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TOULON
26/02/2006
© DR
Giuseppe VERDI
AÏDA
Direction Giuliano Carella
Mise en scène Paul-Émile Fourny
Décors et costumes Jean-Pierre Capeyron
Chorégraphie Marc Ribaud
Lumières Jacques Chatelet
Aïda : Michele Capalbo
Aménris : Elisabetta Fiorillo
Une prêtresse : Sonia Morgavi
Radamès : Piero Giuliacci
Amonasro : Carlos Almaguer
Ramfis : Wojek Smilek
Pharaon : Stefano Rinaldi-Miliani
Un messager : Dominique Rossignol
Orchestre, chœur et ballet
de l’opéra de Toulon Provence Méditerranée
Production Opéra de Nice
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"Ritorna Vincitor, qu'ils disaient ! "
Entre la transposition dans les années 30 (Erfurt) ou futuriste
(Cologne), et la reconstitution historique (La Scala ou Barcelone), y
a-t-il encore place pour une imagerie populaire – dans le bon
sens du terme ? Dans la présente production,
créée à Nice début 2005, les décors
illustrent une Égypte de fantaisie, sans que l’on
comprenne toujours le but recherché.
Deux colonnes à chapiteaux papyriformes déplacées
au fil des actes servent de lien à des scènes
variées, non sans imposer entre chaque tableau une pause
technique un peu lassante. Ce dispositif scénique, malgré
ses incessantes modifications, ne dégage guère
d’espace libre, et les masses chorales se trouvent presque
uniformément disposées. La scène du triomphe de
Radamès est ainsi réduite à sa plus simple
expression, malgré les dimensions fort honorables du plateau
toulonnais. Tout cela baigne dans une blancheur laiteuse qui n’a
rien d’égyptien, mais participe de la mise en valeur des
costumes. Encore que l’abus de fumées en tous genres et de
voiles (de coton égyptien ?) finisse pas lasser. Pour faire
encore plus égyptien, le décorateur ajoute une dose
supplémentaire de piment mêlant
l’ésotérisme à la religion : masques de
crocodile (Sobek) et de chien du désert (Anubis) pour les
serviteurs d’Amnéris, curieuse projection de type
« Spot Image », et bien sûr sarcophage et
momie dans le temple du 4e acte, sans que jamais on n’en voit la
nécessité ni le sens. L’immense grille finale
ajoute un élément déstabilisant
supplémentaire : semblant plutôt appartenir au cachot
de Don Carlos, elle se soulève pour laisser passer Aïda, ce
qui constitue un total contresens, tant en ce qui concerne
l’archéologie égyptienne que le scénario de
l’œuvre.
© DR
La mise en scène s’adapte plutôt bien à ce
décor, mais rapidement la confusion s’installe, et ce
dès le début où des figurants miment la
construction d’un temple devant une toile de fond
représentant un autre temple, mais en ruines celui-là.
Sont-ce donc des archéologue en train de le restaurer ?
Mais alors, pourquoi sont-ils habillés en Égyptiens de
l’Antiquité ? La même interrogation poindra
devant les colosses de Memnon : où sommes-nous donc ?
À quelle époque ? Qu’est-ce que le metteur en
scène et le décorateur veulent expliquer, voire
prouver ? À d’autres moments, comme dans la
scène de l’appartement d’Amnéris, la
reconstitution type « peinture de genre » de la
fin du XIXe siècle est fort réussie : rien n’y
manque, même pas les cônes de parfum sur la perruque des
choristes. Mais alors, que vient y faire la pseudo danse du ventre
médiocrement exécutée dans un costume
arabisant ? La mise en scène reste de fait, dans
l’ensemble, résolument classique, avec les faiblesses
courantes pour ne pas dire traditionnelles : le messager qui
arrive tout pimpant après une course harassante, Amonasro qui
entre en scène « en invité » bien
après les prisonniers éthiopiens dont il fait pourtant
partie, et autres broutilles. Mais dans l’ensemble, les
personnages sont bien caractérisés et les scènes
bien pensées, encore qu’on se demande pourquoi Aïda,
Amonasro et Radamès passent l’essentiel du IIIe acte
à patauger dans le Nil ? Malgré tout, les excellents
éclairages (pour une fois, on n’est pas plongés
dans les ténèbres) soulignent harmonieusement les partis
pris esthétiques, et l’ensemble crée une
évocation de l’Égypte ancienne qui se laisse
regarder sans déplaisir.
Sous la baguette un peu lourde de Giuliano Carella qui, il faut le
dire, a fort à faire à entraîner tout son monde et
n’y réussit pas trop mal, les chanteurs se sentent en
sécurité : pour une fois, ils ont l’appui
d’un chef attentif à ce qui se passe sur le plateau, et
qui n’impose pas d’accelerando quand il leur faut respirer.
Ils se trouvent donc dans des conditions de travail qui doit leur
permettre de donner le meilleur d’eux-mêmes.
Malheureusement, ils sont confrontés à une conduite
d’acteurs qui donne à l’ensemble une regrettable
uniformité : tout est sur le même plan, scènes
intimistes et scènes de foules, de même que pouvoir
temporel et spirituel : le grand prêtre, dont le rôle
est fondamental, ne se dégage pas, et le pharaon est plus que
fallot, à la limite du figurant.
Cela permet à Elisabetta Fiorillo (habituée du rôle
d’Amnéris à Vérone et autres grands espaces)
de tirer la couverture à elle, comme c’est souvent le cas.
Cela peut s’admettre, mais tout est dans la manière :
à mi-chemin entre la fille Angot et la fille du Régiment,
assaisonné d’un zest de Preziosilla et d’un
soupçon d’Azucena, son personnage est le moins
crédible de tout l’ensemble. Vulgaire et forte en gueule,
juchée sur d’improbables chaussures, elle
déséquilibre à elle seule une part importante de
la représentation. Surtout, en dehors de la qualité
vocale de sa prestation qui se mesure essentiellement en termes de
décibels, on lui pardonnerait beaucoup si elle chantait toutes
les notes, et de temps en temps un peu plus justes…
Les trois autres interprètes des rôles principaux sont,
eux, quasi irréprochables. Michele Capalbo progresse
régulièrement dans le rôle d’Aïda
(qu’elle chante souvent y compris récemment à
Limoges). La voix est ample et sonore, les nuances sont très
étudiées, sa caractérisation du personnage est
sensible et juste, et elle arrive à contrôler de mieux en
mieux la progression ce rôle fort lourd jusqu’à la
périlleuse scène finale. Piero Giuliacci est
également un habitué des grands espaces de plein air. La
voix est sûre et bien menée, malgré quelques rares
accrocs à la justesse dans le Céleste Aïda.
C’est un chanteur qui donne l’impression de comprendre ce
qu’il interprète – ce qui n’est pas si
fréquent – même s’il en rajoute parfois un peu
trop pour faire passer le message. Enfin, Carlos Almaguer, que
l’on a pu voir notamment à Avenches
l’été dernier dans le rôle titre de Nabucco,
est un des remarquables Amonasro de sa génération. Voix
généreuse, attaques franches, jeu intelligent,
c’est le grand triomphateur d’une soirée dont la
qualité vocale était, globalement, de très haut
niveau.
Bref, au total, un fort beau spectacle pour tous ceux – et ils
sont nombreux – qui le vivent au premier degré en
goûtant l’aspect visuel des choses. Pour les autres,
l’ensemble, qui se positionne sur plusieurs des voies possibles
sans jamais en adopter véritablement une, laisse une impression
de grande indécision.
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