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« Je suis un poète lyrique… »
Entretien avec Olivier PY
Figure incontrouvable
de la scène française, Olivier Py présente actuellement sa mise en
scène du Rake's progress de Stravinsky, au Palais Garnier. Poète aux
avis tranchés, il a répondu avec lyrisme et franchise à nos questions.
Homme
de théâtre, auteur, comédien, réalisateur,
chanteur, directeur du CDN d'Orléans et depuis mars 2007 du
prestigieux Théâtre de l'Odéon, vous débutez
seulement aujourd'hui à l'Opéra National de Paris en tant
que metteur en scène, alors que votre première
expérience lyrique remonte à 1999. Comment avez-vous
rencontré et goûté à l'opéra ?
Olivier Py : Très naturellement au départ, grâce
à ma grand-mère italienne qui écoutait
principalement le répertoire italien, puis avec la passion de la
musique. A 18 ans j'ai eu envie de devenir chanteur et j'ai donc
travaillé ma voix avec un professeur de chant pour être
ténor, mais je me suis rendu compte qu'il fallait s'investir
énormément et ne faire que cela, ce qui était
incompatible avec mes multiples aspirations, comme vous l'avez
signalé. En un sens, j'ai presque rencontré
l'opéra avant le théâtre, puisque j'ai appris
à le connaître par le disque. Je me souviens que ma
grand-mère chantait en s'accompagnant au piano Tosca
en français et que je la suivais, fasciné. Par la suite
j'ai découvert Mozart et Wagner qui ne faisaient pas partie du
répertoire familial.
Avant de vous confronter
à votre premier opéra, on disait de votre travail qu'il
avait une dominante lyrique. Etait-ce selon vous de l'ordre du
conscient ou de l'inconscient ?
Olivier Py : Du conscient et de l'inconscient. Je suis un poète
lyrique, ce que j'assume et j'ai cherché des acteurs lyriques
pour incarner un verbe qui l'est par essence ; mais ce n'est pas un
choix. D'ailleurs on n'est pas plus un poète lyrique, que l'on
n'est un peintre expressionniste, c'est ainsi. On se rend compte que
l'on est comme ça et que c'est inscrit dans son corps. Comment,
je ne sais pas, c'est un sujet de méditation profonde. Ma troupe
a frayé avec Antoine Vitez qui était un défenseur
du grand verbe et du verbe lyrique. Mais attention, on peut être
poète sans être lyrique, regardez Joël Pommerat qui
crée Pinocchio en ce moment, voilà un grand poète, qui n'est absolument pas lyrique.
Depuis Der Freischütz
de Weber à Nancy, vous avez mis en scène trois
opéras français, deux ouvrages de Wagner, un de Britten
et participé à une création mondiale de Suzanne
Giraud, Le vase de parfums.
Ces titres sont-ils proches de vos affinités en matière
lyrique, où le reflet de propositions qui vous ont
été faites ?
Olivier Py : Plutôt une question de choix ; on peut dire qu'un
chemin s'est tracé d'ouvrage en ouvrage, sans aucune rencontre
avec l'opéra italien, ce que je regrette. On a fait appel
à moi pour des opéras plus noirs, plus durs comme le
confirme la proposition du Rake's progress, dont la musique n'est
heureusement jamais lourde, même quand le livret d'Auden est
violent ou sinistre ; elle conserve toujours une part de
lumière. Ce conte garde une certaine
légèreté même dans l'épouvantable. Je
ne sais pas comment cela marche ! Pour revenir aux
premières propositions, elles étaient tout de même
un peu préméditées par Jean-Marie Blanchard. Quand
il m'a demandé ce que je voulais faire, j'ai répondu Les contes d'Hoffmann, mais il l'avait déjà au répertoire. Il m'a donc confié Der Freischütz, ce qui m'a réjoui. Une fois à Genève nous avons pu monter Les Contes, puis La Damnation de Faust.
Ainsi, avons-nous construit une trilogie autour du diable et de la
question du fantastique comme source d'inspiration romantique. A ce
propos nous allons reprendre la saison prochaine à Genève
ces trois titres. Quand aujourd'hui on me propose The rake's progress,
j'ai l'impression qu'il y a une sorte d'unité, puisque c'est un
Faust des années cinquante. Mais j'aimerais beaucoup m'attaquer
à Madame Butterfly, à Verdi, à Tosca,
j'aime beaucoup les grands italiens ; à l'opéra j'aime
pratiquement tout d'un point de vue musical, à part certains
livrets. J'ai des avis particuliers, car je trouve celui de Cosi fan tutte faiblard, alors que celui de Thaïs me plait davantage. Le XIXe siècle ne me fait pas peur. J'avais un projet de Huguenots
de Meyerbeer au Châtelet, mais rien ne s'est
concrétisé; l'œuvre est assez formidable. Je ne
refuserais pas non plus Les pêcheurs de perles.
