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MONACO
08/02/2006
© Opéra de Monte-Carlo
Richard STRAUSS (1864-1949)
ARIANE A NAXOS
Opéra en un prologue et un acte
Livret de Hugo von Hofmannsthal.
Metteur en scène : Laurence Dale
Décors, Costumes : Bruno Schwengl
Lumières : Dominique Borrini
Chorégraphie : Daniel Esteve
La Prima Donna/Ariane : Soile Isokoski
Zerbinette : Marlis Petersen
Le Compositeur : Carmen Oprisanu
Le Ténor/Bacchus : Thomas Rolf Truhitte
Le Maître de Ballet : Andreas Winkler
Scaramuche : Christian Baumgärtel
Brighella : Oliver Ringelhahn
Le Maître de Musique : Robert Bork
Arlequin : Stephan Genz
Truffaldino : Martin Snell
Naïade : Henrike Jacob
Dryade : Maria Soulis
Écho : Diana Schydlowsky
Le Perruquier/un laquais : Mattijs van de Woerd
Le Majordome : Waldemar Kmentt
Orchestre Philharmonique de Monte Carlo
Direction musicale : Lawrence Foster
Monte Carlo, Opéra Garnier
8 Février 2006
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Une Grèce pleine de grâce
Des Arlequins et des clowns, de grandes extases, de la pyrotechnie
– Ariane, c’est la fête ; d’où son
succès, sans doute. Mais la mise en scène de Laurence
Dale met au jour bien autre chose. Des failles, des tiraillements, des
dédoublements et une certaine mélancolie. Quelques images
centrales : entrée de Bacchus, sorti de nulle part avec des
éclairs qui déchire la nuit solitaire
d’Ariane ; nymphes opposant aux gesticulations des clowns la
posture hiératique des processions grecques ;
détachement, au milieu du tohu-bohu, de ceux qui seront Ariane
et Bacchus, étrangement indifférents ; le visage
sculpté de pénombre pendant Es gibt ein Reich…
Dans le geste, la façon de marcher, dans un regard, un hochement
de tête, les chanteurs font passer le sens même de cette
pièce plurielle, détraquée et pourtant
huilée comme une horloge. C’est cela, la direction
d’acteurs. C’est ce théâtre à fleur de
chair que Laurence Dale nous offre. Les personnages sont
individualisés à l’extrême, et c’est
pour cela que les relations qu’ils établissent font sens.
Au rebours de metteurs en scène qui gèrent plus ou moins
une mise en espace au sein de décors qui font l’essentiel,
Dale concentre le théâtre dans les corps – faisant
même de la lumière un usage très particulier.
C’est l’école de Brooks et de Chéreau. Et
cela convient particulièrement à Ariane à Naxos :
la dentelle si délicate qu’ont tissée Strauss et
Hofmannsthal échappe aux effets grossissants ; tout
ce qu’il y a, dans cet opéra, de subtilement
réversible, est rendu palpable, sans jamais solliciter un effort
d’interprétation : tout est là, sous nos yeux,
il suffit de regarder.
D’écouter aussi. Lawrence Foster se révèle
un partenaire parfait. De son orchestre il tire des reflets magiques,
des moirures, des astringences aussi.
Il faut saluer des chanteurs qui, dans des rôles dont ils sont
familiers, se sont pliés à la discipline exigeante de
l’acteur. Marlis Petersen n’est pas de ces Zerbinette
miniature qu’on a trop vues dansoter en se
déhanchant : c’est une girl de Broadway, avec le
pétillement et la mélancolie d’une Louise Brooks
qui aurait des contre-notes, et potentiellement une vraie vamp avec des
jambes de pin-up. Elle chante aussi très bien ! Thomas Rolf
Truhitte montre qu’on peut être un fort ténor et un
acteur distancié. Dans le prologue, il porte à merveille
les chaussettes, les pantoufles, le peignoir et le filet à
cheveux. Il porte avec philosophie son rouleau de papier
hygiénique dans la poche. En Bacchus, il a laissé tomber
sur ses épaules sa chevelure blonde et enveloppé
d’une toge rouge sa musculature californienne authentique qui
fait fondre la vieille dame du rang de devant et se pâmer le
garçon en débardeur marin à deux places de moi. Il
chante un peu trop en force, hélas, et la justesse parfois
s’en ressent, mais le charisme scénique est là.
Face à lui, une Soile Isokoski dont le physique courtaud
n’altère en rien la parfaite crédibilité en
Ariane, tant les ressources d’émotion musicale et vocale
sont enveloppantes. La ligne straussienne est servie avec une
générosité dont même le disque n’a pas
laissé beaucoup de traces (Cebotari ? Norman ?).
Théâtralement investi, le maître de musique de
Robert Bork est parfait ; le Compositeur de Carmen Oprisanu
n’est pas sans tensions vocales, mais le personnage vibre. Les
seconds rôles imposent leur fantaisie, les trois nymphes sont
ensorcelantes. Déception en revanche que l’Arlequin
théâtralement minimaliste et vocalement bien grisonnant de
Stephan Genz. Le majordome de Waldemar Kmentt nous transporte à
lui seul à Vienne – mais après le spectacle, nous
n’irons pas manger une saucisse au Prater ; nous irons bien
plutôt boire un coca-champagne à l’Hôtel de
Paris et nous regarderons palpiter les vagues de cette
Méditerranée où Ariane jadis disparut.
C’est chose bien éphémère qu’une
représentation d’opéra. Mais certaines
représentations laissent en nous le souvenir durable de vrais
moments de grâce. Celle-ci en fait partie.
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