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BREME
24/09/2006
Anne Sofie von Otter - Carmen
(© Glyndebourne 2002)
Georges BIZET (1838 – 1875)
CARMEN
Opéra-comique en quatre actes
Livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy
d’après la nouvelle de Prosper Mérimée
Carmen : Anne-Sofie von Otter
Don José : Sergej Khomov
Micaëla : Sophie Marin-Degor
Escamillo : Franco Pomponi
Dancaïre : Alain Gabriel
Remendado : François Piolino
Zuniga : Jérôme Varnier
Moralès : Boris Grappe
Frasquita : Judith Gautier
Mercedès : Claire Delgado-Boge
Chœur et chœur d’enfants du Musikfest Bremen
Les Musiciens du Louvre- Grenoble
Direction Marc Minkowski
BREME (Allemagne)
« MUSIKFEST BREMEN »
24 septembre 2006
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CARMEN A BREME OU LA DIVA AUX PIEDS NUS…
Plusieurs conditions étaient réunies pour que la
soirée de clôture de ce nouvel opus de
« Musikfest Bremen » soit réussie…
Tout d’abord l’histoire d’amour qui semble lier
Anne-Sofie von Otter à la ville de Brême, qui
l’invita pour la première fois en 1993 et où,
depuis, elle revient régulièrement. Cette année,
avant cette Carmen concluant
près de trois semaines de festival, elle avait
déjà donné le 15 septembre un
récital : « I let the music speak »,
reprenant son tout récent disque Abba.
Marc Minkowski, lui aussi très apprécié à
Brême, s’était également produit avec son
fidèle ensemble des Musiciens du Louvre dans un concert Mozart
et Haydn et un Haendel Gala dont la soliste était Vesselina Kasarova.
De plus, l’édition 2005 du Festival avait vu les
retrouvailles de Marc Minkowski et de la mezzo suédoise avec la
mémorable Grosse Nacht Musik.
Par les temps qui courent, on ne dira jamais assez le plaisir que
procure désormais une version dite « de
concert » un peu « mise en espace ».
D’autant plus que les chanteurs, délivrés des
partitions et des pupitres, peuvent entrer, sortir et jouer comme au
théâtre et que les choristes eux-mêmes, telles les
cigarières au moment de l’altercation de Carmen avec
l’une de ses collègues, n’hésitent pas
à envahir la scène lors de leurs interventions.
Cette conception présente également l’avantage non
négligeable de permettre à chaque chanteur de
s’exprimer dans son individualité et sa
personnalité et surtout d’éviter soit de surjouer,
soit, au contraire, de s’autocensurer, comme c’est souvent
le cas.
Le résultat est au finish
très vivant, très théâtral, malgré
l’absence de décors et d’accessoires, plus
palpitant, au bout du compte, que bien des mises en scène
ratées ou à demi réussies, car c’est la
musique – et elle seule - qui rythme l’action, le chef
devenant le grand ordonnateur de toutes les forces en présence.
Et quel chef !
Il y a quelques années, lors d’un concert privé,
Marc Minkowski et Les Musiciens du Louvre avaient donné des
extraits du chef-d’œuvre de Bizet, avec, parmi les
solistes, Aurélia Legay en Micaëla et Sylvie Brunet dans le
rôle-titre. Cette dernière le chantera d’ailleurs au
Théâtre du Châtelet lors de la série de
représentations qui auront lieu en mai 2007, dans la mise en
scène de Sandrine Anglade et sous la direction du même
Minkowski
Déjà, à l’époque, la lecture de ce
dernier était assez « décapante »,
poétique et très enlevée, se démarquant des
grandiloquences de bien des chefs pourtant réputés et
redonnant à l’œuvre ce caractère
« d’opéra-comique » qui était
le sien au départ, puisqu’elle fut créée
salle Favart en 1875. Là, il semble que sa conception soit
encore montée d’un cran : grande précision,
équilibrage parfait des chœurs et de l’orchestre,
mise en relief saisissante des scènes dramatiques ou tout
simplement théâtrales. On sent que Minkowski aime
passionnément cet opéra - il brandira la partition de Carmen
à la fin du concert, face au public enthousiaste - et que la
meilleure façon de lui rendre justice est d’en restituer
toutes les subtilités. Ce qui fut fait de manière
exemplaire, et rarement on aura entendu scène des arènes
plus vibrante, plus inquiétante aussi, où l’on sent
monter le drame comme dans les plus grands thrillers.
Il faut dire que, pour l’accompagner dans son entreprise,
Minkowski disposait d’un plateau des plus alléchants.
Anne-Sofie von Otter, enfin débarrassée des outrances de
certains metteurs en scène, est forte d’une
expérience on ne peut plus solide dans ce rôle.
