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GENEVE
21/11/2007
Patricia Petibon (Ginevra)
© GTG/Pierre Antoine Grisoni
Georg Friedrich HAENDEL (1685 -1759)
ARIODANTE
Dramma per musica en trois actes
Livret d’Antonio Salvi d’après l’Orlando furioso de Ludivico Ariosto
Création à Londres, Covent Garden, 8 janvier 1735
Mise en scène et décors, Pierre Strosser
Costumes, Patrice Cauchetier
Images vidéo, Benoît Delaunay
Lumières, Joël Hourbeigt
Le Roi d’Écosse, Antonio Abete
Ginevra, Patricia Petibon
Ariodante, Joyce DiDonato
Lurcanio, Charles Workman
Dalinda, Amanda Forsythe
Polinesso, Varduhi Abrahamyan
Odoardo, Norman Shankle
Orchestre de Chambre de Genève
Kenneth Montgomery
Grand Théâtre de Genève Opéra, le 21 novembre 2007
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Et, la lumière fusa !
On a abondamment glosé sur cet Ariodante doublement attendu pour son plateau vocal et la lecture de Pierre Strosser.
Beaucoup d’amoureux du grand chef d’œuvre
Haendélien ont écouté la retransmission
radiodiffusée en direct. Les plus motivés ont fait le
voyage à Genève quitte, comme ce fut notre cas, à
braver l’incertitude des grèves de transport afin
d’assister à la dernière.
Si la plupart des commentateurs ont accordé un satisfecit aux
musiciens et tissé aux trois principales interprètes
féminines des couronnes de lauriers, la mise en scène qui
prétendait vouloir se faire oublier pour laisser toute sa place
à la musique, a été diversement ressentie. Certes
l’intention était louable, mais sa réalisation a
déconcerté et même fâché nombre de
spectateurs toutes catégories confondues, des plus avertis aux
plus novices.
Pourtant, à condition de passer outre quelques comportements
inopportuns comme la dégustation immodérée de
champagne ou le lancer de baskets, de tolérer les accessoires
déconnectés du sujet et de fermer les yeux sur les
costumes décalés comme la robe de chambre à
rayures du roi, disgracieux comme le pantalon d’explorateur
d’Ariodante, tristounets comme la robe de pensionnaire de
Dalinda, on se laissait facilement prendre au jeu.
Il est vrai qu’il fallait s’acclimater à cette
atmosphère de répétitions plus en
adéquation avec le théâtre de Pirandello ou le
livret de Capriccio qu’avec un opera seria
du XVIIIe siècle. Mais, une fois accoutumé à ce
clair obscur se perdant dans les profondeurs d’un plateau dont on
ne percevait point les limites, on appréciait la fluidité
des apparitions et disparitions des personnages, la présence sur
scène des instruments du continuo, l’utilisation bien
dosée de graphies lumineuses stylisées sur la grande
toile de fond noire ou encore l’apparition ludique de nos
planètes familières et de chevaliers de livres
d’images. Et, l’on pouvait aisément se concentrer
sur l’essentiel : le chant.
La relation de proximité complice qui s’établissait
entre la fosse surélevée et la scène était
particulièrement sensible. Détendue mais non sans
rigueur, la direction de Kenneth Montgomery se montrait attentive aux
chanteurs. Les musiciens placés de profil entouraient le chef
irlandais comme s’il était l’un des leurs. Sous son
impulsion, l’orchestre de Chambre de Genève
se faisait artiste peintre. Il exprimait la passion amoureuse,
pleurait, se réjouissait, colorait les songes. Avec un plateau
de chanteurs de qualité, les conditions étaient
réunies pour goûter l’un des opéras baroques
les plus achevés par la beauté de sa musique et la
clarté de son livret.
Lurcanio aime Dalinda qui aime Polinesso qui aime Ginevra qui aime
Ariodante. Mais, deux et deux ne font pas cinq. Il y a un homme de
trop. C’est bien sûr le fourbe qui ne mérite pas
d’être aimé. Ses noirs desseins et ses machinations
répandent la douleur parmi les autres. Heureusement, la
lumière se fait. L’ordre est rétabli. L’amour
vrai triomphe. Passant avec toute sa science du mode majeur au mode
mineur, Haendel n’a guère besoin de beaucoup
récitatifs pour nous conter en musique cette histoire bien
ficelée qui finit dans la joie. Non seulement les magnifiques
arias et les duos nous décrivent l’évolution des
sentiments, mais elles font de chaque personnage un portrait
psychologique magistral.
Joyce DiDonato (Ariodante)
© GTG/Pierre Antoine Grisoni
Joyce DiDonato est
un Ariodante lumineux. Le timbre est fort plaisant et
l’engagement dramatique continuel. Roulades et vocalises se
succèdent avec un naturel surprenant. Même si le lamento
« Scherza infida in grembo al drudo » de la mezzo
américaine est moins poignant que celui d’Anne Sofie Von
Otter dans la version Minkowski, la beauté de la ligne de chant
ne laisse rien à désirer. Patricia Petibon
a rencontré en Ginevra un rôle tendre et fragile
qu’elle épouse parfaitement. Elle est émouvante de
bout en bout ; son aria « il mio crudele
martoro » est peut-être le plus beau moment de la
soirée. La jeune soprano américaine Amanda Forsythe que nous avions remarquée à Pesaro dans Le voyage à Reims
tient ses promesses en Dalinda. Le timbre est agréable, la voix
légère mais bien projetée et la technique vocale
déjà très assurée. Sans vraiment
démériter, car elle ne manque pas de qualités la
mezzo Varduhi Abrahamyan
remplaçant Marie-Nicole Lemieux (qui pouponne son
nouveau-né) a bien du mal à assumer le rôle pivot
de Polinesso, trop lourd pour elle. Si bien que ses quatre arias ne
font pas vraiment mouche. Peu de choses à dire sur les deux
principaux rôles d’hommes, le Roi, Antonio Abete parle plus qu’il ne chante et Lurcanio, Charles Workman,
peut-être fatigué, déçoit un peu
après ses bonnes performances parisiennes dans L’Amour des
trois oranges et Capriccio.
Tous comptes faits, cet Ariodante lumineux valait le voyage !
Brigitte CORMIER
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