RECALÉ
À L'EXAMEN DE PASSAGE
La production de Laurent Pelly, créée
avec grand succès au Palais Garnier en novembre
2003, nous revient cette fois à Bastille.
Une idée qui pouvait surprendre
tant elle fait fi du caractère intimiste de l'ouvrage (rappelons
que la précédente production de l'Opéra de Paris avait
été donnée Salle Favart). D'un autre côté,
l'acoustique de Garnier est plutôt adaptée aux grandes voix
(et aux ouvrages qui vont avec) ; à l'inverse, les Nozze ou le Barbiere
passent bien la rampe à Bastille (mais les chanteurs y sont-ils
"aidés" ?) : le pari d'une Ariadne dans ces lieux pouvait donc être
légitimement tenté.
Le résultat, du moins au parterre,
est hélas décevant : les ensembles sont confus, les timbres
des voix insuffisamment dissociés ; la fosse étant toujours
surélevée, l'orchestre s'avère omniprésent
; toutefois, compte tenu de l'orchestration, les chanteurs ne sont pas
couverts au prologue (sauf dans les dix dernières minutes) ; avec
leurs réserves de puissance, Solveig Kringelborn et Janez Lotric
triomphent de l'instrumentation plus touffues de l'opéra, mais leurs
partenaires ont du mal à faire aussi bonne mesure.
Si la balance voix/orchestre ne pose
donc pas trop de problèmes pour ce spectacle, la surélévation
de la fosse a une autre conséquence, à savoir la modification
de la balance des instruments entre eux : les cuivres sonnent trop fort,
l'orgue résonne comme une sonnerie de téléphone portable
et la couleur d'ensemble est excessivement sèche.
Les directions précédentes
avaient mis près de dix ans à caler correctement la hauteur
de la fosse : il serait sage de revenir rapidement à sa position
antérieure.
La production de Garnier est reprise
avec quelques modifications, la scène de Bastille n'étant
pas utilisée dans toute sa profondeur. La raison en est sans doute
l'alternance des spectacles, mais il est amusant de constater que Bastille
dispose de ressources moindres que Garnier !
A première vue, la mise en scène
de Pelly fonctionne bien : les chanteurs sont dirigés au millimètre,
le décor est fonctionnel, les costumes sympathiques...
A y regarder de plus près, elle
n'évite pas un certain nombre de contresens dont on éprouve
du mal à saisir la légitimité : l'arrivée sur
le devant de la scène d'un Bacchus mal fagoté et au bord
de l'épuisement (confusion avec l'entrée de Siegmund à
l'acte I de Walkyrie), l'abandon final d'Ariane par Bacchus (écho
de la scène finale des Troyens ?), la clochardisation d'Ariane (réminiscence
de Sur le banc avec Raymond Souplex et Jeanne Sourza ?), la transformation
des personnages de la commedia dell'arte en touristes italiens franchouillards
(hommage aux Bronzés ? Non ! A La Belle Hélène
du même Pelly ...)
Beaucoup plus que de simples détails,
on le voit : ainsi, l'opposition entre le théâtre populaire
italien et la musique "sérieuse", germanique, à la manière
de la Querelle des Bouffons, est l'un des thèmes de l'oeuvre qui
se voit escamoter.
Sophie Koch renouvelle son incarnation
du Compositeur, sans doute plus à l'aise et plus libérée
que lors de la précédente édition au Palais Garnier.
Personnage d'autant plus convaincant que le costume masculin lui sied à
ravir.
Succédant à Waldemar
Kmentt, Graham F. Valentine impose le respect : il ne faut pas manquer
de courage pour oser une lecture du rôle aussi grotesque ; sosie
de Django Edwards, l'artiste campe en effet un majordome tout droit sorti
d'une parodie de film d'horreur ! Il ne manque plus qu'Abott et Castello
; voix grasse, yeux en boules de loto, cette vision ultra parodique (qui
d'ailleurs pourrait se justifier dans une production expérimentale
de l'ouvrage) ne cadre en rien avec le jeu malgré tout assez traditionnel
imposé par Pelly aux autres interprètes.
Si Olaf Bär est un maître
de musique de qualité, Xavier Mas est largement dépassé
par la tessiture du maître de ballet, sollicitant systématiquement
la voix de tête dans l'aigu mais incapable d'homogénéiser
les registres.
Autre rescapé de la création,
Stéphane Degout est toujours aussi remarquable en Arlequin.
Il revenait à Lubov Petrova
la lourde tâche de palier le désistement de Natalie Dessay
: c'est raté ; rétrospectivement, les réserves (légitimes)
qui ont pu être exprimées à l'encontre de la chanteuse
française, semblent dérisoires en regard de la prestation
de sa doublure. Voix ténue, aigus "à l'arraché", jeu
qui relève plus de la copie du modèle que d'un véritable
investissement personnel, Petrova est une Zerbinette honnête mais
sans grand intérêt.
Solveig Kringelborn dispose de moyens
assez impressionnants mais pas toujours bien contrôlés : les
grandes phrases lyriques conviennent bien à son timbre chaleureux
; en revanche, les changements de registres sont fort mal maîtrisés
et la chanteuse a parfois du mal à s'en sortir avec ses trois voix.
Janez Lotric n'est pas le plus séduisant
des Bacchus (il cadre plutôt avec les représentations classiques
du demi-dieu dans son âge mûr...). En revanche, vocalement,
sa performance est impeccable : il surmonte avec succès une tessiture
meurtrière sur laquelle de plus grandes vedettes se sont cassé
les dents. Le timbre, un peu nasillard, est moins insolent que celui de
Villars, mais la gamme d'expression est nettement plus riche, l'interprétation
moins monolithique.
Pinchas Steinberg n'avait pas laissé
un souvenir impérissable à la tête de l'orchestre de
l'Opéra de Paris et on pouvait se réjouir de son remplacement
par le jeune Philippe Jordan.
Il faut vite déchanter : abstraction
faite des problèmes acoustiques, la direction est empesée,
sans humour, traînant l'ouvrage cinq à dix minutes plus loin
que son prédécesseur, ce qui est énorme compte tenu
de sa brièveté (autour des deux heures).
Une soirée d'autant plus morne
que de nombreuses rangées sont vides, malgré des "soldes"
de dernières minutes ; soirée plus morne encore après
le prologue, de nombreux spectateurs quittant la salle.
Placido CARREROTTI