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PARIS
12/05/2007
Sylvie Brunet (Carmen)
© DR
Georges BIZET (1838-1875)
CARMEN
Opéra-comique en quatre actes
Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy
D'après la nouvelle de Prosper Mérimée
Créé le 3 mars 1875 à l'Opéra-Comique
Production du Staatsoper Unter den Linden de Berlin
Direction musicale, Marc Minkowski
Mise en scène, Martin Kušej (remontée par Elena Tzavara)
Décors, Jens Kilian
Costumes, Heidi Hackl
Lumières, Reinhard Traub
Maquillages, Suzanne Pisteur
Carmen, Sylvie Brunet
Don José, Nikolai Schukoff
Micaëla, Genia Kühmeier
Escamillo, Teddy Tahu Rhodes
Frasquita, Gaële Le Roi
Mercédès, Nora Sourouzian
Le Dancaïre, Alain Gabriel
Le Remendado, François Piolino
Moralès, Boris Grappe
Zuniga, François Lis
Lillas Pastia, Micky Dedaj
Les Musiciens du Louvre-Grenoble
Choeur des Musiciens du Louvre-Grenoble
Chef de choeur: Christophe Grapperon
Choeur d'enfants Sotto Voce
Maîtrise de Paris
Chef de choeur: Scott Alan Prouty
Paris, Théâtre du Châtelet
Samedi 12 mai 2007
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Bunker, cadavres et petites culottes
Monter Carmen au
Châtelet était a priori une bonne idée, les
dimensions de ce théâtre étant plus proches de la
salle Favart où l'ouvrage fut créé que de
l'Opéra Bastille. Mais cette entreprise a connu quelques
vicissitudes avant d'aboutir. On avait d'abord entendu parler de
Gardiner et Antonacci, on a eu Minkowski et Brunet ; on avait
annoncé une mise en scène de Sandrine Anglade, et c'est
finalement la production de Martin Kušek créée
à Berlin en 2004 et récemment diffusée sur Arte
à laquelle on a eu droit en dernier recours. Si cette production
passe mieux au théâtre qu'à la
télévision, elle n'en demeure pas moins contestable
à bien des égards. Le décor est essentiellement
constitué de murs blancs en béton. Au premier acte, une
sorte de bunker à demi ensablé figure la manufacture de
tabac, au deuxième, la taverne de Lillas Pastia a des allures de
citerne autour de laquelle les figurants pataugent en
s'éclaboussant à qui mieux mieux. Au troisième, se
dresse au centre du plateau une église en ruines dans laquelle
Mercédès et Frasquita se livrent à des
ébats sexuellement explicites tandis que Carmen grimpe sur
l'autel, vêtue d'un voile bleu, telle une Madone de la
Renaissance. Comprenne qui pourra. Le dernier acte, enfin, se
déroule sur le plateau quasiment nu.
Que l'on veuille arracher Carmen au folklore espagnol de pacotille pour
lui donner une dimension plus universelle est une intention
louable ; Piero Faggioni avait magistralement relevé ce
défi à Edimbourg en 1977 (1).
Hélas, Kušek la plonge dans un univers glauque en totale
contradiction avec le livret et la musique, ne serait-ce que par le
traitement de l'héroïne. Ici, Carmen est une femme froide
et autoritaire, tout de noir vêtue. Or Bizet nous la
dépeint comme une femme libre, sensuelle et enjouée, qui,
au moins dans les deux premiers actes, croque la vie à pleines
dents et s'amuse.
Comme Faggioni, Kušek présente le drame sous forme de
flash back. On assiste en effet, pendant l'ouverture, à
l'exécution de Don José que l'on reverra lors des
dernières mesures. Dans l'intervalle, les morts se
succèdent: Don José tue sciemment Zuniga au deux et
involontairement Micaëla au trois. À la fin, tandis qu'il
poignarde Carmen, on voit passer sur un brancard le corps d'Escamillo
éventré par un taureau.
D'autre part, on retrouve ici le goût prononcé du metteur
en scène pour les sous-vêtements, comme dans son
récent Don Giovanni
salzbourgeois. Des femmes en culotte et soutien-gorge et des hommes en
caleçon peuplent la manufacture et la taverne,
transformées en autant de lupanars sordides. Si la mort et le
sexe sont bien sous-jacents dans cet ouvrage, fallait-il les montrer
d'une manière aussi triviale?
La distribution ne vient pas compenser notre déception, loin
s'en faut. Certes, Sylvie Brunet possède les moyens du
rôle et une diction exemplaire, son interprétation est
sobre et dénuée de toute vulgarité, mais n'en
demeure pas moins monolithique. Cette Carmen est bien trop ombrageuse
pour vraiment convaincre.
Nicolaï Schukoff est un Don José velléitaire
à souhait, voire craintif qui emporte l'adhésion aux deux
premiers actes, son air de la fleur notamment, couronné comme le
veut la partition par un aigu pianissimo,
est particulièrement émouvant. Cependant la fin du trois
et le quatre le montrent à court de puissance dramatique.
Voix engorgée et justesse approximative font de Teddy Tahu
Rhodes un Escamillo peu engageant, aux intentions pourtant louables
mais loin d'être abouties.
C'est finalement la délicieuse Micaëla de Genia
Kühmeier, au timbre clair et lumineux, qui procure les plus
grandes satisfactions vocales grâce à son incarnation
juste et sensible.
Des seconds rôles, dans l'ensemble bien tenus, se
détachent le Zuniga de François Lys et l'espiègle
Frasquita de Gaële Le Roi.
Au pupitre, Marc Minkowski propose une lecture particulièrement
renouvelée de l'ouvrage. Notons qu'il est donné ici dans
son intégralité : les passages traditionnellement
coupés sont rétablis et toutes les reprises sont
exécutées. La version choisie est celle de la
création avec les dialogues parlés. Le chef
français tire de son orchestre de somptueuses couleurs et
excelle à souligner toutes les richesses de la partition: le
choeur des cigarières "Dans l'air nous suivons des yeux la
fumée" est un moment miraculeux tout comme le prélude du
troisième acte. Mais Minkowski n'échappe pas toujours
à une certaine brutalité qui lui est coutumière,
l'air d'Escamillo, martelé à l'excès, en fait les
frais. En revanche, la scène finale, menée à un
train d'enfer, est dramatiquement l'une des plus saisissantes qu'on ait
entendues. On aimerait réécouter cette direction
orchestrale dans un autre contexte.
Christian PETER
(1) Cette production mémorable sera
reprise à l'Opéra-Comique en 1980 avec Teresa Berganza,
Placido Domingo, Ruggero Raimondi et Katia Ricciarelli sous la
direction de Pierre Dervaux.
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