LA POINTURE
DE CENDRILLON
Après une Petite
Renarde fort Rusée et un miraculeux Opera
Seria, le Théâtre des Champs-Elysées poursuit
sa brillante saison avec une hilarante Cenerentola coproduite avec
le Teatro Communale de Bologne.
Premier atout de ce spectacle
: les décors inventifs de Noëlle Ginefri.
Le palais de Don Magnifico
est un bar de Little Italy qui a visiblement connu des jours meilleurs
: machine à expresso, photos des gloires du football, et
enseigne au néon à moitié connectée ... on
se croirait tout à fait dans certains cafés de province italiens,
n'était la présence d'un flic new-yorkais !
Celui de Don Ramiro est au
contraire tout ce qu'il y a de plus "in": murs blancs, oeuvres d'art déjantées
(diptyque façon Twin Towers et aspirateur emmitouflé dans
un crochet cousu main).
Les costumes partagent le
même délire.
La mise en scène
d'Irina Brook mise à fond sur la carte de la comédie : le
spectacle fourmille de gags visuels (aucun intérêt à
les raconter ici, désolé !), le rôle d'Alidoro, interprété
par un exceptionnel Ildebrando d'Arcangelo, étant particulièrement
développé (c'est lui le flic new-yorkais, le domestique veillant
sur l'aspirateur, etc.).
Le public bon enfant rit
de cette invention : pour ma part, j'y mettrais deux bémols.
Le premier, c'est que Cenerentola
n'est pas un opéra bouffe (1) mais un dramma
giocoso : Don Magnifico, Clorinda ou Thisbe sont des personnages proprement
monstrueux ; Ramiro lui-même ne pense d'abord qu'à la vengeance.
C'est trahir l'ouvrage que de n'en exploiter que les ressources comiques
(trahison d'autant plus pernicieuse qu'elle passe totalement inaperçue
des spectateurs). Le côté dramatique est d'ailleurs doublement
battu en brèche par des coupures qui taillent dans les parties émouvantes
pour laisser intactes les morceaux bouffes.
Second bémol : cette
avalanche d'effets comiques finit par lasser (on pense aux films des Marx
Brothers qui eurent davantage de succès quand on commença
à intercaler des numéros musicaux pour que les spectateurs
puissent reprendre leur souffle) : d'autant que la quantité l'emporte
sur la qualité (on a ainsi vu 100 fois ces choristes façon
revue de Broadway, ces chorégraphies dérivées du rap,
etc.).
Quand Angelina attaque son
air final, j'attends un autre accompagnement que les rires gras de mes
voisins sensibles à quelques effets faciles (2).
Côté chanteurs,
beaucoup de bonnes surprises.
Alessandro Corbelli, habitué
du rôle de Dandini (nous l'avons notamment entendu à Paris
au Palais Garnier aux côtés de Joyce Di Donato), est cette
fois Don Magnifico, d'un comique irrésistible et toujours aussi
bien chantant (il m'a apparu notablement plus fatigué dans le récent
Cosi
de Garnier).
Pietro Spagnoli est au même
niveau avec un abattage vocal et scénique de premier ordre, un petit
côté sexy en prime (attention toutefois aux paste :on
distingue des traces d'embonpoint précoce !).
Ildebrando d'Arcangelo nous
avait habitué à jouer de son charme, notamment en Comte Almaviva
bellâtre et hautain à Bastille : il joue ici sur un registre
totalement différent de benêt de service, véritable
fil rouge de la scénographie ; et inutile de dire qu'il chante toujours
aussi bien !
Il est facile de dire que
Paul Austin Kelly ne vaut pas Juan Diego Florez en Don Ramiro (il faut
dire que le souvenir du Palais Garnier est encore récent : décembre
2002). Toute comparaison mise à part, il faut avouer que Kelly se
tire plutôt bien du rôle : certes, le personnage manque d'épaisseur,
d'urgence; certes les aigus ne sont guère spectaculaires et certaines
vocalises peinent un peu; mais c'est quand même du bon boulot !
Mention très bien
pour Clorinda et Thisbe : on en regrette d'autant plus la coupure de l'air
de la soprano.
Pour finir, la belle Vivica
Génaux campe une Angelina très crédible scéniquement,
à l'aise dans les vocalises, mais plutôt limitée dans
l'aigu. Scéniquement, la caractérisation dramatique est assez
limitée avec des abus de sourires charmeurs, dignes de publicités
pour dentifrices fluorés.
Moins sollicitée dans
le grave suite aux coupures, la voix reste néanmoins trop légère
pour ce rôle : c'est une erreur de distribution du même type
qu'Andrea Rost ou Sumi Jo en Lucia, Barbara Hendricks en Gilda, etc. Avoir
les notes et la technique ne fait pas la couleur d'un personnage et on
est très, très, très loin d'une Lucia Valentini-Teranni.
Bref ! Ce n'est pas tout à fait la bonne pointure !
Le Choeur du Théâtre
des Champs-Elysées est efficace dans une partition qui lui convient
et se montre scéniquement impeccable.
Reste le cas du Concerto
Köln.
Au positif, je retiendrai
une couleur et une espèce de sécheresse que j'ai trouvées
à la fois originales et adaptées à la partition. Au
passif, si les cordes sont impeccables, on ne peut pas en dire au temps
des vents assez hermétiques aux difficultés d'exécution
de la partition.
Dans l'optique "folle journée"
de la production, la direction musicale d'Evelino Pidò m'a paru
idéale : il lui manque néanmoins toute la dimension poétique
que contient ce chef d'oeuvre rossinien.
Placido Carrerotti
(1) Le rapprochement avec
le récent Opera Seria au même TCE est assez significatif
: Martinoty ne cherchait pas les effets à tout prix ; résultat,
après un acte I plutôt sobre, le délire allait en s'accentuant
pour exploser au final ; les effets comiques étaient tout aussi
délirants mais plus efficaces dans leur crescendo mécanique
et irrésistible.
(2) De là à
huer les responsables de la production au rideau final comme le fit une
poignée de malotrus !