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PARIS
24/03/2008
Cecilia Bartoli
© DR
Gioacchino Rossini (1792-1868)
LA CENERENTOLA
Ossia la bontà in trionfo
Dramma giocoso en deux actes (1817)
Sur un livret de Jacopo Ferretti
Basé sur le conte Cendrillon de Charles Perrault
Et les livrets de Charles-Guillaume Etienne
(pour un opéra de Nicolas Isouard)
Et Francesco Fiorini
(pour un opéra de Stefano Pavesi)
Cecilia Bartoli, Angelina
Sen Guo, Clorinda
Liliana Nikiteanu, Tisbe
Antonio Siragusa, Don Ramiro
Bruno Pratico, Dandini
Carlos Chausson, Don Magnifico
Làszlo Polgar, Alidoro
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Zurich
Kelly Thomas, clavecin
Adam Fischer, direction musicale
Version concertante, mise en espace
Production de l’Opéra de Zurich
Salle Pleyel, Paris
Lundi 24 mars 2008 à 15 heures
La Folle Journée Malibran, épisode II
Lire également :
Episode I (Le Salon Romantique de Maria Malibran)
Episode III (Gala du soir)
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Des larmes cendrées à la lumière rayonnante…
A raison, le rendez-vous de l’après-midi de cette folle journée était le plus attendu.
La Bartoli dans un opéra
complet à Paris ! La rareté du rendez-vous et un
rôle titre, voilà qui apparemment rassurait pleinement
ceux qui désiraient rentabiliser leur investissement.
Ce que Cecilia avait conçu pour ce rendez-vous, allait
dépasser de très loin tout ce que l’on pouvait
imaginer. Le choix de La Cenerentola était une très bonne idée. Malibran
y était très attachée. New York vit sa
première Cendrillon avec Maria et elle le chanta à de
nombreuses reprises en Europe. Depuis 1989 et une certaine
soirée en hommage à Maria Callas, on sait ce que Cecilia
doit à La Cenerentola.
Elle n’a jamais quitté cet emploi, ne cessant de le
peaufiner et elle y laisse une de ses meilleures incarnations
discographiques. Cecilia Bartoli a donc emmené dans ses
volumineux bagages, toute l’équipe de la production de
l’opéra de Zurich,
production reprise encore dernièrement. Cela lui procurant un
confort certain sans doute, mais également, lui permettant
d’offrir à Paris, un spectacle rôdé, bien
ficelé et s’articulant autour d’une équipe
homogène. De son propre aveu, Cenerentola
n’aurait pu se contenter d’une classique version de
concert. Pour le plus grand bonheur du public convié à
une réelle après-midi d’anniversaire,
l’affiche réunie va nous offrir une savoureuse mise en
espace, costumes compris, cela, sous la direction efficace et
contorsionniste d’un Adam Fischer à qui il ne manquait que deux rétroviseurs.
Premiers éclats de rires avec l’apparition des deux cartoonesques Clorinda et Tisbé, échappées de quelque Walt Disney. Sen Guo
se définit comme une jeune chanteuse professionnelle dont la
voix ne trouve sans doute pas son meilleur emploi dans l’ingrata
Clorinda. Elle est appelée à des emplois plus aigus comme
Olympia ou Blondchen. Son numéro de duettiste avec sa sœur
fonctionne bien. Son jeu n’évite pas des poncifs
répétitifs à la Loréal parce que je le vaux
bien et son chant ne trouve guère d’occasion de
s’épanouir, d’autant que la version proposée,
fait table rase des pages écrites par le fidèle
collaborateur Agolini (1), donc point ici de Sventurata ! Me credea…
Première distinction honorifique pour la Tisbe de Liliana Nikiteanu.
La mezzo-soprano roumaine s’acquitte de sa tâche avec un
grand bonheur vocal dans une parfaite intégration de ses
nombreux ensembles. Scéniquement, elle tire profit de sa haute
taille et d’un visage aux multiples expressions pour camper une
irrésistible idiote n’ayant rien de ravissant. Elle
sublime le portrait d’une grande Duduche, larguée dans les
profondeurs d’une intrigue virevoltant beaucoup trop
allègrement pour sa vitesse de croisière
neuronéenne.
