DEBUTS D'UNE SOPRANO
PHARAONIQUE
Décidemment, le Metropolitan
Opera aime bien les entrées fracassantes. On se souvient du remplacement
impromptu d'un Pavarotti aphone par le jeune Salvatore
Licitra.
Cette fois, c'est une soprano qui fait
sensation avec les débuts inopinés d'Angela M. Brown qui
se substitue au pied levé à Fiorenza Cedolins pour le dernier
acte d'Aida (le 2 novembre), puis pour une représentation
complète (le 6).
Originaire d'Indianapolis et élève
de l'immense Virginia Zeani, Brown fut lauréate en 1997 des prestigieuses
Auditions du Met. Pourtant, malgré des moyens incontestables, la
jeune chanteuse n'était guère à ce jour distribuée
que sur des scènes secondaires et comme doublure au Met (sans doute
à cause d'un physique un brin massif). Sa prestation a rencontré
un réel succès et, s'agissant d'une artiste noire américaine,
la critique a rapidement crié à la nouvelle Leontyne Price.
Ce 8 décembre, Angela M. Brown
remplace cette fois Norma Fantini, entendue récemment à Covent
Garden : décidément, l'hiver américain n'est guère
favorable aux artistes italiennes !
Disons tout de suite que l'artiste
n'est pas vraiment à la hauteur de la flatteuse réputation
qui la précède. Les authentiques sopranos verdiens sont toutefois
trop rares pour faire la fine bouche et Angela en fait authentiquement
partie. La voix est puissante, riche ; les graves sont bien présents
: il y a là du vrai potentiel. Mais des limites techniques apparaissent
trop clairement pour annoncer la révélation du siècle
(en ces mêmes lieux, Aprile Millo fut déclarée un peu
vite "la nouvelle Milanov", ce qui était vrai... pour le jeu de
scène). Les aigus ne sont pas projetés franchement, le haut
medium est un peu timide et l'interprétation très scolaires
: comme si l'artiste passait une audition avec des airs de concert. Une
artiste à suivre donc, mais qui devra faire attention à ne
pas brûler les étapes, au risque de disparaître de manière
tout aussi imprévue.
Son amoureux de guerrier est campé
par un étonnant Franco Farina, un peu court pour "Celeste Aida"
(comme la plupart de ses collègues, il faut dire que Verdi n'a pas
été tendre en positionnant cet air dès l'entrée
du ténor) mais superbe à partir de l'acte II. Le dernier
acte est particulièrement réussi, l'engagement scénique
se couplant à un chant puissant et stylé, sans les problèmes
de justesse qu'on a pu noter en d'autres occasions.
Amneris est incarnée par Irina
Mishura : les moyens vocaux sont impressionnants et la technique impeccable,
qui permet à l'artiste de se jouer des aigus meurtriers de sa grande
scène du dernier acte jouée avec passion tout en évitant
les débordements véristes.
Mark Rucker est un Amonasro plus problématique
: la technique et les moyens sont juste suffisants pour le rôle (du
moins, pour ce qu'on est en droit d'attendre d'une telle scène).
Plus gênant, son timbre étonnamment clair déséquilibre
les ensembles.
Ramfis est chanté par l'excellent
Kwangchul Youn qui a décidemment bien du mal à percer depuis
son exceptionnelle incarnation de Bertram dans Robert le Diable
à Berlin en mars 2000. Moyens, style, il y a pourtant là
tout le potentiel d'une grande carrière.
A noter également, le messager
de Roy Cornelius Smith qui "vole la vedette" lors de sa courte intervention
: là encore un chanteur à suivre.
Gareth Morrell conduit avec métier
l'Orchestre du Metropolitan, réussissant à éviter
ce qui pouvait facilement devenir une soirée de routine. Techniquement,
tout est très en place et l'attention portée aux chanteurs
est extrême ; la direction est élégante (ce n'est pas
une mince affaire pour cette oeuvre), le chef tirant de la fosse de belles
sonorités et mettant en relief de manière originale certains
pupitres ou détails d'orchestration.
Créée en 1988, la très
belle production de Sonja Frisell n'a pas pris une ride. Rien de révolutionnaire
bien entendu dans la mise en scène, mais un parti respectueux et
des décors somptueux signés de Gianni Quaranta, d'un réalisme
qui évite la pacotille. Enfin, soulignons les éclairages
éclatants de Gil Wachsler qui donnent l'impression d'un soleil écrasant.
La chorégraphie, si souvent
sacrifiée, est ici simple et efficace ; le premier ballet est par
ailleurs remplacé par une cérémonie initiatique.
Une production qui ne contribuera pas
à une relecture de l'ouvrage mais qu'on regarde à chaque
fois avec le même plaisir.
Placido Carrerotti