C O N C E R T S 
 
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NANCY
30/12/03
Wolfgang Amadeus MOZART

Don Giovanni

Dramma giocoso en deux actes
Livret de Lorenzo da Ponte
Crée à Prague le 29 octobre 1787

Direction musicale : Sebastian Lang-Lessing
Mise en scène : Laurent Laffargue
Décors : Philippe Casaban, Eric Charbeau
Costumes : Hervé Poeydomenge
Lumières : Patrice Trottier

Don Giovanni : Philippe Georges
Donna Anna : Alketa Cela
Don Ottavio : Ferdinand von Bothmer
Il Commendatore : Bjarni Thor Kristinsson
Donna Elvira : Anne-Marguerite Werster
Leporello : Iain Paterson
Masetto : José-Luis Barreto
Zerlina : Michèle Losier

Clavecin : David Abramovitz
Violoncelle : Pierre Fourcade
Orchestre symphonique et lyrique de Nancy
Choeurs de l'Opéra de Nancy et de Lorraine
Chef des choeurs : Merion Powell

Coproduction Opéra National de Bordeaux, Théâtre de Caen, Opéra de Nancy et de Lorraine

Représentation du 30 décembre 2003



Un Don Giovanni de trop...

L'Opéra de Nancy et de Lorraine a ouvert sa saison in extremis : en cette toute fin d'année 2003, après une série de représentations en novembre dernier de La Périchole d'Offenbach. Une saison 2003-2004 plutôt en demi-teintes, puisqu'elle ne comprend qu'un opéra-bouffe très proche de l'opérette (La Périchole), deux opéras du grand répertoire (Don Giovanni et Tristan und Isolde) et deux séries de soirées résolument contemporaines avec Le Journal Vénitien et Satyricon de Bruno Maderna d'une part, Der Kaiser von Atlantis de Viktor Ullmann de l'autre... voilà qui risque de laisser les amateurs lyriques sur leur faim.

Pour ce premier opéra de la saison, le directeur général Laurent Spielmann avait donc choisi le Don Giovanni mozartien, une oeuvre déjà donnée à plusieurs reprises à Nancy ces dix dernières années (sans compter les productions de l'Opéra de Metz tout proche) dans des mises en scène toujours intéressantes et avec des distributions le plus souvent enthousiasmantes. En remontant une nouvelle fois cet ouvrage archi-rebattu ici et ailleurs, espérait-il pouvoir offrir au public lorrain une nouvelle approche du mythe, un casting idéal ou encore la découverte de voix nouvelles ? Hélas, à l'issue d'une soirée terne, sans grand relief et globalement ennuyeuse, force est de constater que ces espoirs ont été déçus !

La coproduction de Laurent Laffargue est importée de Bordeaux, où elle a été créée à l'automne 2002 (avant une autre série de représentations à Caen), avec des commentaires en général peu favorables aux options choisies. Le metteur en scène nous refait le coup d'une transposition dans l'Italie des années 20, à l'époque de la montée du fascisme. Nous n'avons rien, en principe, contre les transpositions, quoique elles soient devenues d'une grande banalité dans la mise en scène contemporaine. Encore faut-il, pour être convaincant, que ce changement de lieu et/ou d'époque apporte quelque chose, soit porteur de sens et enrichisse la lecture scénographique. Or, Laurent Laffargue n'utilise ses postulats de base qu'à titre anecdotique, ce qui nous vaut une multiplication de chemises brunes et d'uniformes fascistes (Don Ottavio et Masetto en particulier), de revolvers et de poignards brandis par tous les protagonistes (Donna Elvira comprise) et quelques costumes d'époque pour les choristes et les figurants.

Le second postulat, revendiqué par Laurent Laffargue dans le programme du spectacle, est celui d'un Don Giovanni infantile et joueur, vivant à cent à l'heure et brûlant la chandelle par les deux bouts ; un comportement à la limite de la folie qui aboutit, in fine, à l'impasse, au suicide. Bien qu'elle gomme l'aspect fondamentalement métaphysique de la punition finale, cette approche aurait pu se révéler intéressante mais elle n'aboutit, dans sa réalisation scénique, qu'à des images au mieux incongrues, au pire grotesques et qui déclenchent l'hilarité du public. Ainsi, Leporello et Don Giovanni trimballent en permanence une valise pleine d'accessoires, font leur entrée en jouant avec un bilboquet ou une voiture télécommandée, devisent en faisant de la balançoire, dessinent sur les parois blanches du décor, se déguisent en drag-queens avec perruques blondes et bas résilles pour le finale du premier acte (référence explicite aux Damnés de Visconti), sniffent quelque lignes de coke pour se donner de l'entrain... Le début du deuxième acte, où l'action est toujours difficile à relancer, trouve le metteur en scène à court d'idées et se réduit à un interminable tunnel, où plus rien ne se passe, entre quatre parois blanches et un cheval de bois à l'avant-scène. La scène du tombeau du Commandeur confine à l'absurde et à l'incompréhensible, puisque le Commandeur est hors scène et que sa voix tombe amplifiée des cintres (il en ira de même au finale), que sa statue consiste en un graffiti crayonné par Don Giovanni sur un pilier du décor (agité pour simuler les mouvements de tête imposés par le texte) et que Leporello lit les inscriptions sur le tombeau dans... un jeu de scrabble

