OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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AVENCHES
06/07/2007
 
© Jean-Marcel Humbert
Giuseppe VERDI (1813 - 1901)

AÏDA 

Opéra en 4 actes
Livret d’Antonio Ghislanzoni
d’après Camille du Locle et Auguste Mariette Bey

Mise en scène : Francesco Ellero D’Artegna
Scénographie : Angelo Sala
Costumes : Francesca Pipi
Éclairages : Sergio Fontana

Aïda : Amarilli Nizza
Amnéris : Rossana Rinaldi
Radamès : Gustavo Porta
Amonasro : Alberto Mastromarino
Ramfis : Francesco Ellero D’Artegna
Le Roi : Paolo Battaglia
Un messager : Antonello Ceron
Une prêtresse : Vilislava Gospodinova

Orchestre et chœurs du festival d’opéra d’Avenches
Direction : Carlo Palleschi

Avenches, arènes, 6 juillet 2007

Du vrai spectacle populaire


Troisième jour. Après avoir repassé les Alpes, on retrouve la pluie et un ciel nuageux du plus bel effet, mais tout aussi inquiétant (le plein air n’est quand même pas de tout repos cette année !). Mais comme à Vérone, après une ultime et forte ondée, le ciel se dégage sur Avenches en fin d’après-midi. La première du spectacle, dont les répétitions ont été largement perturbées par l’exécrable saison que nous avons eu à subir, aura bien lieu ce soir.

Avenches est une petite ville suisse, non loin de Berne, à côté du lac de Morat. Son festival d’opéra est tout jeune, comparé à ses illustres aînés, puisqu’il a été créé en 1995 et en est donc à sa treizième saison. Les arènes romaines sont beaucoup plus petites qu’à Vérone, et contiennent environ 5 000 places. Les spectacles, à raison d’une production par an, concernent bien évidemment des œuvres qui se prêtent à ce type de cadre : Aïda (3e production), Carmen (2 fois), La Traviata, Turandot, Nabucco (2 fois), Rigoletto, Tosca, La Flûte enchantée et Le Trouvère. Le cadre est très sympathique et bon enfant (vous pouvez aussi loger non loin à Morat, adorable petite ville fleurie ceinte de remparts), et sur place, avant le spectacle et pendant l’entracte, tout Avenches se met en quatre pour vous fournir en plein air tout ce que vous souhaitez, des spécialités culinaires (friture du lac, saucisses) au vin local (le vin du Vully), et cela bien sûr tout sourire et sans coup de fusil (contrairement à l’exécrable majoration des prix des restaurants à Orange le soir des Chorégies). Quant au public, il n’est pas composé a priori d’aficionados d’opéra, mais d’amateurs au vrai sens du terme. Bref, vous l’avez compris, c’est la fête, et tout le monde vient là pour passer à tous points de vue une bonne soirée. D’ailleurs merles moqueurs et hirondelles, qui accompagnent tout le début de la représentation, semblent aussi trouver tout cela très amusant.



© Photo Jean-Marcel Humbert

Dès l’entrée dans les arènes, pas de problème, on est bien en Égypte antique. Une porte monumentale en partie peinte occupe le fond, et une tête non moins immense l’avant-scène. Rappelant une célèbre série de figurines pour collectionneurs, il y a partout des échafaudages dorés (accompagnés de brouettes et autres instruments également dorés, clin d’œil à Hollywood ?) montrant « qu’il s’agit d’une Égypte encore en devenir… » D’ailleurs, pendant tout le spectacle, des figurants vont s’activer à faire semblant de graver des hiéroglyphes avec des gestes d’une ampleur disproportionnée. Il faut dire qu’à partir de l’entracte, on a compris, et les malheureux pourraient bien se reposer. La tête elle-même, genre masque d’or de Toutankhamon, est le centre de la scène, comme elle représente le centre du pouvoir. Le visage s’élève dans les airs chaque fois qu’il convient de dégager une entrée centrale, et l’ensemble pivote sur une tournette, servant alors de décor au temple de Vulcain ou aux appartements d’Amnéris.
Tout cela est à la fois très ingénieux, très esthétique, très parlant et très pratique. De plus, c’est très joliment fait. Reste donc la grue qui domine l’ensemble. Aïda serait-elle donc une grue, ont irrespectueusement susurré certains ? Serait-ce un rappel de Vérone où une grue apporte sur scène les éléments de décor, mais disparaît au début du spectacle ? Rien de tout cela ; elle sert bien sûr à lever la tête pharaonique autant que de besoin, mais participe surtout de l’aspect « chantier en devenir » de l’ensemble. Je pense qu’on aurait pu en faire l’économie et trouver un autre système de levage. Mais c’est comme tout, on s’habitue, et très vite on ne la voit plus.
À noter deux grands panneaux très lisibles offrant la traduction simultanée en français et en allemand.


