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PARIS
25/12/2007
Benjamin Levy
© DR
Emmanuel Chabrier (1841-1894)
Bourrée fantasque
(1891)
Orchestration nouvelle de Thibault Perrine
Fisch-Ton-Kan
Opérette en un acte (1873)
d’après Fisch-Tong-Kan ou l’Orphelin de la Tartarie,
parade chinoise en un acte de Sauvage et Lurieu
Paroles de Paul Verlaine
Orchestration nouvelle de Thibault Perrine
Texte de liaison de Jérôme Deschamps
Goulgouly : Jennifer Tani
Fisch-Ton-Kan : Vincent Ordonneau
Poussah, Kakao LXII : Ronan Nédélec
Une Education manquée
Opérette en un acte (1879)
Livret de Leterrier et Vanloo
Gontran : Jennifer Tani
Hélène : Olivia Doray
Pausanias : Ronan Nédelec
Orchestre de chambre Pelléas
Direction musicale : Benjamin Lévy
Paris, Opéra-Comique, 25 décembre 2007
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Chabrier con fuoco
Outre un choix de titres enthousiasmant, la programmation exemplaire de
l’Opéra-Comique nous vaut, autour de chaque production
lyrique, un petit festival de concerts, récitals et
conférences aux formats et aux horaires variés, sur un
thème en rapport avec l’opéra à
l’affiche. Voilà bien, à n’en pas douter, la
meilleure façon de faire (re)vivre un théâtre !
Donné juste après les représentations de L’Etoile, le concert de Noël s’ouvrait avec la Bourrée fantasque,
écrite initialement pour piano, mais que Chabrier avait
commencé à orchestrer. L’incontournable Thibault
Perrine a terminé le travail d’après les esquisses
du compositeur avec son talent coutumier, en la parant avec un
goût très sûr des couleurs tour à tour
clinquantes et sensuelles qui sont la marque, si savoureuse, de
l’orchestre du maître. Les musiciens du jeune Orchestre de chambre Pelléas se montrent à la hauteur de la tâche.
Rareté absolue également orchestrée par Perrine pour cette soirée, Fisch-Ton-Kan, délirante chinoiserie dans la lignée du Ba-ta-clan
d’Offenbach et dont les paroles farfelues sont dues à rien
de moins que Verlaine, qui culmine dans un grandiose trio-bouffe.
L’ouvrage est donné sans dialogues, mais avec un texte de
liaison écrit et lu, avec une sobre truculence, par Jérôme Deschamps lui-même.
Une Education manquée
est déjà mieux connue, mais on s’étonne que
ce bijou ne soit pas plus souvent donné, tant la musique en est
belle et le livret efficace. Leterrier et Vanloo, qui avaient
déjà signé celui de L’Etoile,
se montrent ici plus spirituels, les mésaventures du jeune et
innocent Gontran de Boismassif le soir de son mariage faisant encore
rire aujourd’hui, sans basculer dans la gaudriole facile.
Chabrier déploie un lyrisme raffiné et une
sensualité à fleur de notes très en situation,
sans négliger l’aspect bouffe avec le grotesque
précepteur Pausanias, érudit dans tous les domaines de la
science… sauf celui où son élève, ce
soir-là, aurait besoin de ses lumières ! Ce concert a
permis aux amoureux de l’œuvre de découvrir une page
superbe… et semi-apocryphe : l’air
d’Hélène, ajouté en 1924 par Darius Milhaud (1),
que ni Liliane Berton, ni Brigitte Desnoues n’avaient
enregistré dans les deux disques disponibles (2) - exquise romance
mélancolique et langoureuse qui s’intègre
parfaitement dans la partition.
La distribution réunit quatre chanteurs prometteurs aux voix
fraîches et précises, sachant déjouer les
pièges de phrasé et d’élocution que posent
les rythmes alambiqués de Chabrier, et que le cadre du concert
n’empêche pas d’incarner leur personnage - même
si un vrai travail théâtral aurait donné encore
plus de vie et de justesse aux dialogues parlés : la mezzo Jennifer Tani, séduisante Goulgouly (en robe longue) puis Gontran de belle prestance (en habit), la soprano Olivia Doray, fine Hélène, le baryton Ronan Nédelec, Poussah et Pausanias pleins de brio, et le ténor Vincent Ordonneau, qui négocie avec sûreté la tessiture difficile de Fisch-Ton-Kan.
On gardait un bon souvenir des prestations de Benjamin Lévy
dans les opérettes montées ces dernières
années à l’Athénée par la compagnie Les Brigands
; ce concert, où le chef, sur la scène et dans une
musique plus savante, est bien plus à découvert, aura
permis de prendre la pleine mesure de son talent. Lévy
s’immerge dans la musique de Chabrier avec une visible et
communicative jubilation. Très investi physiquement, soutenant
amoureusement ses chanteurs et ses instrumentistes, le jeune chef
dirige de manière quasi-chorégraphique, avec un
mélange impressionnant d’énergie et de souplesse,
de théâtralité et de précision, qui enflamme
les deux derniers duos de l’Education manquée
où les chanteurs donnent le meilleur d’eux-mêmes.
Après cette prestation, on attend maintenant l’orchestre
Pelléas et son chef deux mètres plus bas… dans la
fosse de l’Opéra-Comique.
Geoffroy BERTRAN
Notes
(1) : Cf. Roger Delage, Emmanuel Chabrier
(Fayard) : Milhaud, pour une reprise de la pièce par la
compagnie des Ballets russes à Monte-Carlo et au
théâtre des Champs-Elysées sous la direction de
Messager, a composé des récitatifs et
récupéré à l’intention
d’Hélène une romance inédite de la jeunesse
de Chabrier, Couplets de Mariette, avec de nouvelles paroles de
René Chalupt.
(2) : Avec Jane Berbié et
Jean-Christophe Benoît, direction Jean-Claude Hartemann, pour la
1e (EMI 1965) ; avec Mireille Delunsch et Jean-Louis Georgel, direction
Roger Delage, pour la seconde (Arion 1992).
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