Visuellement, tout l'opéra se déroule entre des éléments mobiles et d'un blanc uniforme, animés par les noirs et les bruns des costumes et une tache rouge sang, indélébile, au milieu de la scène, souvenir du meurtre du Commandeur. Quelques belles idées cependant sont à relever : ainsi, Don Giovanni invite Zerlina à prendre place sur tourniquet de jardin d'enfants lors du "La ci darem la mano", tourniquet où montent ensuite Elvira, Anna et Ottavio, alternant face au public dans le quatuor qui suit. Le finale du premier acte est assez réussi, avec un jeu de paravents portés par les serviteurs qui permet d'isoler les différents groupes et d'éloigner Masetto de Zerlina, en la rapprochant de Don Giovanni. Au finale du deuxième acte, la Mort (ou la Punition divine, au choix) est personnifiée par une jeune femme nue, qui vient tendre la main à Don Giovanni, lequel finit par se tirer un coup de pistolet dans la bouche alors que l'ensemble du décor se referme sur lui, l'enfermant dans une nasse, avec un bel effet visuel. Mais pourquoi avoir ridiculisé Don Ottavio en l'affublant d'un costume d'ours en peluche pour le trio des Masques et le bal ? Pourquoi Don Giovanni termine-t-il l'opéra ivre mort, en se contorsionnant de façon ridicule, gâchant de manière inadmissible ce sommet de l'oeuvre et de l'histoire de l'opéra ?

Vocalement, le public nancéien n'a pas été non plus à la fête, en cette trêve des confiseurs. Au sein d'une distribution fort hétérogène, les dames dominent incontestablement par leur cohérence dramatique et leurs qualités vocales.

La Donna Anna d'Alketa Cela est marquée par une grande véhémence et agrémentée d'une plastique superbe. Vocalement, elle demeure trop uniformément torrentielle, peine dans les aigus piano, durcit les forte, pris souvent en-dessous, déséquilibre par sa puissance vocale les ensembles et manque globalement de nuances. Après un début inquiétant, elle s'améliore en cours de soirée pour finir sur un "Non mi dir" de belle facture. Qu'il nous soit permis de suggérer que celle qui fut, in loco, la saison dernière, une magnifique Mimi, éminemment lyrique, s'est quelque peu perdue dans le difficile rôle de Donna Anna. Si elle s'améliore en cours de soirée, Anne-Marguerite Wessner (Donna Elvira), par contre, suit plutôt la courbe inverse. Sa voix homogène, à l'aigu assuré, convainc durant tout le premier acte où elle culmine dans un magnifique "Ah fuggi il traditor". Hélas, elle semble peiner au deuxième acte pour terminer en nette difficulté dans les vocalises de "Mi tradi" ; les tempi brusqués du chef d'orchestre y sont probablement pour quelque chose. A noter : une grande justesse dramatique dans les récitatifs.

La Zerlina de la Canadienne Michèle Losier emporte l'adhésion. La voix est belle, d'une grande homogénéité sur tout l'ambitus, bien conduite, l'actrice, charmante et mutine. Elle forme, avec son Masetto, un couple très crédible. Ferdinand von Bothmer incarne Don Ottavio. Un peu engoncé dans un uniforme de prince consort, il y déploie une jolie voix de ténor mozartien, d'un timbre agréable mais d'une technique encore un peu scolaire dans ses deux airs.

Le Leporello de l'Ecossais Ian Patterson, en revanche, nous a semblé intéressant. Doté d'un physique un peu "rondouillard", d'une voix correctement projetée et capable de nuances, il campe un Leporello sympathique et bonhomme, très éloigné du double de Don Giovanni auquel d'autres productions nous avaient habitués.

Dans le rôle-titre, Philippe Georges déçoit. Le timbre est velouté et la prestance indéniable, comme il sied à un séducteur. Mais sa claire voix de pur baryton manque cruellement d'autorité, s'étouffe dans la tierce inférieure et n'a guère la puissance requise pour s'imposer véritablement. Son "Fin ch'han dal vino" passe totalement inaperçu, la sérénade le trouve détimbré. Dommage.

S'il possède, lui aussi, le physique de l'emploi, le Masetto de José-Luis Barretto n'en a pas pour autant la voix... Sa vocalité et sa présence feraient sûrement merveille dans l'opérette, mais elles n'ont pas grand chose à faire dans ce rôle ni même dans Mozart. Dommage encore.

Il est enfin difficile de porter une appréciation sur Bjarni Thor Kristinsson, absent de la scène dès son assassinat au début de l'opéra, ainsi que sur sa voix, retransmise par amplification. Le peu qu'on en a vu et entendu au premier acte nous a paru assez engorgé, à la Gwynne Howell.

C'est Sebastian Lang-Lessing qui assure la direction. On lui sait gré de réussir, comme à chaque fois, à obtenir l'attention, la motivation et la cohésion de tous les pupitres de l'Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, qu'on a connus si dissipés et désordonnés sous d'autres baguettes. Cependant, sa direction très germanique, souvent rapide, rythmiquement accentuée, parfois lourde et n'hésitant pas à couvrir les chanteurs, nous a parue beaucoup moins en situation ici que dans les grands opéras allemands qu'il a déjà dirigés à Nancy (un exceptionnel Tannhaüser notamment). Sans exiger à tout prix un orchestre d'époque et un chef soucieux d'authenticité dans cet ouvrage de la maturité, on ne peut que déplorer l'absence, criante, du giocoso et de la légèreté qui caractérisent aussi l'opéra de Mozart.

Après être resté de marbre aux moments-clés de la partition, le public a très favorablement accueilli les artistes au rideau final. Pourtant, sans être indigne, cet énième Don Giovanni n'aura rien apporté de neuf ni de bien passionnant, qu'il s'agisse d'approfondir une oeuvre bien connue et abondamment représentée que d'en livrer une interprétation musicalement et vocalement aboutie. Dans ces conditions, fallait-il le programmer à nouveau ?
 
 

Michel THOME
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