C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
LYON
20 & 24/09/05
Roberto Secco 
© www.stefanosecco.altervista.org
ROBERTO DEVEREUX

Gaetano Donizetti

Elisabetta, Maria Pia Piscitelli
Roberto Devereux, Stefano Secco
Le duc de Nottingham, Laurent Naouri
Sara, Enkeljeda Shkosa
Lord Cecil, Bruno Lazzaretti
Sir Gualtiero Raleigh, Enrico Turco
Un Page, Paolo Stupenengo
Un Familier de Nottingham, Paolo Stupenengo

Orchestre et Choeurs de l'Opéra de Lyon
Evelino Pido

Opéra de Lyon, version de concert,
les 20 & 24 septembre 2005

Lire également la critique des représentations à Paris

Après Maria Stuarda et Anna Bolena, Roberto Devereux, créé en 1837, clôt l'épisode "historiciste" anglais de la carrière de Donizetti. C'est donc par la fin que l'Opéra de Lyon entreprend sa trilogie des "reines Tudor", avec cet ouvrage longtemps méconnu qui ouvre sa saison. Et l'on applaudit des deux mains tant l'oeuvre est excitante.

Relativement court (trois actes en à peine plus de deux heures), resserré sur une action simple et sans réelles ramifications, l'opéra se concentre autour du traditionnel triangle amoureux formé par Elisabeth, Roberto et Sara. L'histoire est même plus un prétexte (l'expression d'un "air du temps" romantique aussi, habitué depuis Walpole et Scott, aux paysages anglais) qu'une fin en soi dans ce contexte. L'action s'attache surtout à révéler les âmes, à sonder les coeurs ; le chant porte les affects, les brisures ; la voix exulte ou pleure ; le silence même est vecteur de drame.

C'est que le personnage central de l'oeuvre (contrairement à ce qu'en laisse entendre le titre), l'historique reine Elisabeth, affiche ici l'une des psychologies les plus affinées du répertoire belcantiste, ni demi-folle ni simple vierge pure. C'est une âme violente et violentée, cruelle, duale, sanguinaire ; c'est aussi (surtout) une femme brisée, un coeur dont la fureur vengeresse est le révélateur ultime de sa détresse, son dernier rempart aussi. Parangon d'humanité souffrante et troublée, Elisabeth recueille des pages parmi les plus extraordinairement belles de Donizetti comme la scène finale épuisée, abandonnée après les éclats des actes précédents et les emportements du premier duo avec Roberto au I.

Dans ce contexte de dissection chirurgicale des âmes et des sentiments, le choeur ne fera que des apparitions formelles, trop "pluriel" pour s'insérer vraiment dans une action où l'être ne compte que par son essence même. L'orchestre aura peut-être plus de chance malgré le paradoxe apparent de son désengagement, de sa neutralité. Point d'obligato ici ; point de cor anglais comme dans Bolena ; point de flûte/glassharmonica comme dans Lucia, mais, au contraire, une présence continue, scrutatrice, froide même comme peut l'être celle d'un miroir. Evelino Pido a bien compris l'urgence du drame, depuis l'ouverture qui emporte comme une lame de fonds, véhémente. Le jeu de l'orchestre, son talent aussi réside dans une scansion perpétuelle de l'oeuvre, dans une lecture horizontale de la partition privilégiant l'action pure. C'est qu'il ne s'agit pas ici de chercher des couleurs, des tensions harmoniques, des subtilités que Donizetti n'a pas mises entre les lignes de son papier réglé. Aussi monolithique fût-il, le tissu orchestral tendu par Pido relève avec panache, avec génie même, le défi d'une théâtralité permanente. De cette joute, l'ouvrage sort incontestablement magnifié.

Les Grisi, Tamburini, Rubini se sont illustrés sur cet échiquier complexe qu'est Roberto Devereux. Beaucoup ont même vu s'affirmer ici le quatuor vocal amené à triompher dans les oeuvres de Verdi. C'est dire les enjeux, les pièges aussi dont regorge la partition. Quelles seront les satisfactions du plateau réuni par l'opéra de Lyon ?

Maria Pia Piscitelli remplace Darina Takova défaillante. Les deux voix s'opposent et sans doute les conceptions aussi. La titulaire du rôle d'Elisabeth affirme un beau tempérament, un timbre solide, corsé, le format général d'une belle Abigaïlle. Sans avoir ni la pugnacité d'une Sills ni la parfaite palpitation d'une Gencer, la phrase reste toujours intelligemment menée (même si la projection reste généralement un peu faible), l'ornementation de la cabalette du I très finement détaillée. L'artiste a par ailleurs les défauts de ses qualités : si le timbre est chaud, le grave corsé, l'aigu lui, passe souvent à l'arraché, rompant la ligne de chant. D'une manière générale, Maria Piscitelli reste toujours un peu en deçà des exigences dramatiques de son rôle, dans la fureur comme dans l'élégie, et il faudra attendre la scène finale, vibrante et presque rude, pour que son interprétation s'impose avec la force de l'évidence.

C'est qu'elle souffre (comme Roberto d'ailleurs) du voisinage de la Sara d'Enkeljeda Shkosa. Non pas que l'incarnation de cette dernière soit irréprochable. Le mezzo monte un peu trop vaillamment au créneau, avec la grâce d'une dame de la halle, d'une guerrière caparaçonnée, voix torrentielle, émission conquérante. Etre confronté à cette Sara-là est un combat permanent pour exister. Pour toutes ces raisons Shkosa déçoit. Prise ainsi à bras-le-corps, Sara perd paradoxalement de sa crédibilité. Volcanique, trop univoquement installée dans un forte instable et en fin de compte simplement trop mature pour le rôle, l'incarnation dérange par son jusqu'au-boutisme permanent.

La palme reviendra alors aux hommes de la distribution. Stefano Secco donne ainsi un Roberto ardent, fiévreux, mais aussi subtilement phrasé (le duo du I avec Sara porté par un souffle allant jusqu'au bout de la nuance). La voix n'est pas véritablement chargée en harmoniques, sans rondeur mais d'une puissance, d'une virulence étonnantes. Son investissement, enfin, est simplement magistral pour une scène de la prison, au III, d'une dynamique profuse, parcourant toute la gamme des affects, déchirante et vocalement superlative.

Laurent Naouri, pour finir, laissera le souvenir le plus indicible de la soirée. Tout est là pour laisser un Nottingham de référence. La nuance est infinie ; l'ambitus simplement titanesque, incroyable ; le phrasé est d'un barde ; l'autorité du mari jaloux, bafoué comme la profonde humanité de l'ami meurtri percent, suintent de chaque note. On sent poindre le Posa idéal des dix années à venir et l'on en vient à se dire que l'on tient là un belcantiste d'exception, incontournable... et partant, cruellement sous-employé !

Au final, la nouvelle trilogie lyonnaise s'annonce sous des auspices prometteurs. Et si les productions à venir affichent encore des figures majeures comme Pido, Secco et Naouri, elles pourraient créer l'événement comme l'a fait, à sa manière, ce Roberto Devereux.
 
 

Benoît BERGER
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]