C O N C E R T S
 
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LYON
09/05/2004

(© Gérard Amsellem)
Jean-Philippe RAMEAU (1683-1764)

Les Boréades (1763)

Tragédie lyrique en cinq actes
Livret attribué à Louis de Cahusac

Direction musicale : Marc Minkowski
Mise en scène et costumes : Laurent Pelly
Dramaturgie et collaboration à la mise en scène : Agathe Mélinand
Décors : Chantal Thomas
Eclairages : Joël Adam
Chorégraphe : Lionel Hoche
Vidéo : Charles Carcopino
Chef des choeurs : Alan Woodbridge

Alphise : Mireille Delunsch
Abaris : Paul Agnew
Calisis : Tom Allen
Borilée: Marcel Boone
Adamas: Stéphane Degout
Sémire / Nymphe : Magali Léger
Borée : François Lis
Apollon : Thomas Dolié
Polymnie / L'Amour : Malia Bendi Merad

Les Musiciens du Louvre - Grenoble
Orchestre et Choeurs de l'Opéra de Lyon
Danseurs du Nouveau Studio de l'Opéra de Lyon

Opéra de Lyon
9 Mai 2004

Opéra-Théâtre de Metz, 7 mars 2004



Il est du plus mauvais goût d'invoquer la "malédiction des Boréades", comme le font certains, tant le décès du père de Marc Minkowski, deux jours avant cette première, n'a de commune mesure avec le black out électrique de l'Opéra Garnier lors de la reprise de 2003 dirigée par Christie et même les tourments éditoriaux de la partition, restituée par Gardiner à Aix puis... à Lyon en 1983. Le chef prononce un émouvant hommage à son père avant la représentation, un père flûtiste et grand admirateur de Rameau, souvent aperçu dans le public de Platée.

Les Boréades, dernière oeuvre lyrique achevée par Rameau mais jamais représentée de son vivant, n'a pas toujours la force et l'efficacité dramaturgique de Platée, justement. Alphise, reine de Bactriane, ne peut épouser qu'un descendant de Borée. Deux prétendants lui font une cour assidue et mortellement ennuyeuse, deux Boréens, Borilée et Calisis. Mais elle aime Abaris... et tergiverse sans fin, ce qui donnera largement le temps à ses sujets d'entamer les danses les plus diverses. Rejetant sa couronne pour ne pas avoir à choisir, elle déclenchera les foudres de Borée, qui sera finalement vaincu par Apollon. Quant à Abaris, qui lui aussi aura hésité longtemps avant de se décider à endosser le costume de héros plutôt que celui de victime, il se révèlera fort opportunément descendant de... Borée, ce qui arrangera tout le monde à la fin. On ironise... mais force est de reconnaître qu'une fois écartés les codes de la métaphore baroque plus pertinents à l'époque de Rameau, le livret est aujourd'hui d'un kitsch absolu, que Cahusac en soit l'auteur ou non. Le contexte de la conception de l'ouvrage étant à mille lieues de celui d'un spectateur contemporain calé dans un fauteuil profond et une salle de jais, on pardonne quelques bâillements. Il s'agit bien là d'une féerie mythologique dont le message libertaire ("Le bien suprême, c'est la liberté") ne prend véritablement quelque force qu'à partir de la fin de l'acte III, quand Borée déclenche ses foudres devant l'affront d'Alphise. Né alors que le modèle de la tragédie lyrique se meurt, cet opéra-ballet laisse une grande place aux intermèdes dansés qui, s'ils permettent à l'auditeur de se régaler de la science orchestrale d'un Rameau visionnaire (prélude de l'acte IV), rompent sans cesse un fil dramatique déjà fort ténu. La gageure en devient délicate pour le metteur en scène...


(© Gérard Amsellem)

