TOSCA
Opéra en 3 actes de
Giacomo PUCCINI
D'après la pièce
de Victorien Sardou
Raina Kabaivanska
Plácido Domingo
Sherrill Milnes
Giancarlo Luccardi
Alfredo Mariotti
New Philharmonia Orchestra
Direction : Bruno Bartoletti
Mise en scène : Gianfranco
de Bosio
DVD Deutsche Grammophon
073 403-8
Durée : 1:55:35
(parution Mai 2005)
Quinze ans avant une
Tosca in loco tournée en mondiovision,
la firme allemande Unitel ajoutait à son catalogue de films d'opéra
une
Tosca filmée elle aussi en décors naturels sur
les lieux exacts de l'action. La production se voulait de grande qualité
et la mise en scène en était confiée à
Gianfranco
De Bosio, à la fois connaisseur du monde lyrique, pour avoir
notamment, outre ses mises en scène d'opéra, dirigé
le festival des arènes de Vérone, mais aussi cinéaste
reconnu aussi bien pour ses films d'auteur comme
Le terroriste,
que pour ses fresques à grand budget (
Moïse). Quant
à la distribution, elle réunissait une équipe de premier
plan : Raina Kabaivanska, Placido Domingo, Sherrill Milnes, à la
fois des stars du chant, titulaires reconnus des rôles qui leur étaient
confiés et acteurs très crédibles physiquement. Le
tout était accompagné d'un chef expérimenté
et de grande qualité, Bruno Bartoletti, dirigeant une phalange prestigieuse
et justement célèbre pour ses enregistrements d'opéra,
le New Philharmonia Orchestra.
Longtemps disponible en cassette vidéo sous la marque Decca,
ce film est enfin réédité par Universal sous le label
Deutsche Grammophon, nous permettant ainsi de mesurer, à l'aune
d'un support digital, si cette Tosca est bien comme on s'en souvenait,
un des meilleurs films d'opéra qu'on ait vus. Malgré quelques
détails, surtout inhérents au genre, ce DVD l'est bel et
bien.
Certes, l'opéra de Puccini se prête particulièrement
bien à une adaptation filmée, a fortiori en décors
naturels. En effet, quoi de plus photogénique que les rues de Rome
au point du jour, dans lesquelles le Cesare Angelotti de Giancarlo Luccardi
se faufile avant même que la musique ne commence, que le dôme
de San Andrea della Valle, que les salons du Palais Farnèse et que
les toits de la ville au petit matin vus de la terrasse du château
Saint-Ange !
Outre la simple beauté plastique des décors, Gianfranco
De Bosio suggère quelques idées intéressantes par
des leitmotivs visuels qui, sans être trop insistants, créent
une unité d'ambiance. C'est le cas des enfilades, celles des chapelles
de San Andrea lors de la fuite de Mario et d'Angelotti, celles des antichambres
qui séparent le bureau de Scarpia de la salle de torture, celles
des paliers et des cours du château Saint-Ange. C'est aussi le cas
des noms de papes, Borgia ou Farnèse, inscrits sur le fronton d'une
chapelle, sur le manteau d'une cheminée, sur le montant en pierre
d'une porte. Les personnages sont pris, l'issue qu'ils voient devant eux,
ils ne pourront l'atteindre, car partout le pouvoir oppressif est présent.
De façon plus classique, la caméra de Bosio scande aussi
le rythme de l'action, par mouvements lents lors des deux duos d'amour
de Mario et Tosca ou au contraire par des changement de cadrages rapides
et des plans qui s'enchaînent prestement lors de la confrontation
chez Scarpia.
Malgré cette volonté de signification visuelle, la mise
en scène est délibérément réaliste en
ce sens que tout ce que nous voyons se veut une reconstitution de l'action
telle qu'elle se serait passée en 1800, jusque dans ses moindres
détails, comme celui de la voiture que prend Tosca entre chaque
acte.
Cependant, quelques détails, justement, sont pour le moins curieux.
Non qu'ils soient très importants, mais dans la perspective d'une
mise en scène scrupuleuse, ils font un peu tache. C'est le cas de
la Maddalena de Mario, qui n'est pas une fresque peinte au mur, ce qui
justifierait sa présence dans l'église, mais un tableau monté
sur un improbable échafaudage au beau milieu de la nef et qu'il
pourrait tout aussi bien peindre chez lui, dans son atelier. Autres éléments
légèrement incongrus : le maquillage de Tosca qui fleure
bon ses années 70, ou bien, et de façon plus surprenante,
la barbe de Mario. Tous les autres personnages que nous voyons, Scarpia
au premier chef, portent en effet favoris et boucles ramenés sur
les côtés, selon la mode du début du XIXième
siècle. Mario, lui, a la tête de Domingo des années
70-80 avec cette barbe naturelle que n'aurait jamais portée le Cavaliere
Cavaradossi.
Nonobstant ces vétilles, les acteurs sont très bien dirigés
et d'autant mieux filmés que tous jouent bien, jusqu'au Sacristain
d'Alfredo Mariotti dont la claudication nous semblerait presque aussi évidente
que la cécité du Grand Inquisiteur. C'est pourtant Raina
Kabaivanska qui remporte la palme de la pertinence scénique tant
elle est belle, passionnée et volontaire.
Sherrill Milnes, quant à lui, joue parfaitement son personnage
d'odieux grand seigneur mais, malgré le faux nez crochu dont on
l'a affublé, il est tellement séduisant que le dégoût
de Tosca, qui pour l'époque est une femme de petite vertu puisqu'elle
couche avec un homme sans en être mariée, est assez surprenant.
