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PARIS
22/03/2007
Angelika Kirschschlager (Ariodante) & Danielle De Niese (Ginevra)
© Y. Alvarez
Georg Friedrich Haendel (1685 -1759)
ARIODANTE
Dramma per musica en trois actes
Livret anonyme d’après Ginevra, principessa di Scozia
d’Antonio Salvi, inspiré d'Orlando furioso de l’Arioste
Création à Londres, Covent Garden en janvier 1735
Mise en scène et décors : Lukas Hemleb
Costumes : Marc Audibet
Lumières : Dominique Bruguière
Chorégraphie : Andrew George
Ariodante : Angelika Kirchschlager
Ginevra : Danielle de Niese
Polinesso : Vivica Genaux
Dalinda : Jaël Azzaretti
Lurcanio : Topi Lehtipuu
Il Re : Olivier Lallouette
Odoardo : Nicolas Maire
Direction musicale : Christophe Rousset
Les Talens Lyriques
Chœur du Théâtre des Champs-Élysées
Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 22 mars 2007
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Pâle mais non sans grâce
Une jolie princesse et son preux chevalier, un roi sans reine, un
fourbe abusant de la naïveté d’une jeune fille pour
servir son ambition, un valeureux jeune homme qui viendra tout arranger
au risque de sa vie… Tels sont les acteurs d’un livret
limpide et convaincant.
L’esthétique de conte de fée adoptée par Lukas Hemleb confère à cet Ariodante
une élégance sophistiquée et même un certain
charme. Minimaliste et alambiqué, le dispositif scénique
se veut plus qu’un décor ; le jeu des hautes parois
mobiles, blanches et nues, percées d’ouvertures
étroites ou inaccessibles, est censé accompagner les
mouvements des cœurs enfermés dans leur souffrance ou
tentant d’y échapper.
La lumière favorise le contre - jour et le clair obscur.
Réduit au format maquette, le château royal, principal
élément visuel du premier acte situe
d’emblée l’action dans un univers onirique.
Composés d’étoffes brodées et
matelassées, couleur argent, nimbées de voilages blancs
vaporeux, les costumes peu différenciés sont assez
seyants pour les femmes, mais frisent le ridicule pour les hommes !
Afin de pimenter cette relative sobriété d’une
touche de modernisme décalé, dès que
l’action s’y prête et que la partition le permet, des
danseurs - acrobates, pieds nus, fesses moulées dans des
combinaisons de plongée, visages masqués de loups
ornés de végétaux, se trémoussent ou bien
exécutent diverses reptations autour des malheureux chanteurs.
Si cet opéra ne contient pas d’airs aussi brillants que ceux de Rinaldo, Orlando ou Giulio Cesare,
l’œuvre est très attachante musicalement. Une
émotion profondément humaine dans la joie comme dans la
souffrance habite constamment des personnages liés les uns aux
autres par une chaîne affective qui actionne les ressorts du
drame.
Sous la conduite dansante, déhanchée, assez
mécanique mais néanmoins raffinée de leur
fondateur, les Talens lyriques sonnent la plupart du temps avec la
grâce qui sied à cette musique. On oubliera les cors
approximatifs pour ne pas dire cafouilleux et l’on retiendra la
dextérité des cordes et la délicatesse du continuo.
Mais si Christophe Rousset a l’amour du détail et se
montre attentif à procurer aux chanteurs le confort et le
soutien dont ils ont besoin, les nombreux points de suspension
qu’il insère dans le tissu orchestral pour suivre la mise
en scène génèrent une regrettable absence de
tonus. Certes, cette direction retenue permet de goûter
d’exquises nuances souvent escamotées. En contrepartie, la
monotonie a tendance à s’installer.
Ceci d’autant plus que la distribution n’est pas
idéale. À commencer par Angelika Kirchschlager dans le
rôle-titre. La chanteuse s’applique à masquer ses
difficultés, sans forcer une voix qui n’a pas la souplesse
nécessaire pour vocaliser et surtout manque de couleurs pour ce
répertoire. Même quand l’orchestre lui fournit un
matelas sonore très doux pour le magnifique « Scherza
infida in grembo al drudo » du deuxième acte, elle peine
à arriver au bout de cet air de plus de dix minutes,
malgré la sincérité de son interprétation.
La jolie Danielle De Niese incarne avec beaucoup de finesse la
princesse Ginevra. La voix est un peu instable et les suraigus sont
assez tendus. Mais, elle sait trouver des accents déchirants de
douleur, en particulier au troisième acte, dans la brève
aria « Si, morro, ma l’onor mio… »
Vivaca Genaux (Polinesso) & Olivier Lallouette (Il Re)
© Y. Alvarez
Avec
son étrange timbre nasal ténorisant, antipathique
à beaucoup, son regard sombre et son élégante
silhouette de garçon, Vivica Genaux campe un Polinesso
crédible. Si la variété des colorations et la
puissance qu’une voix de contralto peut apporter lui font
défaut, la mezzo américaine compense par sa diction et le
contrôle de ses vocalises précises,
légèrement vibrées.
Affublé d’une traîne terminée par un
nœud grotesque, le baryton basse, Olivier Lallouette assume avec
conscience le rôle du Roi — la noblesse et
l’émotion en moins.
Deux voix jeunes et fraîches dominent incontestablement.
D’abord, surtout — et de loin — celle de la soprano
Jaël Azzaretti qui maîtrise bien l’art du chant
baroque. Sa Dalinda est charmante ; le niveau de plaisir
d’écoute s’élève dès
qu’elle paraît. Et l’on se réjouit
d’avance de l’entendre la saison prochaine à
l’Opéra de Paris dans Ariane et Barbe Bleu de Dukas et au Théâtre des Champs-Elysées dans Thésée de Lully.
Topi Lehtipuu (très remarqué en 2003 dans le petit rôle d’Hylas des Troyens
au Châtelet) interprète Lurcanio, le valeureux
frère d’Ariodante. Le ténor finlandais excelle dans
l’air du soupirant malheureux de Dalinda « Del moi sol
vezzosi rai » ; ce mozartien est moins à
l’aise par la suite dans la partie plus héroïque du
rôle.
La scène entre Dalinda et Lurcanio, à la fin du premier
acte, est une réussite tant sur le plan vocal que dramatique
— Sans doute le plus joli moment de la soirée !
Conclusion, tout en restant en deçà de son potentiel, cet Ariodante assez pâle ne manque pas d’une certaine grâce.
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