Les opéras de Haendel
sont généralement basés sur des histoires tarabiscotées,
de luttes et d'intrigues pour le pouvoir, le tout dans une atmosphère
exotique, antique (ou les deux à la fois). Giulio Cesare
ne déroge pas à cette règle puisqu'il raconte en 3
heures de musique les amours de César et Cléopâtre,
et leur lutte contre Ptolémée autour du trône d'Egypte.
D'un autre côté, l'aspect totalement conventionnel de la succession
des arias nécessite de la part de metteurs en scène beaucoup
d'inventivité pour donner corps à ce superbe défilé
musical, sans donner la (fausse) impression d'écouter de la musique
au kilomètre.
Cette "nécessaire"
liberté nous a donné l'occasion d'apprécier des spectacles
remarquables ces dernières années comme le Rodelinda
du Châtelet, l'Agrippina du Théâtre des Champs-Élysées
ou l'Alcina de Garnier. Sans atteindre le niveau de perfection de
ces productions, la reprise de la mise en scène de Nicholas Hytner
est de bonne qualité et permet d'oublier l'échec de l'Ariodante
de Jorge Lavelli, victime d'un manque total d'inspiration.
Le choix de Hytner tire volontairement
du côté d'une bande dessinée anachronique, où
se mélangent éléments de l'Egypte ancienne et costumes
du 18e siècle, vamps hollywoodiennes et femmes voilées type
"taliban", crocodiles en plastique et derricks. Certes, tout n'est pas
du meilleur goût et certains effets sont ratés (c'est le cas
des crocodiles et des cactus), mais l'ensemble est cohérent, parfois
drôle, parfois émouvant et la direction des chanteurs se signale
par un vrai sens dramatique. On ne s'ennuie pas. Certes, on ne retrouve
pas la perfection d'un Rodelinda, mais balayer d'un revers de la
main le travail du metteur en scène serait de très mauvaise
foi.
Le succès de la soirée
s'explique aussi par la distribution, homogène et de qualité.
On pouvait avoir peur du remplacement de David Daniels par Flavio Oliver.
Les craintes étaient sans fondement : la voix est belle, homogène
et vaillante et la projection certainement plus assurée que celle
de Daniels (selon les témoins de la première représentation).
Aurions-nous gagné au change, finalement ? Dans le même registre,
Bejun Metha est un excellent Ptolémée. Sa voix, plus colorée
que celle d'Oliver, lui permet de camper un méchant plein de veulerie
et de lâcheté. La Cléopâtre de Danielle de Niese
est d'une rouerie réjouissante, en adéquation avec la vision
de Hytner qui fait d'elle une " coquine ", une vision cohérente,
compte tenu de la couleur musicale souvent espiègle et légère
de ses airs. On peut cependant regretter une voix, certes facile, mais
pauvre en nuances, ce qui réduit la portée émotionnelle
des airs dramatiques, notamment du fameux "Piangero". Elle n'est certainement
pas l'interprète idéale pour un enregistrement ou une diffusion
radiophonique. Elle n'arrive pas à faire oublier l'éclatante
Cléopâtre de Maria Bayo qui avait enthousiasmé le public
lors de la précédente reprise de cette production ; mais
qui aurait pu la faire oublier ? Par contre, Anne Sofie Von Otter et Stephanie
Blythe sont parfaites. Leur duo est un des sommets de l'opéra et
un des moments forts de cette soirée. On peut émettre davantage
de réserve sur le reste de la distribution, notamment les seconds
rôles : Franck Leguérinel, dont la volonté de paraître
méchant est excessive et enlaidit la voix, ainsi que Dominique Visse,
qui fait preuve d'une technique excellente, mais en fait des tonnes dans
son air.
Le grand héros de
l'applaudimètre, ce fut (cela devient une habitude) Marc Minkowski,
avec sa direction nerveuse et enlevée (toujours une habitude !).
Ses tempi étaient parfois rapides (qui l'eut cru ?), surtout
comparés à ceux de Jacobs, mais ils n'ont jamais mis en danger
les chanteurs, ce qui démontre certainement un travail préparatoire
efficace ainsi qu'une parfaite maîtrise des rôles.
Bref, une très bonne
soirée et... sans attentat sonore !
Bertrand Bouffartigue