QUARTIER
LATINO
Un ténor argentin, une soprano
chilienne, un baryton espagnol et une basse italienne : cette nouvelle
reprise du chef d'oeuvre de Puccini se caractérise par une distribution
en grande partie latine.
On ne reviendra pas sur une mise en
scène d'un anachronisme vain et cachant mal une totale absence d'imagination,
une direction d'acteurs purement anecdotique qui fourmille de détails
qui se veulent réalistes, mais sonnent toujours faux, un décor
beau, mais pas toujours fonctionnel (le deuxième tableau, quoique
spectaculaire, impose l'immobilité aux choeurs)... tout ceci a déjà
été signalé lors de nos précédentes
chroniques.
Concentrons donc nous sur les chanteurs.
Souffrant, Marcelo Alvarez avait dû
être remplacé au pied levé pour la première
: le public, mécontent à l'annonce, puis incrédule
en apprenant l'identité du remplaçant, put ainsi faire un
triomphe à un Roberto Alagna en état de grâce.
Marcelo Alvarez était-il complètement
remis le 14 octobre ? On peut se le demander tant le résultat est
loin de ce que l'on est en droit d'attendre d'un artiste de ce talent.
Le timbre est toujours aussi beau, mais la voix s'amincit de manière
inquiétante au fur et à mesure que la tessiture se tend.
Le "Che gelida manina" est expédié
avec précipitation, David Klajner accélérant de toute
évidence le tempo pour soulager son Rodolfo : l'air est dans
le ton, mais le contre-ut est bien instable ; Alvarez ne le retentera pas
à la conclusion de l'acte I.
Les choses se gâtent singulièrement
à l'acte III : en maintes occasions la voix se brise, certaines
notes sont même discrètement éliminées !
L'acte IV, moins exigeant physiquement,
nous permet d'apprécier un interprète sensible, qui a bien
compris que "les grandes douleurs sont muettes", et qui nous épargne
les sanglots appuyés à la mort de Mimi. On ne peut qu'espérer
qu'il s'agisse là d'une méforme passagère, car cet
artiste semble gérer avec prudence et intelligence sa carrière.
Depuis plusieurs mois, les apparitions
de Cristina Gallardo-Domas n'avaient pas franchement reçu d'échos
enthousiastes et certains craignaient déjà le déclin
de cette artiste. Sa Mimi dissipe une grande partie de nos interrogations
: certes, la voix est devenue plus dramatique, le suraigu est sans doute
plus difficile, mais nous avons droit un contre-ut piano de toute
beauté qui vient couronner le duo de l'acte I.
Sa Mimi est un vrai personnage, qu'elle
chante avec beaucoup d'intelligence et de sensibilité, sans doute
avec davantage de calcul que de véritable abandon, mais avec une
science de la coloration proprement exceptionnelle. Pas une note qui ne
soit polie, pas un effet gratuit, et au final une authentique émotion
dans une mort qui arrache les larmes.
Pour le Boy's band de rigueur, Bastille
s'est visiblement davantage concentré sur la plastique des interprètes
que sur leurs capacités vocales. Malheureusement, La Bohème
n'est pas un peep show et nos oreilles souffrent.
Manuel Lanza, qui porte bien mal un
nom illustre, détonne dès lors qu'il y a une note un peu
aigue au détour d'une phrase musicale. Nous avions déjà
souligné ce défaut lors d'une précédente critique
: mais il s'agissait du rôle d'Alphonse IV dans La
Favorite. On pouvait espérer que le rôle de Marcello
lui poserait moins de problèmes, mais il n'en est rien et il ne
nous reste qu'à subir ses interventions.
Luca Pisaroni est un Colline-barbe-de-trois-jours
très sexy, qui se tire bien de ses interventions aux trois premiers
actes, mais dont la "Vecchia zimara" nous laisse sur notre faim.
Christopher Schaldenbrand, chevelure
blonde en folie, nous vient quant à lui de Detroit : pas de réserve
à son sujet ; la voix manque encore de maturité, mais les
notes y sont et la technique est maîtrisée : une voix à
suivre, mais qui ne devrait pas aborder de rôles lourds avant plusieurs
années.
Maïra Kerey est artiste émérite
de la République du Kazakhstan. Mais c'est plutôt la Palme
de l'Insignifiance qu'il conviendrait d'attribuer à sa Musetta,
si cette distinction existait ! Au niveau de la tenue, "Cuando m'en vo"
est chanté comme un exercice de débutant dans un conservatoire
de musique, pieds joints, regards vers le plafond et bras ballants ; musicalement,
ça ne vaut guère mieux : Butterfly en Musetta, une totale
erreur de casting.
On retrouve avec plaisir les excellents
Michel Trempont et Christian Jean, toujours justes de ton.
Côté orchestre, la réalisation
laisse à désirer : hormis l'accélération, déjà
relevée, afin de ménager Alvarez (à mettre au négatif)
et quelques ruptures rythmiques, plutôt bien venues, à de
rares endroits (au positif), les tempi sont très prévisibles
et le chef subit le drame au lieu de s'en saisir et d'en livrer une vision
personnelle, à l'opposé, notamment, de Daniel Oren pour la
reprise de 2001.
Placido CARREROTTI