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METZ
15/11/2007
Jacques Mercier
© DR
Benjamin BRITTEN
Sinfonia da Requiem
Dmitri CHOSTAKOVITCH
Symphonie n°13 « Babi Yar »
pour basse, chœur d’hommes et orchestre
Anatoli Kotcherga, basse
Chœur d’Hommes de Budapest
Orchestre National de Lorraine
Direction Jacques Mercier
Metz, Arsenal, 15 novembre 2007
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Noir c’est noir
Jacques Mercier, le directeur musical de l’Orchestre National de Lorraine, a le don de concocter des programmes qui sortent de l’ordinaire des formations symphoniques.
Ainsi, l’an dernier, nous nous précipitions à Metz
pour un programme Sibelius qui présentait la rarissime symphonie
vocale Kullervo.
Après avoir proposé la saison dernière la 7° et la 11°, Jacques Mercier nous offrait ce soir le bonheur d’entendre la 13° symphonie de Chostakovitch, œuvre trop rare et pourtant magnifique, sans doute l’une des plus noires et pessimistes de son auteur.
Construite en 5 mouvements, elle fait intervenir dans chacun
d’eux un chœur d’hommes et une basse soliste. Les
textes, superbes, du poète Evgueny Evtouchenko (et oui,
l’art soviétique a créé des
chefs-d’œuvre !) crient leur russisme avec un
mélange de noirceur, de réalisme de l’époque
stalinienne,
Nous
n’avions peur ni de bâtir dans les tourmentes, ni
d’aller au combat sous les obus, mais parfois, nous avions une
angoisse mortelle de parler, même de parler tout seul.
Et
moi qui écris ces lignes, parfois, sans le vouloir, trop vite,
j’écris, hanté par la seule peur de ne pas
écrire avec toute ma force.
et de satire, de dérision
Ils ont voulu tuer l’humour, mais l’humour leur a fait la nique !
Mais plus largement, ces textes intenses sont le symbole de toutes les oppressions.
Staline étant mort (la symphonie date de 1962) et le
dégel de Kroutchev ayant commencé, Chostakovitch pouvait
se permettre d’utiliser une telle prose, cependant, la
création de l’œuvre ne fut signalée que par
une seule ligne dans La Pravda et la symphonie ne fut jouée
qu’une seule fois du vivant du compositeur !...
L’intérêt de cette symphonie n’était
pas le seul atout du concert car l’autre œuvre au programme
était la non moins rare Sinfonia da Requiem de Britten,
partition de jeunesse extrêmement originale (une messe sans
texte) et qui fait montre de tout le génie du compositeur :
tout y annonce ses plus grandes compositions, comme si ce cet artiste
avait trouvé sa voie, son style, ses outils dès
l’âge de 26 ans. Véritablement
« amazing ».
Ces deux œuvres formaient un programme bien sombre, mais
après tout, on ne va pas au concert pour rigoler et
l’intensité de ces partitions réserve des moments
stupéfiants, d’une profondeur et d’une noirceur
sidérantes qui hantent encore après le concert.
Pourtant, d’intensité, la direction de Jacques Mercier en manque parfois. On souhaiterait que la Sinfonia
de Britten soit plus habitée, notamment dans le premier
mouvement, très statique, mais qui ici peine à trouver
son rythme. Le deuxième mouvement, en forme de scherzo,
peine lui aussi à se mettre en marche mais cette fois du fait de
quelques décalages. Le chef se rattrape avec le 3° mouvement
auquel il donne des couleurs presque malhériennes mais
l’ensemble manque cependant de l’impact que réclame
la partition.
On regrettera les mêmes défauts, les mêmes absences
dans la 13° de Chostakovitch. Une direction pas assez incisive,
souvent - trop - rapide (c’est le pêché mignon de
Mercier, nous le regrettions notamment dans Kullervo
l’an dernier). Ainsi, on déplore la faiblesse du souffle
dans l’extraordinaire fin du premier mouvement qui ne
« décolle » pas tandis que
l’étouffant 4° mouvement
« Terreurs », avec son solo de tuba - ici
magnifiquement joué, manque quant à lui d’un peu de
poids.
Les mouvements rapides sont plus réussis, notamment le
deuxième, et le merveilleux dernier mouvement fait l’objet
de soins particuliers de la part du chef, notamment la coda
évanescente, qui sonnerait presque comme un espoir.
Malheureusement, ce climat est détruit par des toux insistantes
du public qui excèdent Jacques Mercier qui, après la
dernière note - pardon, la dernière toux - en ferme avec
colère sa partition. Nous ne pouvons que lui donner raison.
L’incorrection de certaines personnes qui toussent à gorge
déployée dans les moments les plus calmes est absolument
sidérante. L’incident récent qui s’est
déroulé au Théâtre des Champs Elysées
(une annonce dut être faite en début de deuxième
partie pour indiquer que les artistes se plaignaient des toux et autres
bruits du public) ou celui du concert de Keith Jarrett à
Pérouse en Italie en juillet dernier (qui s’en est pris
directement au public qui ne cessait de le photographier et de le
filmer alors qu’une annonce venait justement d’être
faite rappelant que cela était interdit), les forums qui
s’exaspèrent de plus en plus de telles pratiques, tout
cela montre un ras le bol des spectateurs et des interprètes et
tend à prouver que le public a besoin d’être
littéralement éduqué en la matière.
Après ce « coup de gueule », revenons-en au concert, et notamment à la partie vocale.
Le chœur invité était le Chœur d’hommes
de Budapest - qu’on aurait peut-être souhaité plus
fourni. Il montre cependant une belle vaillance et une belle couleur
sans égaler l’exceptionnel Chœur d’hommes
« The Polytech Choir » d’Helsinky que
Jacques Mercier avait invité l’an dernier pour Kullervo de
Sibelius.
En revanche, c’est bien par le même adjectif
d’exceptionnel qu’il faut qualifier Anatoli Kotcherga qui
nous gratifia d’une interprétation exemplaire de la partie
de basse de cette symphonie. Le chanteur fut ce soir d’une grande
sobriété, ce dont il s’éloigne parfois trop
à l’opéra s’il n’est pas assez
dirigé. Tour à tour complètement habité,
terrifiant, drôle, menaçant, avec sa présence
écrasante et ses immenses dons de comédien (nul ne peut
oublier son grandiose Boris Godounov avec Abbado à Salzbourg),
il captive de bout en bout. On a aussi plaisir à retrouver une
voix saine (même si l’aigu est le plus souvent très
couvert), loin du délabrement que de précédentes
prestations à Bruxelles ou Munich avaient laissé
craindre. La manière de jouer avec le timbre, les couleurs, la
puissance est unique et rend ce chanteur absolument étonnant et
parfait pour ce répertoire. Un grand moment donc.
Signalons enfin un programme aux textes très soignés et
particulièrement intéressants, écrits en
collaboration avec la LICRA (Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme) qui parrainait ce concert.
Pierre-Emmanuel LEPHAY
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