Or le dispositif scénique se révèle ici acoustiquement astucieux et théâtralement efficace : à l'image des tourments d'Alphise prise au piège de la loi ancestrale et sous l'effet des vents soulevés par Borée, des panneaux semi-circulaires tournoient dans l'espace sur un sol souligné de spirales elles-mêmes mobiles (et silencieuses, bravo les techniciens...). Par ce truchement, les personnages apparaissent et disparaissent comme par magie au gré de la distribution et certaines pages, comme le puits de lumière et l'escalier de l'Amour, ou l'habile enlèvement d'Alphise par Borée, dégagent une poésie quasi surnaturelle. Pour autant, le procédé tend à lasser, la scénographie ne changeant qu'après la tempête (bouleversement à vue magnifiquement orchestré), ne laissant plus voir que les carcasses éventrées des panneaux. Quant à l'antre de Borée, il est tout entier occupé par un immense ventilateur grillagé qui devient la prison d'Alphise, avant que de souffler les pétales de l'hymen final. La nature, cadre de l'ouvrage, semble bien absente de ce choix esthétique, contrairement à l'option choisie par Carsen à Garnier, si ce n'est quelques malheureux bouquets.... Laurent Pelly préfère opposer les grisailles du décor et les bleus-verts des costumes (très seyants) aux noirceurs du monde de Borée ; la seule évocation solaire, outre la clarté zénithale accompagnant l'Amour déjà cité, viendra à l'acte V d'un projecteur braqué sur le moyeu de l'hélice devenue soleil, et d'un Apollon s'éclairant lui-même de ses deux mains. On sent que Laurent Pelly a voulu éviter à tout prix la joliesse et la naïveté, ne laissant place aux éléments que dans leur aspect maléfique : orages, éclairs, mais de quelle façon ! Tout le plateau semble pris dans la bourrasque, reléguant les chanteurs à l'avant-scène.

Cette joliesse redoutée le rattrape pourtant parfois dans la trop fade chorégraphie de Lionel Hoche : si les mouvements d'enroulement des corps répondent à ceux du décor, l'ensemble ne correspond que trop rarement aux subtilités de l'écriture musicale et manque d'imagination. Quelques mouvements de bras ne compensent pas l'absence, en soi défendable, de références vraiment baroques, qui semble hélas aussi craindre l'audace contemporaine.


Paul Agnew & Mireille Delunsch
(© Gérard Amsellem)

Le plateau vocal, comme lors des représentations parisiennes de l'an dernier, est totalement dominé par Paul Agnew, qui confirme son rapport fusionnel avec le rôle d'Abaris. L'ampleur de la tessiture mixte additionne celle d'un haute-contre aux aigus héroïques ou tendres et celle d'un vrai baryton, avec une qualité de passage de registres stupéfiante. Le timbre dense et charnu, l'intelligence stylistique, la clarté de sa diction lui permettent de dresser un portrait sensible d'Abaris auquel il sera difficile pour d'autres de se mesurer. Et même la relative timidité scénique de l'interprète est habilement transformée en atout (moins dans les scènes héroïques, reconnaissons-le) afin de peaufiner le chant subtil et divinement phrasé du héros malgré lui.

La distribution masculine affiche également avec bonheur Stéphane Degout, enfant du sérail lyonnais, hier Borylée chez Christie, montant en grade pour camper un Adamas idéal dans la diction et la projection de la voix, solidement charpentée. Belles prestations aussi de François Lis (Borée) et Thomas Dolié (Apollon). Scéniquement efficaces, les deux Boréens, Tom Allen et Marcel Boone, sont plus inégaux vocalement.

Mais la grande déception de la soirée réside dans la prestation d'une Mireille Delunsch fatiguée, surtout au début de l'opéra. Une Alphise noble mais trop fragile vocalement, laissée à elle-même scéniquement pendant de trop longs instants (ceux des ballets) pour arriver à maintenir la cohérence de son incarnation, trop tendue pour être réellement émouvante, même si sa présence est plus palpable après l'entracte. La diction, pâteuse, justifie la présence un peu surprenante de sous-titres. On se demande pourquoi Abaris ne tombe pas plutôt sous le charme de Sémire, incarnée par la lumineuse Magali Léger. L'émotion tangible de Marc Minkowski et de ses musiciens explique une mise en place un peu difficile, une ouverture un rien brouillonne aux cors, timides, mais la reprise en main ne se fait pas trop attendre et l'on retrouve un Minkowski plus souverain, une direction jouissive et millimétrée dans des musiques de ballets d'une belle exactitude métrique et d'une grande cohérence globale. La fusion des Musiciens du Louvre-Grenoble et de l'orchestre de l'Opéra est rien moins qu'évidente dans une partition d'une réelle difficulté, mais le résultat est là, notamment dans les bourrasques orchestrales des deux derniers actes. Science coloriste de Rameau, palette de nuances et de dynamiques de Minkowski, astucieusement avantagée par une fosse hissée à la hauteur du parterre.
 
 
 

Sophie ROUGHOL
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