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METZ
23/02/05
Damian Thantrey
© www.connaughtartists.com
Benjamin BRITTEN (1913-1976)
Death in Venice (Mort à Venise) (1973)
Opéra en deux actes
Livret de Myfanwy Piper d'après
la nouvelle de Thomas Mann
Nouvelle production de l'Opéra
de Metz
Direction musicale : Philip Walsh
Mise en scène : Vincent Vittoz
Décors : Eric Chevalier
Costumes : Dominique Burté
Lumières : Thierry Fratissier
Chorégraphe et assistante à
la mise en scène : Frédérique Leroy
Chef de chant : Jeremy Bines
Gustav von Aschenbach : John Hurst
Le voyageur / le vieux dandy /
le vieux gondolier / le directeur
de l'hôtel /
le barbier de l'hôtel / le chef
des Saltimbanques /
la voix de Dionysos : Damian Thantrey
Apollon : Roméo Cornelius
Tadzio : Valérian Antoine
et Patrice Moll, Yannick Adam, Hervé
Mathieu,
Czeslawa Kiciak, Thomas Roediger,
Jean-Sébastien Frantz, Valérie
Bousquet, etc.
Choeurs de l'Opéra de Metz
Orchestre National de Lorraine
Metz, mercredi 23 février
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Pour
son dernier opéra, commencé en 1971 et créé
au festival d'Aldeburgh le 16 juin 1973, Benjamin Britten ne quitte pas
ses thèmes récurrents. La mer devient ici la sourde menace
d'une lagune sombre, aux miasmes délétères, cadre
d'une descente inexorable et vénéneuse vers la corruption
et l'autodestruction. L'enfance, le désir, la pulsion homosexuelle,
l'obsession maladive, la prescience et la fascination de la mort, la possibilité
de l'innocence, l'exorcisme du mal, la place de l'artiste dans la société
: Benjamin Britten réunit dans son dernier opéra ses questions
les plus intimes, pour lesquels il a trouvé un correspondant idéal
dans le texte de Thomas Mann. Piper et Britten placent Aschenbach dans
le rôle central du narrateur, et la réalité que percevront
les spectateurs ne sera que celle qu'Aschenbach voudra bien leur laisser
voir, à travers le filtre de sa passion et de ses déchirements.
Écrivain solitaire, vieillissant, en panne d'inspiration, bardé
de convictions, Gustav von Aschenbach suit la course à l'abîme
que lui indique un groupe de personnages (le voyageur, un vieux dandy,
un vieux gondolier, le gérant de l'hôtel, le coiffeur, un
musicien et Dionysos lui-même), groupe qui n'est en fait qu'une seule
et même personne, la Mort, seul élément avec lequel
le vieil écrivain arrive à établir un dialogue. Tous
le mèneront vers une connaissance intime de lui-même bousculant
une à une ses convictions. Le jeune Tadzio, sa famille, ses camarades
de jeu, rôles dansés et mimés, mises en scènes
successives des fantasmes du narrateur, ne peuvent qu'être muets
pour le public, qui ne les perçoit qu'à travers le prisme
déformant du monologue mortifère d'Aschenbach. Tadzio est
un personnage dont l'étrangeté et l'immanence sont habilement
renforcés par le jeu d'orchestration de Britten (vibraphone) et
les contours statiques des thèmes qui lui sont attribués,
en contraste avec la mobilité fiévreuse du récit d'Aschenbach,
simplement accompagné du piano dans ses moments les plus introspectifs.
La complexité d'écriture musicale de Britten atteint ici
son paroxysme, mais aussi une acuité et une pertinence qui nécessiteraient
une longue analyse : pour exemples, ces monologues avec simple piano, déjà
mentionnés, ou cette splendide barcarolle qui ouvre la scène
3 du premier acte, rare moment d'illusion du bonheur avant qu'Aschenbach
ne comprenne que le vieux gondolier et sa gondole noire sont un signe de
la mort qui s'annonce. Ou encore l'indicible beauté des dernières
mesures, avec cette ultime réminiscence, immuablement séductrice
et victorieuse, du thème de Tadzio accompagnant la mort de l'écrivain.
L'orchestre de Metz, sous la baguette
de l'excellent Philip Walsh qui, l'an dernier, avait dirigé un mémorable
Powder
her Face de Adès, peine parfois à rendre ce dépouillement
éloquent. La seconde partie semble mieux maîtrisée,
ou ressentie. Les choeurs sont souvent sollicités pour de petits
rôles solistes.
Vincent Vittoz suggère, par
un plan incliné, un mât vertical, une rambarde et un plateau
tournant propice aux déplacements, une Venise fantomatique, irréelle,
trouble. Il choisit aussi de laisser chaque spectateur maître de
sa propre idée de la beauté, en masquant d'un voile léger
le visage de Tadzio, le rendant ainsi encore plus immatériel. Aschenbach
se dédouble parfois astucieusement, entre réalité
et ressenti. Le travail chorégraphique et les déplacements
scéniques sont efficaces, comme la mise en scène des fantasmes
de l'écrivain : lutte sportive, scène d'orgie. Vision d'une
grande acuité, sans concessions, que l'on n'appréhende bien,
s'il s'agit d'une découverte de l'opéra, que dans la seconde
partie. Aux côtés d'un John Hurst assumant mieux scéniquement
que vocalement le rôle écrasant d'Aschenbach, on remarque
un tonique Damian Thantrey endossant avec une caractérisation efficace
les rôles multiples.
Sophie ROUGHOL
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