Francesco Ellero D’Artegna, Ramfis et metteur en scène
© Photo Jean-Marcel Humbert


La mise en scène est vive, et les mises en place efficaces, même si on remarque un ou deux « blancs ». Le parti pris du metteur en scène est de construire toute sa conception sur l’esclavage : Aïda en état mental de dépendance et donc de confusion totale, Amnéris esclave de ses sens, Radamès esclave de son sens de l’honneur, Amonasro esclave de son sens de revanche, Ramfis et le Roi esclaves du pouvoir, sur fond d’esclaves bâtisseurs, et devant des spectateurs esclaves du spectacle, bref tout le monde est l’esclave de quelqu’un. Le principe est un peu simpliste, et explique un côté parfois « 1er degré » du jeu des acteurs. Et quand Amnéris triomphante entre en traînant la corde au cou une Aïda dévêtue, genre SM, ça fait quand même beaucoup. Mais, comme dit l’autre, « nous pouvons nous libérer ». Dans cette représentation, on ne voit pourtant aucune porte de sortie pour aucun des protagonistes, si ce n’est la mort finale des deux amants. Encore que leur agonie dans la fosse d’orchestre soit un peu faible…




Amarilli Nizza et Rossana Rinaldi © Photo Jean-Marcel Humbert

Les chanteurs, sans être toujours des vedettes internationales, sont de très haut niveau. Amarilli Nizza est fort crédible en Aïda, bien que curieusement habillée. Il faut dire qu’elle a une plastique parfaite, mais on imagine sans mal le résultat avec une chanteuse plus enrobée ! Elle a souvent chanté le rôle à Vérone, où elle va succéder à Hui He qui viendra la remplacer à Avenches : les chassés croisés des festivals sont toujours amusants à suivre. Elle aussi a beaucoup écouté Maria Chiara, et nous gratifie d’une gestuelle un peu trop accentuée (également héritage de Vérone ?). Mais elle reste très crédible, avec une très belle ligne de chant qui fait qu’on lui pardonne ses roulements (« morrrirrrrrr ») et certains ralentissements excessifs. Amnéris est interprétée par Rossana Rinaldi, jeune cantatrice italienne au tempérament volcanique (on comprend que Radamès lui préfère quelqu’un de plus calme). Là aussi, l’interprétation scénique est parfois excessive, façon bombe sexuelle au premier degré, mais ça marche. La voix est belle sans avoir encore l’ampleur ni les graves de ses grandes rivales, mais de ce fait elle arrive sans peine à alléger quand il faut, elle chante – elle – toutes les notes de la partition, et nous offre au total une belle interprétation vocale d’une grande régularité. Gustavo Porta est un Radamès « qui assure », même quand il a à se battre contre un scarabée avide de goûter à son maquillage juste pendant le Celeste Aïda… Alberto Mastromarino est un bon Amonasro (façon Jean-Marie Proslier), et Francesco Ellero D’Artegna, habitué de Vérone, l’un des excellents Ramfis du moment ; et qui plus est, sa double casquette lui permet de quitter sa toge pendant le salut final pour apparaître en costume de ville ! Point faible du spectacle (comme souvent), les ballets. Le chef, très attentif aux chanteurs, arrive à maintenir une bonne cohérence d’ensemble.

Donc au total un excellent spectacle populaire dans le bon sens du terme, qui termine fort bien notre périple « aïdien » en confirmant les infinies possibilités d’adaptation d’une œuvre trop longtemps cantonnée dans la stricte évocation archéologique.

Jean-Marcel Humbert
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