Entendre
Roberto Devereux à Paris est déjà en soi un
événement, tant il est vrai que les oeuvres du Maître
de Bergame, Lucia et L'Elisir exceptés, semblent peu
prisées par les directeurs de maisons d'opéras de la capitale.
Créé à Naples
en 1837 avec grand succès, l'ouvrage est rapidement repris dans
les principales villes italiennes avant d'être monté un peu
partout en Europe. Paris l'entendra en 1838 au Théâtre des
Italiens avec Giulia Grisi dans le rôle-titre. Puis ce sera New-York,
La Havane, Buenos Aires... Affiché régulièrement jusque
dans les années 1880, il disparaît ensuite du répertoire
comme tant d'autres partitions appartenant à la même esthétique.
Il faudra attendre les années
60 et la fameuse "Donizetti renaissance" initiée en 1957 par Callas
avec Anna Bolena , pour que Roberto Devereux revoie les feux de
la rampe. Leyla Gencer sera la première interprète moderne
d'Elisabetta à Naples en 1964. Montserrat Caballé lui emboîtera
le pas et chantera le rôle aux Etats-Unis et à Venise avant
les représentations triomphales du Festival d'Aix-en-Provence en
1977, aux côtés de José Carreras. Beverly Sills à
son tour l'inscrira à son répertoire et en gravera la première
intégrale en studio.
De nos jours, Edita Gruberova a repris
le flambeau, Vienne et Barcelone notamment l'ont affichée dans cet
opéra au cours des dernières saisons.
Remplaçant au pied levé
Darina Takova souffrante, Maria Pia Piscitelli a la lourde tâche
d'incarner ce personnage redoutable sur la scène du Théâtre
des Champs-Elysées et s'en tire plus qu'honorablement. Le rôle,
en effet, réclame un soprano au medium large et au grave solide,
capable d'incursions dans l'aigu et rompu à la technique belcantiste.
La cantatrice italienne ne possède qu'en partie les moyens requis
: sa voix au timbre corsé est bien projetée, la ligne de
chant est élégante mais l'aigu, émis un peu bas, semble
lui poser quelques problèmes en début de soirée, imputables
au trac, sans doute. Si les vocalises sont habilement négociées,
le trille, en revanche, a paru inexistant. Son Elisabetta est une femme
amoureuse et meurtrie à qui il manque encore l'autorité d'une
souveraine et cette aura qui fait les grandes interprètes du rôle.
On lui saura gré d'avoir sauvé la représentation et
de nous avoir offert une scène finale particulièrement émouvante
qui a emporté l'adhésion du public.
A ses côtés, Enkelejda
Shkosa campe une Sara d'une insolence vocale impressionnante. L'ampleur
des moyens et la caractérisation évoquent davantage l'Amneris
verdienne que la douce héroïne voulue par Donizetti, cependant,
le personnage parvient à émouvoir même si la cantatrice
se montre par moment quelque peu fâchée avec la justesse.
Laurent Naouri confère au rôle
ingrat de Nottingham une stature inhabituelle. Il parvient même à
rendre touchant ce personnage de mari trompé dont la vengeance sera
implacable. La voix est saine et généreuse et la diction
impeccable. Sa grande scène avec Sara au début du troisième
acte est particulièrement convaincante mais force est de reconnaître
que le style inhérent à cette musique semble pour l'instant
lui échapper.
Le style en revanche ne fait pas défaut
à Stefano Secco qui est le grand triomphateur de la soirée.
Doté d'un timbre séduisant et d'une technique solide, il
se révèle le meilleur Roberto qu'on ait entendu depuis Carreras.
Son incarnation culmine dans la grande scène de la prison au deuxième
acte où son chant raffiné et son implication dramatique seront
salués par une longue ovation amplement méritée. Une
interprétation qui fera date et laisse augurer de beaux succès
pour ses Rodolfo et Gabriele Adorno qu'il incarnera cette saison à
l'Opéra Bastille.
Evelino Pido' défend avec
conviction et enthousiasme cette partition qu'il nous offre dans son intégralité
: aucune reprise ne manque et l'oeuvre y gagne en cohérence et tension
dramatique. Sa direction souple et nerveuse se révèle d'une
très grande efficacité mais n'exclut pas cependant quelques
brutalités, notamment à la fin de l'ouverture, le morceau
le plus faible, musicalement, de l'ouvrage. Soulignons la belle prestation
de l'Orchestre et des choeurs de l'Opéra de lyon.
Des réserves, certes, qui ne
sauraient gâter le plaisir d'entendre une oeuvre rare et attachante
recelant de nombreuses pages d'une haute inspiration mélodique.
Le TCE nous promet dans les saisons à venir d'inviter les deux autres
reines donizettiennes, on ne peut que s'en réjouir.
Christian PETER