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MAISONS LAFFITTE
19/09/04
Paul Gay
Béla BARTOK (1881-1945)
Le château de Barbe-Bleue
Opéra en un acte (Budapest,
le 24 mai 1918)
Livret de Béla Balasz d'après
le conte de Charles Perrault
Version pour piano 4 mains, harmonium,
célesta
Scénographie et lumières
: Gérard Champlon,
Costumes : Jean-François
Gobert
Mise en scène : Charlotte
Nessi
Direction musicale : Denis Comtet
Ensemble Justiniana
Eric Wolfer, Denis Comtet, Gwenaëlle
Cochevelou : piano, célesta, harmonium
Katalin Karolyi : Judith
Paul Gay : Barbe Bleue
Eric Wolfer : Le serviteur
En ouverture de programme :
Ensemble Fono Zenekar (musique traditionnelle
de Hongrie).
Samedi 18 septembre 2004, 19h30
Château de Maisons, Maisons-Laffitte
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Le festival d'Île de France
ne se contente pas d'aligner simplement des concerts dans Paris et les
environs. La démarche se veut plus totale. Elle cherche à
combiner une musique, un lieu et un thème pour toucher non seulement
l'oreille du public mais aussi ses autres sens : la vue, le goût,
etc. Cette année, le voyage proposé se situe au coeur des
légendes de Pologne et des pays scandinaves avec, pour l'amateur
d'opéra, une incursion dans le Château de Maisons-Laffitte
où se jouent les noces de ce bon vieux Barbe Bleue.
Tout commence par un banquet sur
une petite place voisine du château avec un bol de goulasch offert
que l'on arrose, moyennant une petite poignée d'euros, d'un verre
de ce tokai dont Louis XIV disait qu'il était le roi des vins et
le vin des rois. Soudain, des sons de cornemuse troublent les agapes. Des
musiciens hongrois, vêtus du costume traditionnel et conduits par
Agnès Herczku, petite voix, joli minois, accompagnent Judith, alias
Katalin Karolyi, devant Monsieur le Maire pour qu'il célèbre
son mariage avec le comte Barbe Bleue. La jeune femme, intimidée
dans sa longue robe blanche, prend place quand, premier coup de théâtre,
on apprend que le seigneur ne se déplacera pas pour la cérémonie
mais sera représenté par son intendant, belle composition
d'Eric Wolfer, silhouette noire légèrement voûtée,
regard ardent, inquiet et inquiétant, voix grave, sonore lorsqu'il
prononce à la place de son maître l'inévitable oui.
Il pleut du riz sur l'épousée tandis que nasillent les violons,
cymbalums et autres gardons. On débouche les bouteilles de Crémant,
les verres passent de main en main et, tout à ses bulles, c'est
à peine si l'on remarque la fuite de Judith et de son valet et si
l'on prête attention au gramophone qui, par la fenêtre ouverte
d'une maison de la place, craque les premières pages du conte de
Charles Perrault. Puis, toujours mené en musique par le Groupe Fono
Zenekar, le cortège s'ébranle en titubant dans les rues de
Maisons-Laffitte. Par trois fois se répète alors le même
scénario : les musiciens s'arrêtent, chantent une aubade jusqu'à
ce que s'ouvrent des persiennes à l'étage et apparaisse un
citoyen auquel ils demandent le chemin de la demeure de Barbe Bleue. Ce
seul nom suffit à provoquer la terreur de l'habitant qui pousse
un cri, éteint violemment la lumière et disparaît en
claquant les volets. A ce petit train, on finit quand même par franchir
les grilles, longer l'allée éclairée par des flambeaux
en admirant la façade sombre de la vieille demeure dont l'un de
ses contemporains disait qu'elle était "d'une beauté si singulière
qu'il n'est pas d'étranger curieux qui ne l'aille voir comme l'une
des plus belles choses que nous ayons en France". Dans la cour, un dernier
chant folklorique est brusquement interrompu par un cri. Les musiciens
effrayés se dispersent dans la nuit. Le sinistre intendant prend
le relais en invitant les spectateurs à entrer dans le château
et, au bas de l'escalier, leur expliquer que la même histoire se
reproduit à chaque fois. Pour preuve, il ouvre une malle, montre
les effets des épouses disparues et avoue que, ce soir, il ne veut
plus être le seul témoin du drame. Il conduit alors l'assistance
dans la chambre du maître, en fait la galerie supérieure du
bâtiment où ont été disposés, le long
du mur, des chaises et même des coussins pour que les plus jeunes
puissent s'asseoir confortablement sur le sol. Face au public, Barbe Bleue,
la tête entre les mains, assis sur un lit. Autour de lui, un cadre
vide et des peintures posées sur des chevalets recouverts d'un drap
blanc. Ils se révéleront être les portraits des autres
épouses que Judith dévoilera un par un en guise de septième
porte avant de prendre elle-même place dans le cadre qui lui était
réservé. Les lumières s'éteignent. Les premiers
accords de la musique de Bartok emplissent le silence.