Carlos Chausson
rafle haut la main la médaille d’argent de cette
après-midi. Il n’est pas nécessaire de rappeler la
carrière internationale de cette basse espagnole. On se
contentera d’énoncer qu’il y a plus de trente ans
que cet immense monsieur se ballade sur les plus grandes scènes.
Dès son entrée, Chausson va nous saisir au col et nous
bringuebaler sans répit d’un bout à l’autre
de la scène. Sa composition scénique se déguste
jusqu’à l’indigestion. Pleutre, lâche,
servile, vaniteux, fantoche… Il se définit non seulement
comme un des axes de la représentation mais également,
comme un adjuvant de premier ordre pour ses partenaires.
Vocalement, son entrée avec Miei rampolli femminini vous
cloue à votre siège. Quel bonheur d’entendre
– chanter – un Don Magnifico ! Après plusieurs
décennies de carrière, Carlos Chausson témoigne
d’une santé vocale superlative, ligne, soutien,
émail du timbre et aigu claironnant… Son dantesque
numéro dans Sia qualunque delle figlie
finit de déchaîner le public. Journée Malibran ou
concert rock ? Grand bonheur de voir ce public rire de ses propres
réactions sans réserve.
Autre vétéran, Làszlo Polgar a
connu, à juste titre, la médiatisation en se
définissant comme un des titulaires incontournables des emplois
graves. Pour la joie de la retrouver ici, on pardonnera beaucoup et
aisément à la basse. On pourrait bien entendu pinailler
sur son approche du sage Alidoro, surtout depuis que la Rossini
Renaissance et des pointures comme Samuel Ramey, ont remis beaucoup
d’horloges à l’heure. Disons que désormais,
même dans les emplois graves de Rossini, le public, du moins on
l’espère, désire entendre du chant…
Réduire les Bartolo, Basilio et autre Magnifico à du quasi parlando
aussi habile soit il, est vraiment trop réducteur. Cela est
encore plus vrai dans un emploi comme Alidoro où à
l’instar du Là del ciel, nell’arcano profondo,
le rôle recèle une thématique nécessitant
une stabilité dans l’émission et la ligne vocale.
Avouons qu’au stade actuel de sa carrière, Polgar manque
plus d’une fois de pression dans les pneumatiques. Très
subjectivement, nous avouons pourtant avoir été
touché par la profonde humanité de son personnage et
ému par la sincérité de son chant.
Beaucoup plus surréaliste, la présence inattendue d’un inénarrable Bruno Pratico
en Dandini. Corbelli était pressenti, si ma mémoire est
bonne. Pratico allait nous réserver une des plus étranges
expériences lyriques de ces vingt dernières
années… Ayant également une longue carrière
internationale, Pratico fréquente depuis un moment des emplois
de basse bouffe qui lui ont tassé la voix plus que de raison.
Dandini est un rôle difficile à distribuer. Sur le plan
vocal, son écriture est souvent l’alter ego masculin de la
thématique d’Angelina, avec qui il partage un nombre
impressionnant de traits. Cela est d’autant plus cruel pour le
titulaire s’il est le premier conscient qu’il n’est
plus (n’a jamais été ?) à même de
les émettre et que son reflet féminin s’appelle
Bartoli… Pratico nous évite au moins de nous retrouver
chez Offenbach et son métier confondant demeure dans un esprit
buffo napolitain. On jettera un voile pudique et quelques
poignées de cendres dérobées dans
l’âtre cenerentolien, sur les laborieuses et vaines
tentatives d’émettre plus de deux croches en vocalises. Si
le Come un’ape nous fait suer à grosse gouttes, le sextuor Questo è un nodo avviluppato
lui permettra d’atteindre des fonds que même Cousteau
n’avait point imaginé… A défaut de saluer le
chanteur, on remercie chaleureusement le diseur dans de truculents
récitatifs, un art du sillabico
que Lablache lui même aurait envié et un personnage, qui
même s’il lorgne un peu trop du côté de Le Due Illustri Rivali de Donizetti, vaut au public de très grands moments de bonheur hilare.
