciée se plantent inévitablement, et je
ne parle pas de ces chanteurs qui tournent le dos au public pendant la
mort de Mimi, histoire de ne pas craquer. Conseil avant une audition :
mettez en boucle la version inégalée,
Pavarotti-Freni-Karajan. L’émotion, à ce point,
c’est contagieux. [Sophie Roughol]
La Fanciulla del West, Zubin Mehta, Carol Neblett, Placido Domingo, Sherril Milnes (CD Deutsche Grammophon 1978)
Sans hésitation La Fanciulla del West
car c'est sans doute l'ouvrage le plus audacieux de Puccini tant pour
le sujet que pour la partition, sa plus aboutie et sa plus novatrice.
Le Prélude par exemple est un générique de western
avant l'heure. A se demander si les compositeurs d’Hollywood
n'ont pas pompé cette partition ! La version de Mehta, c'est
aussi du cinéma, avec un cast idéal (Domingo fier
à souhait, Milnes méchant comme pas deux, Neblett bonne
comme un bon whisky) et une véritable ambiance de film. Pas
besoin d'images pour sentir les effluves de tabac, le vent et la neige
qui fouettent le visage, le bruit des cartes mêlées puis
qui claquent sur la table. Grandiose ! [Pierre-Emmanuel Lephay]
Madama Butterfly - Herbert von Karajan, Maria Callas, Nicolai Gedda (CD EMI Classics, 1955)
Le disque qui définit le mieux Giacomo Puccini est, pour moi, la Butterfly
enregistrée par Karajan chez EMI, en 1955, avec Maria Callas et
Nicolaï Gedda. On y trouve la virtuosité, la puissance, le
drame sans outrance, et aussi un peu de l’exotisme qui sont la
marque de ce grand compositeur. Et puis, rendre hommage à ce
disque, qui bénéficie de la direction racée du
jeune Herbert, c’est aussi l’occasion de
célébrer un autre anniversaire, qui en ce moment ne passe
pas inaperçu… [Clément Taillia]
Madama Butterfly - Sir John Barbirolli, Renata Scotto, Carlo Bergonzi, Rolando Panerai (CD EMI classics 1966)
J’écoute
assez peu Puccini ces derniers temps… Question d’humeur,
de saison ? Cependant un disque échappe à ce relatif
désamour : Madama Butterfly,
dirigée par Sir John Barbirolli. D’abord parce que
l’œuvre est probablement celle qui me touche le plus chez
Puccini… Mais plus encore du fait des interprètes. Bien
sûr, le Yankee arrogant de Carlo Bergonzi qui ne peut
s’empêcher malgré lui d’être
élégant et sympathique, mais surtout la jeune Renata
Scotto qui est absolument sublime. C’est pour moi une des seules
interprètes crédibles dans ce rôle de jeune fille
de 15 ans. Elle possède à la fois les accents charmants
du début et toute la puissance dramatique du second acte, et son
timbre parfois un rien acide évoque pour moi toute la
fraîcheur et la fragilité de
l’héroïne… Elle réenregistrera
l’œuvre mais ne retrouvera pas cette adéquation
évidente au rôle. [Antoine Brunetto]
Renata Tebaldi chante Puccini (Live Rome, 1954) (http://premiereopera.libsyn.com/index.php?post_id=71880)
Un anniversaire chasse
l’autre ? Pas vraiment. En novembre 1954, pour les 30 ans de
la mort de Puccini, Renata Tebaldi interprète à Rome
certains de ses plus beaux airs d’opéra. En trois extraits
– le premier surtout – elle réussit à nous
donner de la « petite femme puccinienne » -
coupable et victime à la fois - une représentation quasi
idéale : sincérité, frémissement,
lumière de timbre et longueur de souffle (à
écouter en retenant le sien la tenue de la note sur primavere
dans « mi chiamano Mimi »). On n’a pas fait
mieux depuis. [Christophe Rizoud]
Rien ne va plus - Claude Chabrol, Michel Serrault, Isabelle Huppert, François Cluzet (DVD mk2, 1997)
Lorsque, en 1951, le magazine anglais The score
demanda à Boulez d’écrire un hommage à
Schoenberg récemment disparu, maître Pierre
s’empressa de rédiger un petit article que Glenn Gould
qualifiait de « méchant et haineux ». Alors, pour
l’anniversaire de Puccini, compositeur que je n’affectionne
en rien, je ne flatterai pas, moi non plus, la musique de celui qui se
positionna comme le successeur de Verdi, alors que l’opéra
italien eut pu mourir sans que l’histoire de la musique
