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MONTREAL
20/05/2006
Radamès, Aida, Amonasro, le Roi d'Egypte, Ramfis
© Opéra de Montréal, 2006
Giuseppe VERDI
AIDA
Opéra en quatre actes
Livret d’Antonio Ghislanzoni, d’après Mariette
Mise en scène: Brian Deedrick
Décors : Bernard Uzan et Claude Girard
Costumes : Claude Girard
Chorégraphie : Jean Léger
Éclairages: Matthieu Gourd
Aida : Susan Patterson
Radames : Richard Margison
Amneris : Nancy Maultsby
Amonasro : Grant Youngblood
Le Grand Prêtre Ramfis : Daniel Sumegi
Le Roi d'Égypte : Valerian Ruminski
Le messager : Thomas Macleay
La Grande Prêtresse : Allison Angelo
Choeur de l'Opéra de Montréal
Chef de chœur : Jean-Marie Zeitouni
Orchestre Métropolitain du Grand Montréal
Direction musicale : Richard Buckley
Opéra de Montréal
Montréal, Place des Arts,
Salle Wilfrid Pelletier, 20 mai 2006
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Aussi beau qu'un spectacle des Pink Floyd...
Salle comble de nouveau pour cette Aida
initialement mise en scène en 1994 à l’Opéra
de Montréal et jouée en 2001 avant d’être
reprise cette année. Qu’est-ce qui séduit
encore autant le public dans cette oeuvre ? Tout, excepté les
danses selon l’adolescent de quatorze ans assis à mes
côtés pour qui il s’agit d’une première
à l’opéra. Il a vu au premier acte la danse
sacrée des prêtresses se transformer en une
incompréhensible chorégraphie de curieuses contorsions,
exécutée par des danseurs mâles (dont certains
portaient la barbe) costumés en derviches ; tout comme moi, il
n’en a pas compris le sens en affirmant dans la langue des
enfants du pays que «ça n’a pas rapport».
Selon lui, ces danses retardent indûment une action si
magnifiquement engagée. Curieusement, ce n’est pas
l’apothéose de Radamès au deuxième acte
qu’il a le plus appréciée, mais le duo final
«de l’amour et de la mort», selon ses termes. Quoi
qu’il en pense, quand on perçoit l’œuvre dans
sa totalité, il me semble que rien ne peut être
retranché, sous peine de la dénaturer : tous les
éléments de cette partition lumineuse, même ceux
qui paraissent un peu kitsch, contribuent à éclairer son
développement dramatique. Cette scène triomphale
n’en constitue pas l’essentiel, mais il est heureux
qu’elle soit là de même que son ballet auquel Brian
Deedrick attribue une fonction narrative ; ici, il n’est pas
qu’un simple divertissement, mais, en guise de flash back, une
pantomime des opérations militaires qui ont conduit
Radamès à la gloire.
C’est une mise en scène traditionnelle et sans grande
pompe qui nous est proposée. De hautes colonnes, des escaliers
amovibles selon l’action, le grand mur du tombeau souterrain de
l’acte final dans lequel on ne voit pas ce double étage
que réclame la didascalie. Tout l’espace en
représente l’intérieur et si l’interrogation
et la condamnation de Radamès se passent derrière le
décor, c’est ici qu’Amneris livre ses
imprécations. À la toute fin, l’image bouleversante
de la princesse égyptienne s’avançant au-essus de
ce mur pour y chanter les derniers pace
constitue le moment fort de la soirée. Se souvenant de
l’opinion de Verdi pour qui Amneris est le personnage le plus
important de l’œuvre, c’est sur elle que Brian
Deedrick braque notre attention. À part ce moment de
grâce, sa direction d’acteurs reste sans grand relief
malgré une gestion efficace des mouvements d’ensemble.
Elle gagnerait à être plus attentive aux
possibilités des chanteurs. À titre d’exemple, il
n’est pas souhaitable, compte tenu de sa taille, que Richard
Margison chante assis, particulièrement lors de sa rencontre
avec Aida au troisième acte. Sa proéminence physique
devient encore plus évidente.
