RETOUR(S) AUX SOURCES
Ouvert en 1989 avec les Nozze di
Figaro, le Garsington Opera poursuit lentement, mais sûrement
son implantation dans le paysage des festivals lyriques de l'été.
Sa courte saison s'étend sur
un mois (de mi-juin à mi-juillet) et s'articule autour de trois
titres, mêlant piliers et raretés du répertoire. Si
les spectacles sont en langue originale, les partitions sont parfois données
avec quelques coupures (1)
.
On doit notamment au Garsington Opera
les créations britanniques d'ouvrages de compositeurs aussi divers
que Haydn (Orlando Paladino en 1990, La Vera Costanza en
1992), Janacek (Sara en 2002, en compagnie du rare Osud), Rossini
(La Gazetta en 2001), Schumann (Genoveva en 2000), Strauss
(Die ägyptische Helena en 1997, Der Liebe der Danae
en 1999).
La saison 2003 ne proposait pas de
créations, mais restait fidèle au mélange des répertoires
avec les relativement rares Finta Giardiniera de Mozart et Femme
Silencieuse de Strauss d'une part, le classique Barbiere di Siviglia
de Rossini d'autre part.
Tandis que Glyndebourne est tiraillé
entre des ambitions artistiques de très haut niveau et les problèmes
de financement qui en découlent et l'éloignent singulièrement
de ses origines (2),
Garsington conserve l'esprit original de son devancier : un public choisi
(moins de 500 places dans l'auditorium, tenue de soirée et enthousiasme
bon enfant de rigueur), une organisation light et efficace, un cadre
exceptionnel (un manoir du XVIIème assorti dans les années
20 de superbes jardins influencés par l'Italie), contribuent à
cette ambiance unique de fête courtoise et détendue. Un retour
aux sources, donc.
Les spectacles se tiennent dans un amphithéâtre
provisoire recouvert d'une tente blanche translucide, partiellement ouverte
côté cour : ceci nous permet de distinguer l'un des jardins,
éventuellement parcouru par les chanteurs au gré des mises
en scène.
Etonnamment, l'acoustique est excellente,
un peu sèche pour l'orchestre et très favorable aux voix.
Seul bémol, les spectacles
démarrent à 18 heures et s'achèvent vers 22h30 alors
qu'il ne fait pas encore nuit : les éclairages de scène doivent
donc composer avec la lumière du jour, très présente;
les spectateurs sont eux-mêmes visibles toute la soirée, ce
qui est un peu déroutant pour les habitués des salles obscures.
La distribution table essentiellement
sur de jeunes chanteurs.
Figaro (Luca Salsi) et Rosina (Christine
Rice)
A tout seigneur tout honneur, Luca
Salsi est un Figaro parfait comme seule l'Italie peut en produire : abattage
sans cabotinage, simplicité sans vulgarité, une voix naturelle
qui coule sans effort... une prestation parfaite.
Colin Lee est une autre découverte
dans le rôle du Comte Almaviva dont il n'esquive aucune difficulté
: vocalisation impeccable, aigus percutants (avec un peu trop de recours
au registre mixte cependant), variations dans les reprises ou les ensembles
et, pour conclure, un superbe "Cessa di più resistere". Quel bonheur
d'entendre, aussi bien chanté, cet air que seuls ont osé
sur scène les plus grands rossiniens (Blake, Matteuzzi auquel la
voix de Colin Lee fait un peu penser) : si ce morceau de bravoure est une
véritable fête vocale, c'est aussi dramatiquement un rééquilibrage
du rôle d'Almaviva, un peu terne sans cela.
En Dr Bartolo, Robert Poulton témoigne
d'une vis comica digne des spécialistes de barbons tels qu'Enzo
Dara ou Bruno Pratico. Son physique, qui rappelle un peu Thomas Allen,
apporte une crédibilité nouvelle au soupirant malheureux
de Rosina. Vocalement, Poulton n'appelle que des éloges, assurant
sans truquer les difficultés de la vocalisation.
