C O N C E R T S 
 
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PARIS
04/11/2003

Ian Bostridge
RECITAL

Ian BOSTRIDGE, ténor
Julius DRAKE, piano

PROGRAMME


Francis POULENC (1899 - 1963)

Montparnasse
(1941-1945, Guillaume Apollinaire)

Hyde Park
(1945, Guillaume Apollinaire)

Deux Poèmes de Guillaume Apollinaire (1938)
Dans le jardin d'Anna
Allons plus vite

Deux Poèmes de Louis Aragon (1943)
C
Fêtes Galantes

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Tel jour, telle nuit (1936-1937)

sur des poèmes de Paul Eluard

I - Bonne journée
II - Une ruine, coquille vide
III - Le front comme un drapeau perdu
IV - Une roulotte couverte en tuiles
V - A toutes brides
VI - Une herbe pauvre
VII - Je n'ai envie que de t'aimer
VIII - Figure de force brûlante et farouche

IX - Nous avons fait la nuit
Hugo WOLF (1860-1903)

Eichendorff Lieder
(Lieder sur des poèmes de Joseph von Eichendorff, 1886-1888)

Der Freund (L'Ami)
Der Musikant (Le Musicien errant)
Verschwiegene Liebe (Amour secret)
Das Ständchen (La Sérénade)
Der Soldat I (Le Soldat I)
Der Soldat II (Le Soldat II)
Nachtzauber (Magie Nocturne)
Der Schreckenberger (Le Matamore)
 
 

Lieber alles (Mieux que tout)
Heimweh (Mal du pays)
Der Scholar (L'Étudiant)
Der verzweifelte Liebhaber
(L'Amoureux désespéré)
Unfall (Mésaventure)
Liebesglück (Bonheur d'aimer)
Seemanns Abschied
(Les Adieux du Marin)
 

Théâtre du Châtelet
Mardi 4 Novembre 2003

 


UN GENTLEMAN DÉSABUSÉ...
 

Ce concert au programme surprenant et un peu provocateur - Poulenc / Wolf, deux univers on ne peut plus opposés, du moins en apparence - avait pour principal attrait de nous donner à entendre ce ténor controversé, à la personnalité originale et complexe, dans le répertoire français. 

Le grand succès de son fabuleux Winterreise, en mars dernier, accompagné par un pianiste superlatif, Leif Ove Andnes, pouvait laisser augurer une autre soirée "magique".

Hélas, le miracle n'allait pas se reproduire ; la soirée offerte au public du Châtelet se révéla assez déroutante, voire décevante.

D'emblée, entrant en scène de manière presque brutale, Bostridge sembla étrangement mal à l'aise et un peu crispé.

Malgré la juxtaposition audacieuse des deux compositeurs, l'auditeur se retrouva devant une configuration très "classique" du récital : un choix de mélodies, un chanteur et son accompagnateur. Le cycle de Schubert s'inscrivait, lui, dans un schéma tout différent : celui d'un projet artistique singulier où pianiste et chanteur, soudain à égalité, formaient une équipe en pleine osmose, aboutissant à un véritable travail de chambristes, imprégné d'une absolue complicité.

L'ordre du programme initialement prévu ayant été inversé, ce fut Poulenc que nous entendîmes tout d'abord.

C'est peu dire que le français de Ian Bostridge est perfectible. Il est même, dans certains cas incompréhensible, en particulier dans les mélodies très rapides. Le ténor livre surtout un Poulenc vidé de son humour, qui transpire la mélancolie et le désespoir comme dans Montparnasse, et le sarcasme dans Hyde Park.

N'hésitant pas à utiliser la voix de fausset pour les Fêtes Galantes, d'une gaîté sinistre, Bostridge investit la musique de Poulenc et la fait entrer dans son univers qui est, comme on le sait, plutôt sombre (Il est l'auteur d'un mémoire sur l'histoire de la sorcellerie). De badin, Poulenc en devient inquiétant, une démarche qui, en soi, n'est pas dénuée d'intérêt et peut apporter un éclairage nouveau sur ces oeuvres relativement connues, mais qui, poussée à l'extrême, peut mener à un véritable contresens.