Kabaivanska et Milnes ont cependant pour point commun de donner l'impression
de chanter véritablement, évitant l'écueil souvent
gênant des films d'opéra en play back. Ainsi quand
Tosca chante les contre-uts de la partition, on voit à l'image une
chanteuse d'opéra qui fait un suraigu et pas une actrice du muet
qui mime vaguement les paroles qu'elle est supposée chanter.
Cette qualité, Placido Domingo ne la partage pas vraiment tant
on ne croit que très rarement qu'il chante. C'est ce qui rend sa
prestation scénique un peu moins aboutie, malgré une véritable
incarnation dramatique, singulièrement lors de son duo avec Tosca
au château Saint-Ange. A cet instant, on lit sur son visage, intuition
géniale de l'acteur Domingo, que Mario ne croit pas au trucage de
l'exécution.
Mais si, visuellement, ce film est vraiment très réussi,
la bande son, elle, frise tout simplement la perfection. Le mérite
en revient en partie à la direction vive de Bruno Bartoletti, à
son sens des contrastes de couleurs et de dynamique, à la sûreté
d'exécution et, tout simplement, à la beauté sonore
du New Philharmonia Orchestra. Le mérite en revient surtout à
la distribution vocale de très haut niveau.
Un mot d'abord des seconds rôles pour citer l'Angelotti très
digne de Giancarlo Luccardi, le Sacristain bouffe bien rodé d'Alfredo
Mariotti et le Spoletta de Mario Ferrara qui, sans démériter,
n'est cependant pas très marquant.
Voilà un reproche qu'on ne peut pas faire à son chef !
Sherrill Milnes campe en effet un Scarpia de très haute tenue, d'une
immoralité sans ambiguïté mais séduisant et grand
seigneur, une caractérisation beaucoup plus fouillée que
l'essentiel de la critique a bien voulu reconnaître à ses
divers Scarpia. Pour s'en convaincre, il suffit d'écouter son Insistiamo
ironique : une vraie trouvaille ! Vocalement, son art du chant, ses facilités
sur toute la tessiture et sa maîtrise de la dynamique le placent
très au-dessus de nombre de Scarpia qui ne sont qu'acteurs ou qui
se contentent d'être des méchants vociférants. Il est
tour à tour puissant dans le Va Tosca et le Te deum,
subtil dans Tosca è un buon falco ou mordant dans Già
mi dicon venal.
Face à lui, son rival et partenaire d'innombrables enregistrements
(dont une autre Tosca d'ailleurs), est campé par un Placido
Domingo au sommet de sa forme. Pour cet enregistrement, le deuxième
des quatre qu'il grava en studio, il fait montre non seulement de cet engament
de chaque instant et de cette chaleur qui lui sont coutumiers, mais aussi
d'une vaillance, notamment dans l'aigu, qu'il n'a pas toujours eue. Ainsi,
son Vittoria ! Vittoria ! est le plus beau qu'on lui connaisse.
Tout juste peut-on regretter, en réécoutant son E lucevan
le stelle, qu'il n'y déploie pas un peu plus de legato
et de messa di voce. Mais ce sont là des défauts qu'on
ne perçoit qu'une fois dissipée l'émotion qu'il sait
créer dans ce morceau.
Si Placido Domingo et Sherrill Milnes étaient de grands habitués
des studios d'enregistrement dans ces années 70, il n'en allait
pas de même pour Raina Kabaivanska dont la carrière, si importante
qu'elle ait été, s'est presque toute entière déroulée
sur les planches. Elle n'en reste pas moins que Tosca était son
rôle emblématique, celui de ces récents adieux (1)
et le seul qu'elle a gravé à plusieurs reprises (2).
Il est vrai que son incarnation est de très haute volée.
On a déjà dit son adéquation physique avec la diva
romaine, l'intelligence de son jeu, il faut aussi souligner la justesse
de sa caractérisation vocale. Raina Kabaivanska maîtrise chaque
mesure de cette partition, aussi bien dans ses aspects lyriques, avec une
ligne jamais prise en défaut, des messe di voce fort à
propos et ce qu'il faut de port de voix pour coller au style de cette musique,
que dans ses aspects dramatiques avec des aigus précis et bien projetés.
Surtout, la chanteuse bulgare a trouvé la juste mesure d'un personnage
qu'elle fait sien sans pasticher d'autres incarnations, aussi éloignée
d'une Turandot des bords du Tibre que d'une Mimi montée en graine.
C'est d'ailleurs la Floria Tosca de Raina Kabaivanska qui fait tout
le prix de ce DVD. Médiocrement entourée dans son première
enregistrement, captée un peu tard dans le deuxième, elle
nous est rendue ici dans la splendeur de ses moyens, de sa beauté
et de son art, filmée dans d'excellentes conditions et accompagnée
des meilleurs partenaires qui pouvaient se trouver à l'époque,
si ce n'est toutes époques confondues ; sans conteste la meilleure
Tosca de sa génération et certainement une des plus exceptionnelles
dont on ait gardé témoignage.
Xavier LUQUET
Notes
(1) Voir la critique de Placido Carrerotti
de cette Tosca à
Parme
(2) La première fois avec Nazzareno
Antinori, Nelson Portella et Enzo Darà sous la direction de Gabriele
Bellini chez ARTS en 1982; la seconde, captation live de Londres avec Luciano
Pavarotti, Ingvar Wixell, sous la direction de Daniel Oren chez RCA/BMG
en 1990
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