Une fois n'est pas coutume, parlons
d'abord du décorateur. La réussite de cette production lui
doit beaucoup. Karl-Ernst Herrmann est allemand et travaille pour les plus
grandes scènes lyriques du monde. Il prépare pour cet été
à Salzbourg les décors de Così. Ses collaborateurs
privilégiés sont Luc Bondy et Peter Stein. Pour ce dernier,
il a créé, il y a quelques années, les décors
de cette production de Pelléas. Il a suivi scrupuleusement
les indications du livret : ainsi, à chaque nouveau tableau, apparaît
un décors d'ombres et de lumières différent. Les changements
se font à vue ou sont cachés grâce à un ingénieux
système de panneaux coulissants. Les tonalités dominantes
varient du noir au bleu et contribuent à la magie du spectacle.
La réussite est totale à une exception prêt, le dernier
tableau ; la chambre de Mélisande ressemble à celle de Mimi
dans une mauvaise production néoréaliste. Pourquoi ?
L'Opéra de Lyon a beaucoup communiqué
sur la venue de Stein à Lyon. On attendait donc beaucoup de sa première
collaboration. Là aussi, le travail est exemplaire, sobre et très
respectueux du livret. La lecture du chef-d'oeuvre de Debussy se fait ici
au premier degré. Deux ou trois exemples : Mélisande porte
bien de longs cheveux et Pelléas les caresse longuement , la grotte
est figurée et les deux héros y descendent avec précautions.
Pourtant, ce parti pris a ses limites et certaines scènes peuvent
frôler le kitsch, par exemple l'arrivée des trois "pauvres"
à quatre pattes dans le grotte ou le bébé mécanique
dans les bras de Nadine Denize !
Le casting est presque idéal.
Parlons d'abord de Patricia Petibon. La scène lyonnaise lui est
décidément très favorable. L'année dernière,
elle a chanté magnifiquement Sophie dans Le Chevalier à
la Rose. Sa Mélisande est au diapason. La voix est belle, lumineuse
et a du corps. Sa diction est précise, son interprétation
très émouvante. Ici aucun effet superflu, une Mélisande
qui a une réelle présence, tant vocale que scénique,
mystérieuse et très sensible. Bravo !
Le Pelléas de Tracey Welborn
se classe un degré en dessous. Il a le physique (un peu poète
romantique) et la voix. Mais la diction est floue, un grave handicap dans
ce rôle. En revanche, la soirée réservait une très
belle surprise avec la prestation de Paul Gay. Il faut rappeler qu'il est
resté en troupe sur la scène lyonnaise au cours des deux
ou trois dernières années. Sans démériter,
il ne m'a jamais ébloui. Et cependant sa prestation dans Golaud
est remarquable. La voix n'a jamais aussi bien sonné et, dramatiquement,
il est bouleversant.
Au rang des belles prestations, il
faut également épingler celle d'Yniold. Ici, c'est un enfant
qui chante et qui joue. C'est une très bonne idée surtout
quand le jeune interprète est de ce niveau.
Arkel est venu du grand nord, d'Oslo
précisément. La voix est agréable et profonde, mais
il souffre du même défaut que Tracey Welborn, le texte se
perd parfois dans les méandres de la musique. Chanter en français
reste difficile pour les allochtones sans une solide préparation.
L'orchestre de l'opéra est à
son affaire dans ce type de répertoire, peut-être un peu trop.
En effet, le chef hollandais Ed Spandjaard ne parvient pas toujours à
maîtriser le flot sonore. A plusieurs reprises les chanteurs ont
été "couverts", certes la musique de Debussy est merveilleuse,
mais quand même...
Olivier DENOYELLE