Très forte et grande impression du ténor sicilien, Antonino Siragusa
désireux de ne pas rater ce rendez-vous parisien. Notre
première rencontre avec Siragusa remonte à 2004, Pesaro
et un idéal Norfolk de l’Elisabetta. Après un
rendez vous manqué à Bruxelles où il avait
annulé ses Arturo d’I Puritani,
ce Ramiro parisien nous conforte dans notre premier ressenti.
Vocalement, Siragusa est un très beau ténor avec une
vaillance certaine, une santé vocale à toute
épreuve, hésitant parfois entre le service des nuances et
une fanfaronnade directement plus payante. Il lui manque peu
d’outils dans l’émission rossinienne, outils
indispensables pour ciseler tous les types d’ornements et
coloratures. Certaines volate ou autre trait ascendant le trouve
parfaitement à l’aise, ainsi qu’un aigu glorieux
quoique quelquefois inutilement crâneur. D’autres finitions
coloratures ou le spianato le
trouvent encore un peu désarmé. Si la vaillance du Prince
ne lui fait jamais défaut, l’amourachement et la tendresse
pour Angelina ne dépassent guère le convenu. Il
décroche néanmoins tous les suffrages avec son air Si, ritrovarla io giuro. On regrettera avec de tels moyens, une coupure injustifiée.
Cenerentola DRAMMA GIOCOSO…
Tout et tant a déjà été écrit au
sujet de Madame Bartoli. Au sujet de son professionnalisme, sa vision
du métier et du chant, son sens du service de la musique et des
compositeurs, ses moyens, leur utilisation jusqu’à ce que
réprouvent certains, arguant la caricature,
l’énorme machine de guerre Decca derrière la figure
de proue qu’elle représente depuis bientôt vingt
ans… Nous suivons sans fanatisme Cecilia Bartoli depuis ces
vingt années, avec le plaisir régulier de la retrouver en
scène. Il nous faut avouer que même affaiblie par une
mauvaise grippe lors de son dernier concert à Bruxelles
immédiatement reprogrammé, elle nous a toujours
comblé. Plus que la rencontre avec une cantatrice, allez vers
Bartoli est surtout une expérience humaine et musicale. Assumant
un énième superlatif, il nous semble que Madame Bartoli
est actuellement la meilleure titulaire du rôle d’Angelina.
Cela dépasse un niveau vocal où en cette
après-midi, chaque note dans sa perfection technique
n’aura d’autre but que d’atteindre son existence
expressive. Ce chant vivant ne doit pas nous faire oublier combien
Bartoli est également une belle actrice simple, juste,
touchante, variée. Elle rend honneur à ses illustres
devancières Supervia, Berganza, Valentini Terrani, Von
Stade… Elle les rassemble toutes en une formidable
modernité. Oui, il nous semble bien que Madame Bartoli est la
meilleure des titulaires car, elle est une des rares actuellement (la
seule ?) à qui la dimension pathétique
d’Angelina n’échappe pas au sein de ce dramma giocoso.
Il est «normal» de pleurer pour une Violetta ou une CioCio
San, il est beaucoup plus rare de l’envisager pour une Cenerentola…
Le triomphe général récolté est amplement
mérité et assez indescriptible par les mots à
notre disposition. Cecilia en nage, reçoit émue les
longues ovations à son endroit… Il est plus de 18
heures… Un gala l’attend dans deux heures…
Philippe PONTHIR
(1) Pressé
par le temps, Rossini qui devait boucler sa partition en un temps
record, fit quelques emprunts à sa production. La Gazzetta lui donna la pioche pour son ouverture alors que le grand aria d’Almaviva d’Il Barbiere di Seviglia (Cessa di più resistere), la thématique de l’éternel rondo final d’Angelina, Nacqui al affano… Non più mesta.
Il confia à Luca Agolini la charge des récitatifs, et
quelques pages pour les chœurs et les seconds plans. Au fur et
à mesure de l’établissement de la partition dans
son édition critique, ses pages furent simplement
abandonnées, ainsi, l’air de Clorinda, Sventurata ! Me credea ou remplacé pour Alidoro, Vastro teatro a il mondo,
au profit d’une page autographe du Maestro dédié
à la basse Moncada en 1820 pour l’opéra de Rome, La del ciel, nell’ arcano profondo.
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