L’ayant chanté en version de concert il y a plusieurs
années au Japon avec l’orchestre de l’Opéra
de Lyon, puis à Berlin avec Alagna en Don José et Abbado
à la tête de la Philharmonie de Berlin (un enregistrement
discographique existe, ainsi qu’une vidéo, non encore
publiée en France en DVD), puis en version scénique
à Glyndebourne en 2004 et, enfin, cet été,
à Santa Fé pour une longue série de
représentations, il est clair que la mezzo suédoise
possède le personnage à fond. Elle en développe
toutes les facettes, y compris les plus inattendues, avec une sorte de
gourmandise, un sens aigu du théâtre et aussi un certain
humour doublé de dérision.
Sa Carmen est déjantée, joueuse, insolente, un peu
désabusée, très personnelle, au bout du compte
autoritaire et assez narcissique. On se demande si elle n’est pas
plutôt amoureuse d’elle-même que de tous ces hommes
dont elle s’amuse comme d’autant de pantins. Mettant
perpétuellement sa vie en balance, jouant avec la mort et le
désir, elle se révèle très proche de Don
Juan, un Don Juan féminin, rebelle, en révolte contre la
société et le pouvoir masculin.
Vocalement, on s’en doute, le rôle ne lui pose aucun
problème, et elle donne à entendre des raffinements et
des subtilités auxquels on est peu accoutumé
désormais, surtout avec des voix plus larges et corsées.
Il va sans dire que sa diction en français est exemplaire, y
compris dans les dialogues parlés, même si elle a parfois
recours pour ces derniers, à l’instar de son partenaire
Don José, à de petits papiers comme aide-mémoire.
Pieds nus, vêtue au début d’une de ces tenues un peu
floues dont elle a le secret et qui rappellent des robes
d’intérieur, elle entrera en diva, toujours sans
chaussures, pour la terrible scène des arènes, ayant
revêtu cette fois une superbe robe de tulle noir incrustré
de strass, qui fait d’elle une sorte de jumelle d’Escamillo
également vêtu de noir, avec lequel elle forme
d’ailleurs un couple on ne peut plus séduisant.
Dommage que pour Franco Pomponi, baryton américain très remarqué dans le rôle de Penthée des Bassarides
au Théâtre du Châtelet en avril 2005, le ramage ne
soit pas toujours à la hauteur du plumage. Incontestablement, ce
chanteur est doté de moyens vocaux impressionnants et
d’une forte présence. Las, malgré son look de latin lover
très branché, il faut bien reconnaître que la voix
est souvent engorgée, le style assez discutable et le
français peu idiomatique, surtout confronté à ses
partenaires. On a envie de lui suggérer de prendre quelques
leçons avec von Otter…
En revanche, Sophie Marin-Degor en Micaëla livre une très
belle interprétation, et à l’applaudimètre,
ravit presque la vedette à la blonde Carmen. Son incarnation est
subtile, touchante, d’une sensibilité extrême, sans
mièvrerie aucune, le personnage est attachant et le tout
dénote un grand raffinement dans le style comme dans la langue,
aussi bien chantée que parlée.
Le ténor Sergej Khomov, originaire de Riga, campe un Don
José vaillant et bien chantant. Certes, il affiche parfois les
travers de certains ténors : main sur le cœur et
ports de voix… Mais justement, la voix, elle, est là,
puissante et bien timbrée, le chant est stylé et le texte
intelligible. Le personnage est également assez bien vu, sorte
de « pauvre type » désespéré
et dépassé par ce qui lui arrive et surtout par cette
Carmen impérieuse, plus forte que lui.
Tous les comprimari sont
excellents – et seraient tous à citer. On retrouve avec
plaisir Boris Grappe, entendu la saison dernière dans La veuve
Joyeuse salle Favart en Danilo, rôle qu’il reprend cette
année, et aussi François Piolino, remarquable Lucain du
mémorable Couronnement de Poppée d’Aix, également avec Minkowski et von Otter.
Si l’on ajoute que les chœurs du Musikfest sont
dotés de voix superbes et d’une excellente
musicalité, que l’orchestre sonne, comme à son
habitude, à la fois brillant, nerveux et suave, on ne sera pas
étonné que tous les artisans de cette belle soirée
reçoivent un accueil triomphal, avec standing ovation et déluge de bouquets.
Von Otter offrira le sien à deux femmes violonistes de
l’orchestre, non sans hésiter à
récupérer au passage une rose rouge dans laquelle elle
mordra à belles dents pour saluer. L’humour,
toujours…
On retrouvera avec plaisir Marc Minkowski, son orchestre, ses
chœurs et quelques uns des artistes présents, au
Théâtre du Châtelet, tout en regrettant cependant
que von Otter, qui a chanté Carmen
à travers le monde, ne le fasse pas, cette fois encore, à
Paris. Espérons que ce ne soit que partie remise…
Une chose est sûre en tout cas : la love story avec Brême n’est visiblement pas près de prendre fin…
Juliette Buch
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