La partition, pour la circonstance,
a été adaptée pour trois claviers à l'exemple
de la première audition qui fut exécutée par le compositeur
et sa femme au piano. Deux violons viendront occasionnellement grossir
cet effectif. L'oeuvre qui, pour être lyrique n'en est pas moins
symphonique, souffre évidemment de cet arrangement. Les portes ne
s'ouvrent plus sur les glissandi des cordes graves. Les larmes ne
coulent plus sur des arpèges de célesta, flûte, harpe
et clarinette. Le cri de Judith face aux instruments de torture ne s'exprime
plus par un long trille saisissant. La liste des symboles ainsi estompés
est malheureusement longue. Autre reproche, Barbe Bleue chante en français
tandis que Judith lui répond en hongrois. Pour une question naturelle
de sonorité, il aurait été préférable
de choisir une seule langue et dans la mesure où les surtitres sont
absents, le choix du français ici s'imposait. Enfin, pour en terminer
avec les critiques, dans un souci de cohésion avec la première
partie du spectacle, Barbe Bleue est présenté comme un monstre,
ce qui est assurément un mésinterprétation. Chez Bartok
et Balazs, son librettiste, l'histoire s'affranchit totalement du conte
pour traiter de la tragédie des rapports amoureux. La fin de la
représentation avec le retour du gramophone qui rauque les dernières
phrases du texte de Perrault et la réapparition de l'ensemble Fono
Zenekar amoindrit la force de l'oeuvre et fait contresens.
Et pourtant, le spectacle fonctionne.
A plein régime même puisque l'intérêt et l'émotion
se disputent la préséance tout au long de la petite heure
que dure l'opéra. Grâce aux chanteurs, d'abord. Paul Gay prête
à Barbe Bleue sa haute stature. Venant de ce colosse, la fragilité,
la faiblesse de l'homme face à la femme n'en sont que plus bouleversantes.
La tendresse, la sensualité puis la douleur sont parfaitement traduites
par le timbre au métal chaud et vibrant, l'intonation claire, nuancée.
L'usage du français fait de son comte un proche parent de Golaud.
Paul Gay l'a d'ailleurs interprété à Lyon
en mars dernier ; Il n'y a pas de fumée sans feu. Le chant de Katalin
Karolyi est un degré en dessous. La voix, certes d'une belle couleur,
ne parvient pas à dissimuler son manque d'assise. Le débit
est parfois haché. Le contre-ut qui salue l'ouverture de la cinquième
porte passe aux oubliettes. Mais l'engagement de sa Judith est tel qu'il
fait oublier ces défauts. Timide au départ comme l'exige
le rôle, elle s'exalte peu à peu, jusqu'à dominer fiévreusement
son partenaire et précipiter le tragique dénouement qu'est
la fin de l'amour et donc du couple. Autre atout de cette soirée,
la proximité qui résulte de la configuration des lieux. Le
spectateur, presque voyeur, est plongé au coeur du drame. A une
si courte distance, la mise en scène ne peut souffrir de défauts.
L'expression des visages compte autant que celle des corps. Pour cela,
le travail de Charlotte Nessi est remarquable et mérite d'être
salué. Le public ne s'en prive pas au demeurant. Au final, l'ovation
est générale.
Il était une fois un homme
qui avait de belles maisons à la Ville et à la Campagne...
Les enfants ont grandi mais aiment toujours autant les histoires pour peu
qu'elles soient bien racontées. Merci le Festival d'Île de
France.
Christophe RIZOUD
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