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PARIS
03/03/2008
Toby Spence (Tom Rackwell) & Hilary Summers (Mother Goose)
© F. Ferville / Opéra National de Paris
Igor STRAVINSKY (1882-1971)
The rake’s progress (1951)
Opéra en trois actes
Livret de Wynstan Hugh Auden et Chester Kallman,
inspiré par une série de peintures homonyme de William Hogarth
Trulove : René Schirrer
Anne Trulove : Laura Claycomb
Tom Rakewell : Toby Spence
Nick Shadow : Laurent Naouri
Mother Goose : Hilary Summers
Baba the Turk : Jane Henschel
Sellem : Ales Briscein
Keeper of the madhouse : Ugo Rabec
Mise en scène et lumières : Olivier Py
Décors et costumes : Pierre-André Weitz
Orchestre et choeurs de l’Opéra National de Paris
Direction : Edward Gardner
Opéra de Paris Palais Garnier : 3 mars 2008
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Libertinage à tous les étages
Suite au désistement de Luc Bondy qui devait s’attaquer au chef-d’œuvre de Stravinsky, Olivier Py
s’est empressé de répondre à
l’invitation de Gérard Mortier. Figure polymorphe de la
scène théâtrale française, auteur,
comédien, chanteur, directeur de l’Odéon, mais
avant tout poète, Py n’avait jamais eu l’occasion de
monter un opéra à Paris, à l’exception de sa
mise en scène du Vase de parfums
(dont il était également librettiste) de Suzanne Giraud,
créé au Théâtre de la Ville en 2004. On
attendait donc avec impatience sa lecture du Rake’s progress, quelques mois après celle d’André Engel au Théâtre des Champs Elysées.
Alors que le polonais Krzysztof Warlikowski, qui présente actuellement Parsifal
à la Bastille, ne conçoit l’opéra
qu’en le transposant, Olivier Py, qui se considère
davantage comme un traducteur, se méfie de ce geste et
préfère situer les sujets qu’il traite dans un
univers où se mélangent les styles et les époques,
sans souci de repères historiques, ou de
références explicites. La descente aux enfers consentie
de Tom (le naïf), cyniquement préméditée par
Nick (le diable), nous est donc relatée dans des décors
à l’équilibre instable, constitué
d’armatures métalliques, de panneaux, d’escaliers et
de praticables emboîtés, séparés,
déplacés au gré des scènes et des
situations et dont les multiples transformations expriment
l’état d’âme des personnages. Ce principe
déjà expérimenté dans Le Vase de parfums, Les Illusions comiques (au Rond Point) et à une plus grande échelle, dans Tristan et Isolde
à Genève, rendu possible par l’intervention de
Pierre-André Weitz, décorateur attitré de Py,
permet certes d’illustrer l’action et d’accompagner
les pérégrinations de Tom, sans que le point de vue du
metteur en scène ne soit pour autant clairement
identifié.
L’ensemble manque parfois de cohérence,
d’unité, de liant, l’impression laissée par
cette succession de tableaux tantôt provocants (l’orgie),
tantôt « baroques » (le cabaret de Baba the
Turk), tantôt romanesques (le doux réveil des amants au
1er acte), répondant plus à un impératif
esthétique qu’à une démarche
interprétative de l’œuvre. Dans ce grand livre
d’images en blanc, noir et argent, où la chair est triste,
l’humour absent et la corruption omniprésente, quelques
idées apportent cependant un éclairage nouveau, telle que
la maternité inattendue d’Anne, dont il est probable que
le fils suivra les pas de ce père inconsistant, comme le laisse
supposer le costume clinquant dont il est affublé.
La prestation vocale et scénique de Toby Spence
(Tom), qui débutait dans cet emploi, a été
justement saluée, le ténor évoluant avec une
légèreté et une présence sidérantes
au milieu de corps dénudés, masqués, travestis ou
bodybuildés ; chauve et ventripotent, il termine sa course
émouvant et pathétique comme s’il avait
déjà fréquenté l’ouvrage des dizaine
de fois. Laura Claycomb,
malgré les errements propres à son personnage, habite le
rôle d’Anne - qu’elle connaît bien – avec
une clarté de ligne, une profondeur psychologique et une
évanescence instrumentale qui sont la marque d’une grande
titulaire. On aurait pu croire que Laurent Naouri investisse avec plus
de brio le personnage de Nick Shadow, qu’il chante dans un
anglais pâteux et joue de façon trop uniforme, comme
s’il était sur la réserve. René Schirrer (Trulove), Hilary Summers (Mother Goose), Ales Briscein (Sellem) et surtout Jane Henschel, femme à barbe truculente et décomplexée, complètent honorablement cette distribution.
Pesante et fragmentée, la direction d’Edward Gardner
abordée sans une once de spiritualité,
d’étincelle, ou de fantaisie, ne fait qu’accentuer
le désespoir de cette fable, sans que la moindre trace de second
degré, composante pourtant chère au compositeur, ne
puisse s’immiscer.
François LESUEUR
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