n’en souffre trop. L’art de Puccini, entre bel canto
finissant et vérisme à la mode, tombe trop souvent
à mon goût dans un kitsch qui sied par ailleurs
très bien à ses interprètes les plus populaires
(pour ne citer que les contemporains, un certain Roberto A. et madame
illustrent ce propos à la perfection). Si je
n’apprécie pas les caractéristiques
intrinsèques de cette musique, il m’arrive de goûter
l’usage qui en est fait. Ainsi, les pleurnicheries de quelques
héroïnes pucciniennes devraient pouvoir effrayer les
oiseaux une fois le temps des cerises venu. Par ailleurs, Claude
Chabrol parvient à nous faire véritablement frissonner
quelques secondes durant avec le Finale de Tosca dans son film Rien ne va plus. [Nicolas Derny]
Tosca
– Gianfranco de Bosio, Bruno Bartoletti, Raina Kabaivanska,
Sherrill Milnes, Plácido Domingo (DVD Deutsche Grammophon 1976)
(voir critique sur Forum Opéra)
Puccini : à ce
seul nom les estomacs fragiles décampent et se réfugient
dans les lividités rasantes de clavecins grelottants. A ceux
dont l’intestin est plus solide, je conseillerais un DVD
faramineux, résumant la tragique splendeur de Puccini : Tosca filmée in loco
par Francesco De Bosio. La Kabaïvanska a le visage
émacié de la terreur ; Domingo, poupin et bestial ;
Milnes avec une bosse sur le nez et le regard vicieux. Sant’
Andrea Della Valle, le Farnèse, le Château Saint-Ange y
sont montrés tels qu’en eux-mêmes : de fabuleux
décors de théâtre. Ah, tout ça n’est
pas très raffiné ! Mais ce plan final sur Tosca
après sa chute disloquée et ensanglantée me fait
danser de joie ! [Sylvain Fort]
Tosca – Victor de Sabata, Maria Callas, Giuseppe di Stefano, Tito Gobbi (CD EMI Classics 1953)
Giacomo Puccini, figure
de proue du vérisme, portraitiste lyrique, séducteur et
grand seigneur, est l’une des rares personnalités
musicales italiennes a avoir sublimé la femme et inventé
des héroïnes de chair et de voix, des univers et des
langages immédiatement identifiables : qu’elle soit diva,
ou simple cousette, princesse ou geisha, qu’elle habite le Far
West, ou réside sur le côte d’Azur, ses
créatures émeuvent, bouleversent, passionnent. Pour
s’initier à l’art de ce compositeur, une seule
proposition : Tosca, son
chef-d’œuvre, tiré de la pièce de Victorien
Sardou, dans la version mythique de Victor de Sabata gravée en
1953, réunissant le cast le plus éblouissant de
l’histoire du disque : Maria Callas, Floria suprême
et inégalée, Giuseppe di Stefano, Mario idéal et
Tito Gobbi, Scarpia légendaire. [François Lesueur]
Tosca - Fausto Cleva, Maria Callas, Franco Corelli, Tito Gobbi (Live New York, 19/3/1965)
Tosca,
opéra le plus connu de Puccini, est aussi le plus
représentatif de ses facettes et même de ses
« tics » de compositeur. On y trouve
l’expression musicale des sentiments qui toujours
enflammèrent le génie créateur du Maestro :
la tendresse, l’amour passionné conduisant à la
violence la plus exacerbée, l’ironie… La
distribution réunit trois monstres sacrés
s’identifiant aux trois rôles principaux avec une
adéquation à couper le souffle. A leur passion
répond la passion du public, débordant
d’enthousiasme, à la fois pour libérer la tension
merveilleuse produite par Puccini sur son spectateur, et pour
fêter comme il se doit ces chanteurs, héros
affectionnés avant d‘être personnages ! [Yonel
Buldrini]
Turandot - Herbert von Karajan, Katia Ricciarelli, Placido Domingo, Barbara Hendricks, Ruggero Raimondi (CD Deutsche Grammophon 1981)
Puccini + Karajan =
addition de deux anniversaires incontournables ! Parmi les grands
pucciniens, Karajan tient une place particulière, très
originale et franchement univoque ! Karajan a beaucoup
enregistré Puccini, avec tous les grands – Callas, Price,
Freni, Pavarotti etc… - et à tous les moments de sa
carrière. J’aurais voulu garder sa Bohême –
DECCA ou dvd Deutsche Grammophon – quasi-idéale, qui
est à Puccini ce que l’image d’Épinal est
à l’imaginaire collectif. Mais c’est à sa Turandot
qu’il a réservé les plus beaux sortilèges.