On entend souvent dire que
les metteurs en scène de théâtre apportent
davantage de densité dramatique, quand ils sont appelés
à l'opéra. Vous qui passez de l'un à l'autre,
trouvez-vous que le théâtre soit plus exigeant et novateur
que l'opéra en matière de jeu ?
Olivier Py : Pas du tout, ce sont des choses que l'on disait dans les
années soixante dix. Qu'est ce qu'on appelle novateur ?
Aujourd'hui la critique n'a plus qu'un seul critère de critique,
pardon pour cette tautologie, c'est le catéchisme de la
subversion. Si un spectacle fait scandale, il est forcément
génial. C'est très fatigant, car cela nous empêche
de travailler, de réfléchir et de chercher la
beauté. La provocation gratuite, la subversion et la
déconstruction des œuvres ne m'intéressent pas.
L'actualité est moins riche que ce qu'il y a dans les
œuvres. L'appareil poétique qu'il peut y avoir chez
Wagner, ou dans le Nerval de La Damnation,
n'a rien d'actuel et c'est justement cette "inactualité" qui est
passionnante, car elle apporte autre chose que notre quotidien. Je ne
crois pas qu'au théâtre on invente plus qu'à
l’opéra. J'ai toujours demandé à mes acteurs
de jouer au théâtre comme les chanteurs d'opéra.
Bien sur si on joue Tchekhov il n'est pas indispensable d'avoir un jeu
lyrique, mais si l'on représente Claudel, ou L'Orestie,
il est nécessaire de jouer avec lyrisme. Tous les acteurs avec
lesquels je travaille sont des fans d'opéras, inspirés
par le jeu des grands artistes lyriques. Seulement beaucoup de jeunes
artistes lyriques ont une vision du jeu totalement formatée par
le cinéma et la télévision. Il faut leur apprendre
à être lyrique, car si pour eux un bon acteur doit jouer
comme dans un feuilleton télé, je ne vois pas
l'intérêt d'aller à l'opéra. Je ne travaille
pas sur le psycho-réalisme, car n'importe qui peut s'en
approcher, alors que retrouver ce que faisaient Gwyneth Jones ou
Shirley Verrett, les jeunes artistes ne savent pas le faire. Ni un
geste formaliste, ni un geste psycho-réaliste, donc un geste de
théâtre : voilà ce à quoi j'aspire et ce
qu'étaient les grands enseignements de Jean Vilar et d'Antoine
Vitez.
Le chef Marc Minkowski avec qui vous avez réalisé Pelléas et Mélisande à
Moscou, dit que vous avez une vraie oreille et un véritable
amour de la musique. Le fait d’avoir suivi des études de
chant et joué la comédie n'est-il pas un avantage pour
mieux comprendre les artistes, répondre à leurs questions
et leur demander précisément ce que vous attendez d'eux ?
Olivier Py : Je pense en général que ce qui est bien pour
la musique, l'est aussi pour le théâtre. Ce point de vue
original déroute certains de mes camarades ; je m'explique.
Quand le placement des chœurs est bon musicalement, il l'est
aussi dramatiquement. Quand un chanteur me dit qu'il ne peut pas
effectuer un geste juste avant un passage difficile, je pense qu'il a
raison. Donc je ne pars pas de l'idée qu'il y a un tiraillement
entre le jeu dramatique et les exigences musicales, au contraire. S'il
y en a un, je me suis trompé. On peut faire une propagande en
disant que les chanteurs d'opéra sont impossibles, qu'ils
regardent systématiquement le chef et qu'ils se placent à
l'avant-scène, etc. Il y a des chanteurs qui ne pensent
qu'à faire des acrobaties et des critiques qui
considèrent que seule une chanteuse mince est une bonne actrice.
Ca n'a rien à voir. J'ai toujours pensé que Montserrat
Caballé était une grande actrice, mais tout cela est trop
compliqué et personne ne comprend ce que je veux dire.
Seulement, à ce propos les jeunes chefs devraient comprendre que
lorsqu'ils font de l'opéra, il ne s'agit pas d'un disque. Ils
ont souvent l'oreille déformée par le CD et ne
comprennent pas la spatialisation de la musique. La première
qualité d'un chef d'opéra est de savoir cela. Une voix
qui vient du lointain et avance vers l'avant-scène, c'est de la
musique. Même des bruits de pas peuvent participer de la musique.
Ed Gardner sur la production du Rake's progress en est tout à fait conscient.