Bostridge possède une forte personnalité, certes, bien que son "étrangeté" semble parfois relever d'une impertinence étudiée, sinon d'un certain dandysme. Mais il manque à son interprétation ce qui fait le chic de Poulenc, son humour, sa vivacité et cette légère vulgarité, ce côté un peu coquin, gouailleur, tellement "français", qu'affectionne tout particulièrement Dame Felicity Lott, anglaise elle aussi, pourtant. Il est clair que le ténor ne peut ou ne veut pas connaître cette facette du compositeur, il l'escamote donc, la réfute. Poulenc peut être tragique et sublime - Le Dialogue des Carmélites, La Voix Humaine - mais également trivial en même temps que précieux, tout spécialement dans ses mélodies. Ne pas en tenir compte peut participer du dédain, d'un certain snobisme ; de toute façon, cette approche ne rend pas justice à l'esprit si particulier du compositeur.

L'admirable Tel jour, telle nuit annonce Wolf, en quelque sorte. On a, de fait, comparé ce cycle grave aux mélodies de Schumann. Il semble que contrairement à la première partie du programme - exception faite du célèbre Pont de C qu'il chanta fort bien - Bostridge se sente soudain en territoire plus familier. Cependant, son français n'est pas plus intelligible et c'est regrettable, car les textes d'Eluard sont sublimes. En mai 2002, dans le même théâtre, le baryton Simon Keenlyside, également britannique, en avait donné une interprétation autrement investie, et dans un français superbe, d'un naturel confondant.

Avec Wolf, les choses s'arrangent car, indiscutablement, le répertoire allemand convient mieux au ténor qui retrouve ce naturel qui lui avait fait défaut dans les premières pièces.

Les mélodies retenues font écho à Poulenc, mélangeant badinerie et mélancolie : Le Soldat, Le Matamore, Le Marin, L'Étudiant, autant de portraits hauts en couleurs et qui donnent de l'amour, de ses plaisirs et de la campagne au clair de lune une vision sarcastique et grinçante, comme si le chanteur avait voulu nous dire : "Vous voyez bien, tout cela participe de la même comédie lamentable et vaine, celle de la vie humaine, si dérisoire."

Bostridge était sans doute en méforme, comme en témoignaient sa nervosité en scène, certains aigus très tirés et une tendance marquée à chanter avec la bouche tordue, surtout en français. On le sait, cet artiste est indifférent au beau son et n'a que faire de l'image traditionnelle et belcantiste associée à la voix de ténor, une optique qu'on peut respecter puisqu'elle a fonctionné, et fort bien, en d'autres circonstances. Il n'empêche que l'impression globalement ressentie ce soir-là fut celle d'une certaine désinvolture à l'égard du public, et aussi envers lui-même, comme si être là ou ailleurs lui importait peu, une indétermination qui explique le manque de générosité, et, disons-le, de charisme de son récital.

En dépit de l'originalité du programme, nous sommes restés sur notre faim, d'autant que Julius Drake, accompagnateur raffiné mais discret, trop peut-être, manquait de l'autorité et du mordant dont avait fait preuve Leif Ove Andnes et qui aurait pu inciter le ténor à se donner davantage.

Il n'offrit qu'un seul et unique bis, le Clair de lune de Fauré, plutôt bien interprété, mais entaché, une fois encore, de défauts de diction plutôt gênants pour ce célébrissime poème de Verlaine.

La parution d'un disque de mélodies françaises avec Julius Drake au piano est annoncée et toute chose demeurant perfectible, on ne peut que souhaiter à Ian Bostridge d'approfondir à la fois l'étude de notre langue et celle de notre répertoire.
 
 

Juliette BUCH
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