Lunaire, froide, c’est un flot ; une lame de fonds qui
emporte, soulève. C’est l’une des – la ?
– plus subjectives des versions de l’œuvre ;
elle additionne des défauts criants – criards même,
lorsqu’il s’agit de Ricciarelli, hors gabarit – mais
aussi des réussites particulières – la Liù
fine, fragilissime de Hendricks. Au risque d’être
déçu par – presque – toutes les autres
directions de la confrontation, il faut se frotter à cette
Turandot là ! [Benoît Berger]
Turandot - Zubin Mehta, Joan Sutherland, Luciano Pavarotti, Montserrat Caballé, Nicolai Ghiaurov (CD Decca 1972)
Miracle de
l’industrie discographique : dans l’un des plus difficiles
ouvrages du répertoire, la plus improbable distribution
(impensable à la scène) grave une version
d’éternité. Mehta est-il un chef lyrique ? Il
entretient avec l’ultime feu puccinien une relation d’une
rare intimité qui lui permet de déchaîner la
cruauté orientale et de sublimer un lyrisme à son
apogée. Sutherland est-elle Turandot ? Elle est
princière, elle est glacée, elle réussit à
nous faire oublier son format. Caballé est-elle Liu ? Elle
déploie des prodiges d’intentions musicales pour nous
émouvoir comme jamais dans cette magnifique incarnation du
sacrifice. Luciano Pavarotti est-il Calaf ? Au sommet de son lyrisme
solaire, il s’invente une autre dimension pour sublimer un
« Nessun Dorma » que nos petits-enfants
écouteront encore bouche bée. Lorsqu’une affiche
insensée accouche d’une version de
référence, avec sans doute l’appui des
ingénieurs de Decca, nous ne savons dire que merci. [Vincent
Deloge]
Un pèlerinage à Torre del Lago
En matière de
plaisir lyrique, nous sommes tous d’accord, rien ne vaut le
spectacle vivant. Pour célébrer dignement cet
anniversaire sur les lieux mêmes où Puccini a coulé
des jours heureux, c’est le moment ou jamais de faire le
pèlerinage en Toscane, au bord du Lac Massaciuccoli où le
Maestro italien est l’objet d’un véritable
culte… D’autant plus que le nouveau Teatro
all’aperto (à ciel ouvert) de 3200 places est enfin
inauguré pour l’occasion. Espérons que les
problèmes d’acoustique souvent déplorés
auront été résolus, quel que soit le sens du vent
! C’est Ricardo Chailly qui dirigera l’orchestre de La
Scala pour le concert inaugural du 15 juin. Ensuite Turandot, Tosca, Butterfly et Edgar
se partageront l’affiche… Peut-être pas quatre
étoiles sur le plan de l’interprétation, mais une
myriade dans le ciel d’été de ce lieu magique. Un
conseil : Arriver avant ou bien rester après les foules et
visiter, dans le recueillement, la maison de Puccini admirablement
préservée. C’est là qu’il repose, tout
près du cabinet de travail où il composait entre ses
promenades en canot à moteur et ses chasses à la
bécassine parmi les roseaux. [Brigitte Cormier]
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