DECHIRANTS ADIEUX....
"La sortie du vert paradis de l'enfance,
le regret de la jeunesse, l'exil volontaire ou forcé, la séparation
des amis ou des amants, le départ pour la guerre, le dernier voyage...
Autant de feuillets du livre de la vie où résonne le chant
de l'adieu, avec le lamento de l'absence."
- Guy Sacre
La saison musicale du Musée
de l'Armée, dont la programmation est décidément bien
intéressante et inventive, nous avait déjà proposé
en début d'année (février 2004), dans ce même
lieu chargé d'histoire, un parcours baroque fort séduisant
avec Armi e Amori.
Cette fois, il s'agit d'un cycle intitulé
"Les Adieux", se déclinant en deux parties, la première mêlant
littérature et pièces pour piano, la seconde où la
voix parlée s'efface peu à peu pour faire place aux lieder
et mélodies, ainsi qu'au piano qui les accompagne, le tout imaginé
par le compositeur, écrivain et conférencier Guy Sacre. Ce
dernier, qui a composé de nombreuses pièces pour piano et
une centaine de mélodies éditées chez Durand, est
également l'auteur d'un vaste ouvrage "La musique de piano" en deux
volumes (édité dans la collection "Bouquins" de Robert Laffont).
Il a par ailleurs réalisé des émissions pour la Radio
Suisse Romande et des conférences centrées sur des thèmes
d'esthétique musicale et littéraire. Enfin, il est depuis
1994, conseiller artistique du festival Chopin à Paris.
Pour l'accompagner au cours de ces
deux soirées, il a choisi des artistes avec lesquels il partage
une grande complicité depuis plusieurs années : un disque
comportant quelques unes de ses oeuvres majeures pour piano a été
enregistré par Billy Eidi en 1995 chez Timpani, suivi en 2000 d'un
choix de ses mélodies par Florence Katz et Jean-François
Gardeil, avec le même pianiste, chez le même éditeur.
Le premier concert, qui fait la part
belle à la littérature et au piano avec lequel elle dialogue,
est exemplaire d'érudition aussi bien littéraire que musicale.
Les talents d'orateur et de "diseur" de Guy Sacre sont indiscutables, sa
voix est douce et chantante, son discours d'un raffinement extrême.
Sa culture est impressionnante, et à la littérature pianistique,
souvent riche de trouvailles (Blancafort, Mompou) s'allie un choix pertinent
et original, parfois inattendu, de textes de Borges, Carco, Bataille, Mauriac,
Villon, Apollinaire, Chateaubriand, Max Jacob, Léon Paul Fargue,
Clément Marot et Tagore. De plus, là ou bien d'autres, à
l'occasion d'un tel parcours, se seraient cantonnés à un
brillant exercice de style, où prédomine le pur intérêt
intellectuel, l'émotion est au rendez-vous... Et quelle émotion
! Parfois en sourdine, parfois submergeante, elle laisse par moments l'auditeur
pantois, la gorge serrée, quasiment au bord des larmes. C'est que
ce thème de l'adieu concerne tout un chacun et que personne n'a
jamais échappé à ce rituel déchirant, qui trouve
en la musique pour piano des résonances infinies et secrètes....Celui
de Billy Eidi est également exemplaire, humble, pudique et pourtant
ô combien présent...
"Il est de doux adieux au seuil
des portes...
Il est de longs adieux au bord
des mers...
Il est d'autres adieux encor
Que l'on échange à
voix plus basse..."
Henri de Régnier, mis en musique
par Albert Roussel
(figurant au programme de la deuxième
partie)
Avec l'arrivée du chant, l'exercice
se modifie sensiblement, et oserons-nous le dire, se banalise quelque peu,
comme si la voix chantée, pourtant fascinante à plus d'un
titre, se révélait parfois impropre à véhiculer
totalement le charme du verbe. L'auditeur se retrouve aussi dans un univers
plus connu, celui de la poésie mise en musique, alors que le dialogue
entre piano et texte parlé semblait plus subtil et plus rare...
Eternel débat, dont Richard Strauss fera un opéra, "Prima
la musica, dopo le parole", ou l'inverse ? On ne sait...
Toujours est-il que, malgré
l'ordonnancement virtuose du programme, alternant oeuvres rares et connues,
et le recours parfois surprenant à Borges, Péguy, Rimbaud,
Hugo, Louise de Vilmorin, Montherlant, Eluard, Flaubert, Aragon, Baudelaire
et Ronsard, l'itinéraire choisi recèle moins de surprises
émotionnelles, à quelques exceptions près, bien sûr.
Jean-François Gardeil possède
un beau timbre et une présence indiscutable, mais sa diction allemande
n'est pas toujours très intelligible, en particulier dans "Abschied"
extrait du "Chant du Cygne" de Schubert, compositeur dont l'univers lui
semble assez étranger. Schumann, Mozart et le répertoire
français paraissent mieux lui convenir, comme "Les Adieux" de Roussel
et la mélodie de Guy Sacre "Ils ne savent pas", sur un poème
de Georges Schehadé.
Florence Katz, dont on connaît
les grandes qualités, semble plus à l'aise dans l'ensemble
des oeuvres qui lui sont dévolues. Elle livre une très belle
interprétation de "Abschied von Frankreich", opus 135 n°1 (Marie
Stuart) et de "Trois beaux oiseaux du paradis" de Ravel. Cette dernière
mélodie constituera, dans sa touchante simplicité, un des
sommets de la soirée, l'autre étant la lecture vertigineuse
et poignante de "L'adieu de Madame Arnoux", extrait de "L'Education Sentimentale"
de Flaubert par Guy Sacre.
Si l'on ajoute que Billy Eidi sait
aussi être un accompagnateur attentif et délicat, on pourra
conclure que ces deux soirées ont constitué un cycle tout
à fait captivant, créatif et original.
Le "mot" de la fin fut sans doute donné
par "L'adagio pour harmonica de verre" écrit par Mozart peu de temps
avant sa mort, qui fermait la première partie du cycle. Rarement,
on aura entendu adieu plus déchirant, s'ouvrant sur le silence cruel
de l'absence.
Juliette BUCH
NB : Pour les amateurs, on pourra retrouver
Guy Sacre, Florence Katz et Billy Eidi le 28 novembre prochain à
17 h 30 dans un concert-conférence intitulé "Verlaine, masques
et bergamasques" (Fauré, Debussy, Ravel, Hahn...) à la Fondation
Dosne-Thiers, 27 Place Saint-Georges 75009 Paris - 01 43 71 60 71 ou www.autourdupiano.com