Contrairement à
certains projets élaborés très longtemps à
l'avance, vous avez accepté de remplacer Luc Bondy qui devait
mettre en scène The Rake's progress
de Stravinsky au Palais Garnier à quelques mois de la
première. Fait du hasard, vous aviez devant vous le temps
nécessaire à l'étude et au montage de
l'œuvre. Auriez-vous donné votre accord si rapidement s'il
s'était agi d'un ouvrage aux possibilités
scéniques plus modestes et pourquoi ?
Olivier Py : Je ne donne jamais mon accord pour une œuvre que je n'aime pas à 200%. Si l'on me proposait Cosi,
vous l'avez compris, je répondrais que je n'ai pas
d'idée, car c'est un théâtre que je ne sais pas
faire. Pour ce qui est du Rake's progress,
cela tombait bien, car je connaissais l'œuvre,
l'appréciais et avais le temps nécessaire devant moi pour
ficeler un projet.
Les thèmes du Rake's progress
sont sans doute les plus proches de votre univers : un sujet noir qui
raconte la descente aux enfers, consentie, d'un être qui a tout
pour être heureux, mais qui préfère pourtant
choisir le pire. Comment vous sont venues les idées, le concept,
l’atmosphère dans laquelle vous avez choisi de faire
évoluer Tom Rackwell et Nick Shadow ?
Olivier Py : J'ai toujours pensé que ce n'était pas une
œuvre néoclassique, qu'elle n'avait pas grand chose
à voir avec le XVIIIe, mais qu'au contraire il s'agissait d'un
ouvrage typique des années cinquante avec des thèmes
philosophiques liés à cette époque. Selon moi ce
n'est pas une œuvre morale, à la différence des
peintures d'Hogarth. Par ailleurs je fréquente Auden depuis une
vingtaine d'années. Partant de ce principe, j'ai
décidé de me débarrasser des costumes XVIIIe avec
la volonté de faire entendre Stravinsky.
La figure du diable,
représentée ici par Nick Shadow, ajoutée par
Stravinsky, n'est pas nouvelle pour vous qui avez déjà
dû la traiter dans Les contes d'Hoffmann d'Offenbach et dans La damnation de Faust de Berlioz. Que vouliez-vous dire de cette incarnation du mal cette fois ?
Olivier Py : Hogarth ne représente ni Faust, ni la femme
à barbe, mais une vieille marquise que Tom épouse pour
l'argent. Chez Auden, il se marie à un monstre pour affirmer la
notion de libre arbitre, ce qui est une question philosophique
existentielle propre aux années cinquante. Ce diable est moins
radical : il est agissant. Claudel dit que "le diable est un esclave
qui pédale pour faire monter l'eau", c'est un peu ce que dit
Nick avant de disparaître, en déclarant qu'il doit
travailler chaque jour. Nick est un mal nécessaire chez Auden.
Au théâtre
comme à l'opéra, vous avez fréquemment besoin de
lourdes machineries et de décors imposants, constitué
d'armatures, d’architectures métalliques,
créées par votre décorateur attitré
Pierre-André Weitz, depuis 1990. D'où vous vient ce
goût pour la démesure, cette propension au gigantisme,
à l'épique, que l'on retrouve également dans vos
textes dont certains peuvent durer 24 heures, comme La servante,
histoire sans fin ?
Olivier Py : Pas toujours, il m'arrive de réaliser de petites formes comme Curlew river, ou le conte
de Grimm. J'aime les machineries, les cintres, c'est exact et avec
Pierre-André qui est à la fois chanteur lyrique et
architecte, ce qui est rare, nous avons inventé ce
théâtre-là. Il essaye de conjuguer à la fois
Le Corbusier et le lyrisme du chant, le déplacement des
décors permettant de visualiser la partition. Ce parti pris est
réussi quand derrière un effet de machinerie
spectaculaire, quelque chose de l'âme apparaît.
C'était le cas avec Tristan,
où nous avons tenté de montrer l'action
intérieure, le bouillonnement des cœurs, grâce aux
décors.
Personnalité
polymorphe de la scène française, vous cumulez les postes
d'auteur, de comédien, de metteur en scène et de
directeur de salle et non des moindres, ce qui s'est rarement vu. De
quoi êtes-vous le plus fier, qu'est-ce qui vous satisfait le plus
et pour quelles raisons ?
Olivier Py : D'abord je suis une personne plus qu'une personnalité (rires).
Trêve de plaisanterie, je suis fondamentalement un poète
et la seule chose essentielle à ma vie c'est l'acte
d'écrire. Le reste, je le fais par plaisir, quelque fois par
devoir et toujours par amour du théâtre.
Propos recueillis par François Lesueur
le 4 mars au Théâtre de l'Odéon
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