La
Clémence de Titus, opera seria composé par Mozart
en même temps qu'il écrivait La Flûte Enchantée,
n'est pas une oeuvre facile à monter. Le livret, inspiré
de l'histoire romaine, présente des personnages aux sentiments ambigus
et subtils, en proie au doute, au repentir et à différentes
tensions intérieures peu sujettes à des représentations
scéniques ; l'action elle-même se réduit à très
peu de chose, et encore n'est-elle pas tant montrée que simplement
racontée ; la description des états d'âme des protagonistes
et leurs revirements successifs tiennent la plus grande place.
Il faudrait donc, pour réussir
cette périlleuse entreprise, une conviction forte, une conception
originale et personnelle, un parti pris qui sont ce qui manque le plus
à la réalisation de Lukas Hemleb. Le spectateur a sans cesse
le sentiment qu'il ne se passe rien, que l'action est toujours à
venir. La mise en scène ne rend pas les tensions du livret, les
rapports des personnages entre eux - pourtant particulièrement soignés
par Mozart, qui entrecoupe les récits de petits duos, de trios délicieux
- ne sont qu'esquissés et la direction d'acteurs se limite bien
souvent à faire chanter debout face au public des airs, il est vrai,
d'une redoutable difficulté technique. L'ennui guette rapidement
le spectateur.
Le spectacle n'est pourtant pas dépourvu
d'intérêt ; le metteur en scène réussit quelques
très beaux tableaux d'ensemble (magnifiques éclairages latéraux
de Xavier Baron) inspirés des peintres de la Renaissance.
© Elizabeth Carecchio
Au plan musical, la partition comprend
de nombreux et longs récits, composés en fait par Süssmayr,
un élève doué de Mozart à qui, faute de temps
pour s'y consacrer lui-même, il avait confié cette tâche
mineure. Le problème est que ces récits déjà
peu inspirés sont ici ralentis à l'extrême, saucissonnés
comme pour en déguster chaque mot, une mauvaise idée venue
du monde du théâtre, et qu'aucun détail de mise en
scène ne justifie. On y perd le côté rebondissant,
la dynamique rythmique absolument indispensable pour maintenir en éveil
l'attention des spectateurs. Des ruptures gênantes interviennent
à chaque enchaînement d'un nouvel aria, où l'on retrouve
la dynamique propre à Mozart.
La distribution est homogène
et soignée, et comprend quelques très belles voix, à
commencer par celle de Kristine Jepson, mezzo américaine qu'on avait
entendue il y a quelques années en Octavian
à la Monnaie, et qui chante ici un Sesto très émouvant,
se jouant de toutes les difficultés techniques, et particulièrement
applaudie par le public dans le fameux air avec clarinette "parto, parto".
L'autre mezzo de la distribution, la Française Stéphanie
d'Oustrac, moins aguerrie mais très musicienne, campe un Annius
crédible et attachant. Le rôle redoutable et peu sympathique
de Vitellia est chanté par la soprano bulgare Krassimira Stoyanova,
qui assure une remarquable prestation et vocalise à la perfection.
Amel Brahim Djelloul, jeune soprano née à Alger et formée
en France, chante Servilia avec une petite voix tendre et beaucoup de fraîcheur.
Quant au rôle de Publio, il est tenu par le jeune baryton Luca Pisaroni,
véritable révélation de cette production : timbre
particulièrement riche et chaud, justesse et diction parfaites,
beaucoup de présence scénique, un chanteur dont on reparlera
sûrement. Seule déception de cette distribution, mais elle
est de taille, le Titus de Kresimir Spicer, ténor croate sans doute
en méforme vocale ce soir-là, qui ne réussit pas à
rendre la majesté ni la complexité d'un rôle pourtant
essentiel à la compréhension de toute l'oeuvre.
Dans la fosse, Paul Daniel et le Mahler
chamber Orchestra assurent aux chanteurs un soutien de qualité.
Soulignons également la bonne prestation du choeur Arnold Schoenberg.
Claude JOTTRAND
Festival d'Aix-en-Provence, le 14
juillet 2005
Jusqu'au 24 juillet 2005 dans la
cour de l'Archevêché, et ensuite au Grand Théâtre
de Luxembourg et au Festspielhaus de Baden-Baden.