On ne retrouve pas le même tempérament
comique chez le Don Basilio de Brindley Sherratt; peut-être cette
raideur est-elle due au fait que, blessé au pied (en se promenant
dans les fameux jardins de Garsington !), il est obligé de se déplacer
avec une béquille (3)
. Ses moyens vocaux ne sont pas exceptionnels et l'artiste reste en retrait,
le "tube" de la Calomnie tombant à plat.
Christine Rice est une Rosina bien
chantante, mais sans génie. Vocalement, on ne peut guère
lui adresser de reproches notables : la voix est saine, homogène
sur la tessiture, les vocalises bien exécutées, mais elle
manque d'abattage et le timbre est un plutôt gris.
Après un démarrage un
peu lent, Lynda Russell trouve son rythme et exécute son air avec
une ornementation très réussie.
Spécialiste de ce répertoire,
David Parry mène avec enthousiasme ce plateau vers la conclusion
de cette autre "folle journée", retrouvant ce que devait la verve
sans complexe des théâtres italiens de province au temps de
Rossini : un retour aux sources là encore.
J'ai néanmoins regretté
un usage un peu abusif des percussions qui évoquait une célèbre
caricature de l'époque.
Sur le plan de la mise en scène,
on frise l'erreur de débutant : Marco Gandini ne se contente pas
de transposer l'action dans les années 50, aux studios Cinecittà
(pourquoi pas, à la rigueur), mais plaque une autre histoire par
dessus l'intrigue de Beaumarchais : Rosina devient une actrice en vogue
suivie par des paparazzi et dont Almaviva est le partenaire; Bartolo est
le "protecteur" de l'actrice ; Berta une maquilleuse ; Basilio on ne sait
pas trop et le reste à l'avenantÖ
Comme disait Alexandre Dumas, "Il est
permis de violer l'Histoire, à condition de lui faire
de beaux enfants" : ici c'est l'intrigue
que l'on viole, mais le résultat n'en vaut vraiment pas la peine
; en l'occurrence, rien ne colle et on ne voit pas ce qu'apporte une telle
démarche.
A l'inverse, la dramaturgie est une
pure réussite : pas de temps morts, une scène parfaitement
exploitée malgré ses dimensions réduites et l'absence
de dégagements, des gags sans surcharge (à l'inverse de la
récente Cenerentola proposée
par Irina Brook au Théâtre des Champs-Elysées).
En particulier, la leçon de
musique est certainement la plus drôle qu'il m'ait été
donné de voir sur scène : un pur moment de bouffonnerie,
un vrai régal !
La saison prochaine, le Garsington
Opera proposera, toujours sous la baguette de David Parry, un autre Rosssini,
L'Equivoco
Stravagante. On souhaite à cette création britannique
autant de succès que pour ce fort sympathique Barbiere
(4).
Placido Carrerotti
(1)
La
Finta Giardiniera, par exemple, mais il est vrai qu'il s'agit d'un
ouvrage exceptionnellement long.
(2) Glyndebourne est devenu
un phénomène de mode que les grandes entreprises utilisent
largement pour leurs opérations de relations publiques en contrepartie
d'un sponsoring généreux ; devenu une véritable
industrie, le festival propose jusqu'au panier pique-nique tout prêt
(40 £ par personne, supplément pour la langouste, vins en
sus, réservation obligatoire) : on est loin de l'esprit d'origine.
(3) A la fin du premier acte,
Rosine écrase furieusement le pied de Bartolo d'un coup de talon
; au second acte, celui-ci ne se déplace plus qu'en chaise roulante
ou avec une béquille : ceci nous vaut un éclat de rire général
à l'arrivée de Don Basilio, lui aussi muni d'une béquille,
pendant la leçon de musique !
(4) Les autres ouvrages proposés
en 2004 sont le classique Così fan tutte sous la baguette
de Steuart Bedford et dans une mise en scène de John Cox, ainsi
que la création britannique de Cherevichki, opéra-ballet
de Tchaikovsky dirigé par Elgar Howarth, dans une production d'Olivia
Fuchs et Niki Turner.
.