Le spectacle est visuellement de belle tenue. En plus des
éléments de décor déjà
mentionnés, soulignons le panorama du troisième acte qui
dégage un charme poétique saisissant, en parfaite
harmonie avec l’intimisme de la musique. Cette place sur
fond azuré en bordure du Nil, la beauté sonore du
clair-obscur et les harmonies de la brise sur l’eau ne cessent
d’impressionner. Tout au long de la soirée, mais davantage
dans cet acte, les éclairages accentuent les aspects
évocateurs des différentes situations. À cette
scénographie ajoutons l’adéquation des costumes au
drame : par leur allure, ils différencient nettement
vainqueurs et vaincus.
Susan Patterson
© Opéra de Montréal 2006
Sur
le plan musical, la soirée ne manque pas
d’intérêt. Malgré un timbre peu attrayant,
mais expressif, Suzan Patterson livre une caractérisation
crédible du rôle éponyme. On peut lui reprocher de
ne pas soutenir certaines nuances surtout, au duo final, dans Vedi?… di morte l’angelo, radiante a noi s’appressa
qui appelle plus de douceur et de subtilité. Il lui manque ce
sourire si souvent « entendu » lorsque, dans ses
bonnes années, Zinka Milanov incarnait le rôle. Toutefois
elle chante dignement le Ritorna vincitor et l’air du Nil avec
parfois des aigus un peu poussés, entre autres ce contre-ut que
Verdi souhaitait dolce. Il est vrai que le compositeur se montrait souvent exigeant envers ses chanteuses.
En mars 2004, Nancy Maultsby nous avait gratifié d’une superbe Judith dans Le Château de Barbe-Bleue
de Béla Bartok. Son mezzo-soprano bien timbré
alliait force et souplesse dans un rôle qui lui convenait
parfaitement. Aujourd’hui, la voix a perdu de son lustre, mais
conserve néanmoins assez de ressources pour rendre justice
à ce personnage aussi difficile à incarner vocalement que
scéniquement.
En Radamès, Richard Margison est dans une forme vocale
splendide. Son timbre manque peut-être lui aussi de
séduction, mais le ténor projette les aigus percutants et
sûrs indispensables au succès de Celeste Aida. En outre, dans l’expression de la tendresse, la voix se pare de teintes chatoyantes. Ainsi son extatique Morir ! si pura e bella du quatrième acte est d’une admirable justesse expressive.
Grant Youngblood, un Amonasro au baryton ample et
généreux, livre au troisième acte une
caractérisation poignante dans sa confrontation avec Aida, en
particulier au rappel du sort de son peuple : Pensa che un popolo vinto, straziato.
L’émotion culmine et, au rideau final, le public se
souviendra de ce moment en lui réservant sa meilleure ovation.
Le Ramfis de Daniel Sumegi déçoit quelque peu;
l’autorité est présente, mais la voix
éraillée ne suit pas. Valerian Ruminski, à la
basse timbrée, Thomas Macleay et Allison Angel
s’acquittent bien de leur partie.
Le Chœur de l’Opéra de Montréal, attentif
à toutes les nuances, donne encore une prestation à la
hauteur de sa réputation. En dépit d’une battue qui
bouscule un peu, notamment dans l’accompagnement des trois grands
airs, Richard Buckley offre aux chanteurs un soutien appliqué,
sans jamais couvrir les voix. Mais l’intérêt
principal de sa direction réside dans sa capacité
à faire ressortir la clarté des contrepoints dont
l’œuvre fourmille. Un grand souci du détail qui
confère une grande expressivité à
l’orchestre. Quelques fausses notes chez les trompettes en
si dans la célèbre marche du deuxième acte
n’ont certes pas entaché son admirable prestation.
En conclusion, laissons notre adolescent dire ce qu’il a
pensé de tout ça. «Tout le monde peut aller voir Aida,
c’est aussi beau que les spectacles de Pink Floyd, de Guns
N’Roses qui se donnent parfois au Centre Bell de
Montréal». Pourquoi pas après tout ! Il y a
peut-être là une porte d’entrée pour un genre
qu’il n’a sans doute pas été en mesure
d’apprécier jusqu’à maintenant.
«Vivement Rigoletto, ajoute-t-il, parce que j’ai pu entendre un air qui fait danser les patineurs». Référence à La donna è mobile
qui accompagnait le numéro d’un patineur vu à la
télévision. Comme quoi, il ne faut pas
désespérer !
Réal BOUCHER
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